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lundi 30 octobre 2023

« Si les parents sont présentés comme responsables des violences, alors les élites sont responsables du sort de leurs concitoyens »

Publié le 27 juillet 2023

TRIBUNE

La maman qui élève seule ses enfants dans des lieux de ségrégation sociale est censée être une mauvaise mère quand son fils viole la loi. Mais le couple de cadres supérieurs dont le rejeton est impliqué dans une faillite frauduleuse ou du harcèlement est juste jugé malchanceux, s’indigne, dans une tribune au « Monde », un collectif de parents.

Nous sommes des parents qui travaillons dans le monde de l’entreprise, de la culture, de l’éducation. Nous avons élevé nos enfants du mieux que nous avons pu et voulons témoigner de notre solidarité envers d’autres parents tout aussi désireux que nous de faire réussir leurs enfants mais qui sont présentés comme responsables des violences actuelles par tant de personnalités politiques.

Le président de la République (le 30 juin à l’issue du comité interministériel de crise) en appelle au « sens de la responsabilité des pères et des mères de famille ». Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin (le 3 juillet en visite à Saint-Quentin dans l’Aisne), affirme que « la police ne peut pas éduquer les enfants à la place des parents ».

Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, annonce (au Sénat, le 5 juillet) avoir « rédigé un flyer à destination des parents » pour expliquer quelles sont leurs obligations « en termes simples [sans doute parce que ces gens-là ne comprennent pas tout !] à ceux qui les auraient oubliées ».

Réfléchissons collectivement à l’avenir de nos enfants

Eric Ciotti (le 4 juillet) demande à nouveau la suppression des allocations familiales aux parents dont les enfants sont absentéistes à l’école. Quant à Marine Le Pen, elle propose (le 6 juillet sur France 2) deux ans de prison pour manquements aux obligations éducatives aux parents concernés. Ce concours Lépine des idées stupides serait risible s’il ne permettait aux élites du pays de se défausser de leurs responsabilités. Réfléchissons plutôt collectivement à l’avenir de nos enfants.

Pensons déjà à nos propres enfants, nous les parents « responsables » qui nous efforçons de les accompagner dans la réussite scolaire, qui les recommandons à nos amis pour leur stage de 3e, puis pour une première embauche, qui leur garantissons autant que nous le pouvons une présence attentionnée renforcée par des nounous, des baby-sitters et des grands-parents disponibles.

Malgré tous ces efforts, des parents qui nous ressemblent voient leurs enfants devenus adultes « mal tourner ». Ils n’ont pas volé des canettes, brûlé un gymnase, caillassé des commissariats, mais ils ont dérobé à la communauté nationale des milliards d’euros par de la fraude fiscale ou des placements paradisiaques, détourné des subventions, sabordé des entreprises en laissant des milliers de salariés sans emploi pour empocher quelques millions d’euros en actions, utilisé des produits dangereux pour la santé en toute connaissance de cause… et pourtant, ils ne viennent pas des « cités ».

Mettons chacun devant ses responsabilités

Qu’ont donc bien pu faire leurs parents pour rater à ce point leur éducation ? Malgré l’École alsacienne, HEC, les cours de musique, ils violent les lois de la République, ils piétinent les règles morales, et leurs parents n’y seraient pour rien ? Est-il envisagé de se pencher rétroactivement sur les carences éducatives de ces parents qui ont laissé leurs enfants abîmer ainsi le contrat social ?

Mettons donc chacun devant ses responsabilités : si les parents sont responsables des méfaits de leurs enfants, alors les élites qui nous dirigent sont responsables du sort de leurs concitoyens. Elles ont laissé se dégrader depuis des années les quartiers d’où proviennent les « émeutiers » de ce mois de juillet : écoles en mauvais état, enseignants mal rémunérés et en sous-effectifs, logements mal isolés, services publics insuffisants.

Quelles sont donc les sanctions prévues pour avoir accepté que ces enfants-là grandissent dans de telles conditions ? Va-t-on retirer leurs salaires aux présidents et ministres, aux responsables politiques qui ont laissé cette maltraitance institutionnelle s’installer ? Prévoit-on des sanctions pénales, de la prison ferme pour les responsables de l’éducation nationale qui ont fait de la France la championne européenne des inégalités scolaires ? Est-il question de punir sérieusement les ministres de l’intérieur successifs qui refusent de mettre fin aux contrôles d’identité à répétition comme technique policière humiliante ?

Nous vivons dans un pays où, pour faire simple, la maman, aide-soignante, absente de son foyer pendant une longue journée, qui gagne peu et élève seule ses enfants dans des lieux de ségrégation sociale, est une mauvaise mère quand son fils viole la loi. Mais le couple de cadres supérieurs du centre-ville dont le rejeton est impliqué dans une faillite frauduleuse ou du harcèlement est juste malchanceux.

S’occuper des enfants avec du courage, de la fermeté, du dialogue et de l’amour

Tous les enfants sont nos enfants, sinon, que fait-on de notre devise républicaine et du concept de fraternité ? Ces enfants et ces adolescents sont les frères et sœurs de nos enfants, ils ne sont ni des extraterrestres ni des nuisibles, comme osent l’écrire certains syndicats de policiers.

Au contraire, comme l’affirmait déjà, dans ses premières phrases, le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, promulguée par le Gouvernement provisoire de la République française que présidait le général de Gaulle : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »

C’est vrai, il y a urgence : la planète brûle, les quartiers brûlent, et il faut s’occuper des deux incendies. Si nous ne faisons rien, si nous nous contentons de jeter l’opprobre sur une partie de nos concitoyens, si nous continuons dans l’escalade des propos affolés, méprisants, provocateurs ou racistes, si nous persistons dans l’inconséquence politique, les mêmes effets se reproduiront à échéances de plus en plus rapprochées.

Ces enfants sont ceux de la République qui doit, avant de désigner des responsables, regarder en face sa propre responsabilité. Oui, ce sont nos enfants ! Il faut nous en occuper, tous, avec du courage, de la fermeté, du dialogue et de l’amour.

Signataires : Gérard Billon, syndicaliste ; Paul Blondé, journaliste ; Nelly Bonnefous, cadre de la protection de l’enfance ; Antoine Caubet, metteur en scène ; Quentin Chaix, journaliste ; Cécile Cholet, coordinatrice pédagogique ; Aurélie Chompret, cadre territoriale ; Christelle Déri, architecte ; Henry Dupouy, ingénieur ; Jean-Charles Eleb,entrepreneur ; Pascale Fanen, enseignante-chercheuse ; Frédéric Gilli, économiste ; Daniel Goldberg, président d’association ; Laurence Hirsch, directrice d’agence ; Didier Jouault, président d’association ; Julia Kuntzle,journaliste ; Aurore Le Gal, consultante ; Philippe Lemoine, entrepreneur ; Sakina M’sa, créatrice de mode ; Catherine Sabbah, directrice d’un institut de formation ; Laurent Sablic, chef d’entreprise ; Didier Sablic, enseignant ; Jérôme Saddier, militant de l’économie sociale et solidaire ; Marion Venus, traductrice ; Michèle Wertheim, restauratrice.


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