Par Audrey Parmentier Publié le 1er novembre 2023
La situation est de plus en plus fréquente en France, où l’âge de la première grossesse recule. Derniers d’une fratrie ou enfants uniques tardifs, de jeunes adultes racontent leurs expériences.
Devant le portail de l’école, les parents de Lila (certains témoins ont souhaité garder l’anonymat) étaient reconnaissables à leurs cheveux gris. « Quand ils venaient me chercher, mes camarades pensaient qu’il s’agissait de mes grands-parents »,se rappelle la jeune fille de 18 ans. Sa mère a 62 ans. Son père 67. Longtemps, elle a menti sur leur âge. « Maintenant, je ne le fais plus », assure l’étudiante en première année de fac de langues.
Lila a choisi une autre voie que ses parents : son père était policier et sa mère travaillait comme infirmière. Des métiers dont elle parle au passé parce qu’ils sont tous deux retraités. Son père était âgé de 49 ans lorsqu’elle est née. « Pourtant, c’est celui qui s’est le plus occupé de nous », dit-elle en évoquant sa fratrie, sans mentionner sa mère, avec laquelle elle entretient des relations tendues.
Lila le répète : avoir des parents plus vieux que la moyenne « n’a pas d’avantages ». Benjamine de la famille, l’adolescente grandit avec le sentiment d’être arrivée trop tard. En cause, selon elle, la dizaine d’années qui la sépare de ses deux frères aînés et de sa sœur : « Ils ont beaucoup voyagé avec mes parents quand ils étaient petits. J’étais un peu peinée lorsqu’ils racontaient leurs anecdotes. Moi, je n’en avais aucune. » Entre leur premier et leur dernier enfant, ses parents ne disposent plus du même budget. Et leur énergie s’estompe. Lila voyagera moins et apprendra à s’évader autrement : basket, lecture ou piano. « Je leur en ai longtemps voulu de ne pas être aussi jeunes que les autres », avoue-t-elle.
Qu’est-ce qu’un parent comme les autres ? La médecine place le curseur à 35 ans, limite à partir de laquelle une femme enceinte est en « grossesse gériatrique ». « Un terme extrêmement violent », soutient Anaïs Le Brun-Berry, psychanalyste et consultante en parentalité. Dans son cabinet du 9e arrondissement de Paris, elle reçoit des mères qui culpabilisent d’avoir eu un enfant après 40 ans. « Il y a cette idée qu’un parent plus âgé sera moins “en capacité de”. Et que l’enfant pourra le ressentir et en éprouver de la honte s’il compare ses parents à ceux de ses copains », estime-t-elle.
Démodés, incompétents… Les parents âgés n’ont pas la cote. En témoigne le film Old Dads, du comédien américain de stand-up Bill Burr (2023, sur Netflix), où trois boomeurs proches de la cinquantaine découvrent la paternité sur le tard. Dans une ambiance testostéronée, ils se heurtent à un décalage générationnel avec les autres parents. Le personnage principal, Jack Kelly, inculque à son petit garçon des principes machistes. L’enfant se fait mal ? Son père lui conseille de mettre de la terre sur sa blessure. « J’essaie d’en faire un mec, pas une tafiole », dira-t-il plus tard à un voisin qui lui recommandait prudemment de désinfecter la plaie.
« Famille ovni »
Des clichés sur les parents âgés qui pourraient s’estomper, tant la situation devient fréquente. En 2019, en France, hors Mayotte, 42 800 bébés sont nés de mères âgées de 40 ans ou plus. Ainsi, 5,7 % des naissances de 2019 sont dites « tardives », rapporte l’Insee, un chiffre 3,4 fois plus élevé qu’en 1980. Pour les hommes, les derniers chiffres datent de 2015 : 17 % des nouveau-nés avaient un père de 40 ans ou plus. En 2022, l’âge moyen de la mère à l’accouchement était de 31 ans, contre 29,4 en 2002, toujours d’après les chiffres de l’Insee.
