par Jean-Didier Wagneur publié le 8 décembre 2023
Café, bistrot, rade, troquet mais aussi boui-boui, assommoir, caboulot, estaminet (on peut y fumer), divan, tapis-franc ou popine : son nom est légion. Chaque époque, chaque région a ses appellations et il y en a eu pour tout le monde, depuis ceux éclairés au gaz qui brillaient de mille feux sur le boulevard des Italiens, aux cafés des «pieds humides» où les oubliés de la vie pouvaient noyer leur mal-être debout en plein vent. Grâce à Laurent Bihl, le lecteur saura tout de ce patrimoine national aussi provincial que parisien. Outre une enquête de terrain chez tous les limonadiers qu’il a pu croiser – scientificité oblige – cet historien spécialiste du XIXe siècle a vu son projet prendre de l’ampleur. Au départ le simple désir de rééditer l’ouvrage que son père, Luc, avait publié jadis à l’Age d’homme. Mais très vite, le sujet devient dévorant, la documentation s’entasse et la réédition se transforme en une véritable somme. Café révolutionnaire, café républicain, café du peuple… tout est là, commenté et servi par de nombreux témoignages. Car la littérature sur les bistrots est souvent de nature anecdotique, c’est le lieu du récit de soi et d’une éloquence plus ou moins avinée, alternant blague ou sédition. On s’y livre au name-dropping : le critique y écrit ses articles au retour d’une générale, le journaliste transforme les potins et les brèves de comptoir en échos, les poètes y accumulent les soucoupes et les rimes. Ce sont aussi des dîners de lettres, Verlaine et son absinthe, Allais et ses plaisanteries… Lieu du coudoiement des politiques, des écrivains et des artistes, les cafés sont entrés dans les annales de la littérature en faisant oublier leurs fonctions et le fait qu’ils sont une production des temps et des gens. Aussi Laurent Bihl, comme le souligne Pascal Ory dans sa préface, complète cela d’une solide enquête écrite avec vivacité et parfois humour.
La bière alsacienne symbole patriotique
Où se trouvaient le Cochon fidèle, la Taverne du bagne ou le Divan japonais ? Pour répondre à cette question, Gilles Picq a pris un parti différent. Spécialiste de la fin de siècle, il a enquêté sur les brasseries parisiennes entre 1870 et 1914. Il s’est mis dans les pas d’un petit journaliste du Courrier français, Emmanuel Patrick, qui avait publié à la fin des années 1880 la série «Assommoirs, bouges et cabarets». Picq a suivi ce principe archéologique et a établi la cartographie du monde des cafés à partir du moment où la bière allemande concurrence le vin à la suite de l’Exposition universelle de 1867. Le sentiment patriotique fera vite de la bière alsacienne son canon ! et de beaucoup de cafés une brasserie. L’originalité du livre tient à sa présentation géographique, chaque café est classé par arrondissement et l’auteur a poussé loin la précision en cherchant le maximum de renseignements sur les habitués, les tenanciers, et en signalant ce que ces établissements sont devenus. Un dernier pour la route et pour le plaisir des yeux : Benoît Collas signe un album dans la tradition des livres illustrés de Parigramme. Son texte passionnant et documenté, agrémenté même d’une chronologie des cafés, est mis en valeur par une somptueuse iconographie.
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