par Margaux Gable publié le 24 octobre 2023
«Je me suis souvent dit que si certains sujets touchaient les hommes, la recherche avancerait plus vite.» Caroline De Pauw, sociologue et chercheuse associée au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé), spécialiste des inégalités sociales de santé, rit jaune. Les femmes ont beau représenter la moitié de la planète, elles sont les grandes oubliées de la recherche en médecine. Même si les choses évoluent doucement, cette injustice perdure. Dans son rapport d’analyse prospective «Sexe, genre et santé», publié en 2020, la Haute Autorité de santé (HAS) indiquait que «les différences entre les sexes sont nombreuses, insuffisamment documentées, trop souvent ignorées, et parfois sources d’iniquités en santé».
Des sujets tabous
Dans la recherche, «le corps féminin s’est construit comme un corps par défaut parce que le corps de référence était celui de l’homme, note Caroline De Pauw. Résultat, les éléments féminins ont été considérés comme des spécificités et non pas comme des éléments inhérents à tous les corps». Ce qui explique que les femmes ont longtemps été sous-représentées dans les expérimentations, majoritairement menées sur des hommes. Les chercheurs ont pu se montrer peu enclins à étudier le corps des femmes vu comme trop complexe, et susceptible d’engendrer de longues et coûteuses recherches. «Mais on ne se pose pas la bonne question : on n’aurait pas idée de ne pas faire de la recherche sur les enfants, au motif que ça coûte plus cher.» D’autant que, comme alertait le Haut Conseil pour l’égalité dans son rapport intitulé «Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner» en 2020, «avant de conclure trop hâtivement à des différences biologiques, il est important de considérer d’autres variables que le sexe : âge, taille, milieu socio-économique, profession, niveau d’instruction, appartenance ethnique, etc.».
Circonstance aggravante pour les femmes : les recherches sur les sujets utérins ou menstruels «ne sont souvent pas considérées comme nobles au sein de la communauté scientifique», note Maud Leblon, présidente de Règles élémentaires, une association qui lutte contre la précarité menstruelle et s’engage à briser le tabou autour des règles. «Il n’y a qu’à voir la seule recherche en cours au CNRS sur les liens entre coupes menstruelles et mycoses. Ils ont dû se battre pour qu’elle voie le jour.» Pour preuve, selon ResearchGate, il existait en 2016 cinq fois plus d’études sur les dysfonctionnements érectiles que sur le syndrome prémenstruel, alors que seuls 19 % des hommes sont concernés par les premiers, contre 90 % des femmes pour le second. Comme le préconisait la HAS dans son rapport cité plus haut, la mixité dans la recherche médicale pourrait pallier ce deux poids deux mesures. Car qui mieux qu’une femme pour orienter les recherches vers les femmes ? «Mais pour l’instant, même si les choses s’améliorent, on n’est toujours pas à la parité», regrette Maud Leblon.
«Des décennies de retard»
Résultat : les données scientifiques disponibles sont maigres. «On a des décennies de retard. On n’a même pas les données de base, donc on ne peut pas avoir le reste. On connaît par exemple très peu de choses sur le microbiote vaginal et utérin, souligne Maud Leblon. 15 millions de personnes en France utilisent des protections hygiéniques mais on ne peut étudier les conséquences de leur usage…»
Selon Caroline De Pauw, une des raisons évidentes pour lesquelles les douleurs féminines sont reléguées au second plan vient du fait que «dans l’imaginaire collectif, la douleur est inhérente à la condition des femmes. Les règles, ça fait mal. Un accouchement, ça fait mal. C’est comme ça. Alors pourquoi chercher sur le sujet ?». Porté par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), un projet intitulé «Biais de genre dans la prise en charge médicamenteuse de la douleur, de l’anxiété et de la dépression en médecine générale : une approche mixte», auquel elle participe, permettra d’apporter des réponses précises et des données chiffrées sur ces différences de traitement de la douleur, à motif égal, selon le genre du patient et le genre du praticien.
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