Selon Mélissa-Asli Petit, docteure en sociologie spécialiste de la thématique du vieillissement, plusieurs facteurs expliquent cette évolution : « Il y a une plus grande durée de vie, et surtout des études plus longues chez les femmes. Les recompositions familiales jouent également un rôle dans ces parentalités tardives. »
Paloma Clément-Picos est issue d’une de ces familles recomposées. Elle se souvient qu’à l’école, elle aurait tout fait pour entrer dans le moule. « Ma mère m’avait eue à 44 ans, ma sœur avait vingt ans de plus que moi… J’étais dans une famille ovni. » La jeune journaliste lyonnaise de 31 ans a mis des décennies avant de se sentir proche de ses frères et sœurs.Maintenant, elle dit avoir trouvé sa place, bien qu’elle reste cantonnée au rôle de « bébé de la famille ». La tendresse avec laquelle son père, Pierre, la décrit, le confirme : « Elle a été comme un second souffle. » Pour lui, 71 ans, comme pour sa femme, aujourd’hui âgée de 75 ans, avoir eu Paloma à 40 ans passés n’a jamais été un problème.
Enfant, Paloma a profité de certains avantages liés à l’âge de ses parents. Au début des années 2000, elle enchaîne les compétitions de natation. Son objectif : devenir Laure Manaudou ! Et pour l’accompagner jusqu’aux bassins, ses parents sont disponibles. « En 4e, ma mère était en préretraite. On n’a jamais été dans le monde du travail en même temps, et elle avait le temps de gérer beaucoup d’entraînements. » Sa carrière derrière lui, son père admet avoir été plus disponible pour Paloma que pour ses frères et sœurs. « J’étais directeur d’un foyer d’adolescents, ça m’a beaucoup trop mobilisé d’après mes enfants », reconnaît ce retraité hyperactif. Avec Paloma, Pierre a rattrapé le temps perdu. Voire gagné quelques années : « Quand mon père m’a dit que je les avais aidés à rester jeunes plus longtemps, ça m’a libérée. »
Témoin du vieillissement
La jeune femme confie avoir vécu des moments difficiles, en particulier lorsque, il y a dix ans, sa mère a découvert qu’elle était atteinte de la maladie de Ménière. Ce trouble de l’oreille interne peut toucher tout le monde, mais les symptômes sont aggravés avec l’âge. Par exemple, il est plus difficile de se remettre des vertiges. « On n’est pas prêt à 20 ans. Et parmi mes amis, personne ne me comprenait. » Habitant encore chez ses parents à l’époque, elle est devenue le témoin quotidien du vieillissement de sa mère. « Avoir des parents âgés, cela signifie devenir aidant plus tôt et plus longtemps », confirme la sociologue Melissa-Asli Petit.
Aujourd’hui, Paloma vit à Paris. Sa mère va mieux, ce qui n’empêche pas la jeune femme de s’inquiéter du temps qui passe : « Dès qu’une star meurt, je regarde son âge, et je ne peux pas m’empêcher de penser à mes parents. »
La mort de ses parents, Thomas y pense, tout en misant sur des gènes familiaux robustes : « Ma grand-mère et mon arrière-grand-mère ont vécu jusqu’à plus de 100 ans, donc je crois que ma mère vivra longtemps. » Petit dernier âgé de 29 ans, Thomas a quarante ans d’écart avec ses parents. Né d’un père enseignant-chercheur en mathématiques et d’une mère biostatisticienne, il décrit une « enfance heureuse », marquée par des amitiés solides et une indépendance précoce.
A écouter Thomas, la date de naissance de ses parents importe peu. « Entre ceux de ma copine et les miens, il y a dix-sept ans d’écart, mais je trouve qu’ils sont encore très en forme », constate le scientifique. Il lui importe cependant de profiter du temps qu’il a avec eux. « Je ne me vois pas quitter l’Europe, pour ne pas être trop loin de mes parents », explique le jeune homme, installé en Belgique tandis qu’ils habitent en banlieue parisienne.
En couple depuis quatre ans, Thomas est conscient que ses parents ne le verront peut-être pas devenir père. Un schéma qui se répète, puisque lui-même a très peu connu ses grands-parents. « Quand je suis né, mes grands-parents avaient déjà vu une ribambelle de petits-enfants, j’ai donc l’impression qu’ils avaient un peu la flemme de s’occuper de moi », plaisante-t-il. Thomas se souvient juste de son grand-père, mort quand il était en 3e. Au fil de son récit, le futur trentenaire questionne : « Va-t-on se retrouver avec des générations sans grands-parents ? » Réponse dans cinquante ans.
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