par Marie-Eve Lacasse publié le 25 décembre 2023
On vous voit : après vos 25 000 calories quotidiennes depuis trois jours, vous comatez sur votre canapé les yeux mi-clos. A peine arrivez-vous à tenir votre téléphone portable du bout du bras pour parcourir ces lignes, dont la lecture vous fatigue déjà. Arrêter Noël ? Mais pourquoi ? C’est pénible, mais c’est mignon aussi… Allez-vous vraiment vous remettre de cette deuxième part de coulommiers garni ? Et que dire de cette tante qui vous assure que la «violence policière, en France, n’est pas disproportionnée et même parfois nécessaire» ? Lecteurs, on s’inquiète. Avez-vous survécu aux 750 kilomètres de bouchons non prévus par Bison futé après avoir eu l’idée saugrenue de quitter votre domicile pour cette campagne reculée où vous êtes tombés au supermarché local sur vos amis d’enfance devenus comptables agréés et prothésistes dentaires ? Et puis, le principal : comment s’est déroulée la pièce de théâtre du réveillon ? Avez-vous bien repris la place qu’on attend de vous (la cheffe, le malade, l’intello, l’infirmière, le fou, rayez la mention inutile) ? Comment s’est passé le petit déjeuner du lendemain, lorsqu’il a fallu serrer les dents en confrontant de nouveau votre tante qui, bien qu’en pyjama, était déjà prête à en découdre sur un sujet litigieux puisque vous avez le malheur d’être le seul gauchiste de la famille ?
Maintenant que l’envie de vous jeter un seau d’eau de Sainte-Solinesur la tronche vous est passée, il est temps de repenser ensemble à notre stratégie des fêtes. Car si Noël est terminé, ce n’est que le début. Il faudra encore tenir les trois dîners qui vous mèneront jusqu’au nouvel an, avant l’Epiphanie et la Chandeleur. Il suffit d’écouter nos proches pour recueillir le flot d’angoisses que cette période génère. On pense à ceux et celles qui ne peuvent pas contribuer à la hauteur de leurs familles aux agapes communes mais qui, trop gênés pour l’admettre, préféreront s’endetter pendant des mois. On pense à ces enfants en garde alternée qui sont privés de l’un ou l’autre de leurs parents à Noël. On pense aux étrangers en France qui ont toutes les raisons d’être tristes, en plus de ne pas être avec les leurs. On pense à ces jeux censés briser la glace en famille mais qui mettent tout le monde mal à l’aise, comme «Soirée réveillon» qui consiste, en gros, à «dire quelque chose à quelqu’un que tu n’as jamais osé lui dire auparavant» (véridique). «A la fin, tout le monde chialait», raconte un collègue, pris au piège de ce guet-apens.
A ce chaos psychanalytique que représentent les fêtes (sans oublier la catastrophe écologique qu’elles induisent entre empreinte carbone et surenchère de cadeaux inutiles), on ne voit qu’une solution : arrêter tout. D’abord, c’est un peu curieux de célébrer une naissance à laquelle on ne croit pas en lui superposant un père Noël qui ne tardera pas à être démasqué. Soyons plus inventifs et révolutionnaires. Mélangeons nos familles et nos amis, hybridons nos fêtes et nos traditions et faisons-le toute l’année. Déclenchons la grève de ces réjouissances cantonnées entre le 24 décembre et le 2 janvier qui font grimper le prix des choses. Célébrons la vie en dehors de cette période, le plus possible tous les jours et le plus gratuitement possible. Le voyage immobile reste la meilleure option : si vous devez vous justifier de cette claustration soudaine, l’argument «J’ai le Covid» tient toujours la route mais perd un peu de sa force de persuasion devant les inattaquables «Je suis de perm» ou «J’ai des dossiers à boucler». Et tandis que nous savourerons notre mensonge, hibernons sur place, comme les animaux que nous sommes et avons besoin d’être. Au réveil, perdons-nous dans la ville, dans les bois, dans l’amour, et mettons fin collectivement à ces rituels souffrants.
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