21 octobre 2023
Effet manqué
Cependant, dans le champ de la santé mentale, certains peuvent être tentés de faire leur ce discours, parfois apparemment inspirés par la volonté de se démarquer et de déconstruire les réflexions qui n’éviteraient pas une forme « d’islamophobie », voire de « racisme ».
Ainsi, cette semaine, la psychologue et psychanalyste Fanny Bauer-Motti a analysé sur Twitter : « Les passages à l’acte terroriste en Europe ont très souvent un socle pathologique. Il ne s’agit pas de la religiosité qui mène au crime, mais de pathologies qui prennent une couleur idéologique ou religieuse. C’est important de le comprendre pour stopper ce mal profond. Ceux qui sont à surveiller ou à craindre sont ceux qui manifestent des troubles psychiatriques ou psychologiques, tout en investissant une idéologique telle qu’elle soit » a-t-elle défendu. Beaucoup de spécialistes de santé mentale ont manifesté leur désaccord complet avec cette prise de position – au-delà du fait qu’on ne manquera pas de s’étonner qu’une spécialiste de santé mentale invite à « surveiller » et « à craindre » des patients. D’abord, l’intention manifeste de vouloir distinguer la religiosité du terrorisme n’empêche pas un message potentiellement stigmatisant. Sur Twitter,une doctorante canadienne en sémiotique tranche ainsi sans nuance : « Parler de pathologie ici est réducteur (le terrorisme est multifactoriel), populiste (une seule solution à un seul problème) (…) et raciste/islamophobe (c’est un encouragement à ficher et contrôler des psychiatrisé(e)s racisé(e)s et musulman(e)s) bien que le tweet voulait s’en défendre ».
Une épidémiologie hasardeuse et peu convaincante
Au-delà de cet effet manqué, cette présentation ne correspond pas à ce que l’on sait de la réalité épidémiologique. Cyrielle Richard, également psychologue, détaille : « Il suffit de faire une rapide recherche de la littérature scientifique pour voir que justement il n'y a pas de socle psychopathologique chez les personnes commettant des actes terroristes! (…) Plaider la folie permet de mettre à distance des actes qui nous paraissent incompréhensibles et effrayants. Cependant, c’est négliger la réalité clinique. Le pourcentage de terroristes ayant d’authentiques troubles psychiques est difficile à évaluer. Il pourrait varier entre 3,4 % et 48,5 %. Parmi ces personnes, la majorité souffrirait de troubles de l’humeur (majoritairement dépression autrement dit un trouble partagé par… 12,5 % des personnes âgées de 18 à 85 ans en France). Seule une infime partie d’entre elles présenterait une schizophrénie » ajoute-t-elle citant une étude de 2021 publiée dans le Journal of Psychiatric Research par l’équipe de la psychiatre française Margot Trimbur. Cyrtielle RichardElle conclut : « La radicalisation et le passage à l’acte terroriste ont donc peu de rapport avec la psychiatrie ».
Une violence rare chez les personnes souffrant de troubles mentaux
Outre ces données épidémiologiques concernant les personnes coupables d’actes terroristes, les spécialistes de santé mentale n’ont de cesse de rappeler face à ce type de raccourci que la violence reste rare chez les personnes souffrant de troubles psychiatriques.
« Les malades mentaux sont-ils plus violents ? Des faits divers ont ému l’opinion par la violence du geste commis par certains d’entre eux. Ainsi, en 2004, des infirmières d’un centre hospitalier spécialisé furent décapitées. Un homme souffrant d’hallucinations a poussé quelqu’un sous les rails du métro.
On pourrait multiplier les exemples et finalement donner l’impression que l’essentiel des crimes est commis par des sujets souffrant de troubles mentaux. Or une étude menée dans les années 1990 a montré que la probabilité d’être agressé par un individu ayant consulté un psychiatre est dix fois moins élevée que de l’être par quelqu’un sans antécédents. Les services de psychiatrie peuvent être bruyants, mais la violence y est rarement présente. (...) J’ai exercé pendant douze ans dans des services de psychiatrie hospitaliers, certes ouverts, mais je n’ai jamais attaché un patient et je n’ai été agressé qu’une seule fois, par une patiente de quatre-vingt-dix ans démente. Et à ma connaissance, les personnels de l’équipe n’ont été agressés physiquement qu’une seule fois, par un patient que nous connaissions peut-être trop bien et chez qui nous n’avions pas su reconnaître les signaux de dangerosité, la surprise majorant la violence du geste. Certes, il ne faut pas dénier le caractère parfois imprévisible d’éruption de la violence chez certains patients, mais cela reste rare » décryptait en 2018 dans la revue Inflexions (éditée par l’Armée de terre) le psychiatre chef du service de psychologie de la Marine, le docteur Yann Andruétan.
La radicalisation peut-elle tous nous toucher ?
Les fous ne sont pas si faciles à embrigader…
Pas de réponse simple aux problèmes compliqués
Tant dans le discours de Cyrielle Richard que dans celui du docteur Andruétan, il y a une mise en garde contre l’instrumentalisation de cette psychiatrisation pour faire l’économie d’une réflexion profonde sur la complexité du monde et sur les responsabilités politiques.
Le docteur Andruétan prévient ainsi : « En naturalisant le problème du terrorisme, on évacue sa dimension politique. On ne peut être en guerre contre des fous ! Le progrès finira bien par absorber ces fauteurs de troubles grâce à la toute-puissance de la science. Mais c’est penser celle-ci comme une forme de maîtrise plutôt qu’un mode particulier de connaissance du monde. Dans ce processus de naturalisation, la science – qui, au même titre que la folie, n’existe pas – doit non seulement expliquer, ce qui est sa fonction première, mais aussi agir, ce qui est la fonction des ingénieurs ».
La psychiatrisation est ainsi également un masque aux allures scientifiques du fatalisme. Déjà, dans nos colonnes, il y a quelques années, le docteur Paul Machto s’insurgeait : « Lorsque les politiques sont confrontés aux limites de prévoir l’imprévisible, ils se rabattent sur les personnes malades et les psychiatres ! (...) La question politique ne serait-elle pas d’assumer cette part d’imprévisibilité des comportements humains et de mettre en œuvre des politiques pour traiter les racines mêmes des causes sociétales, économiques, culturelles, éducatives, urbaines ».
« Psychophobie »
Aurélie Haroche
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