Mardi Noir — Édité par —
Cette semaine, Mardi Noir conseille Laura, qui se demande si le diagnostic a son importance dans l'analyse.
Chaque jeudi, dans Ça tourne pas rond, Mardi Noir, psychologue et psychanalyste, répond aux questions que vous lui posez. Quelles que soient vos interrogations, dans votre rapport aux autres, au monde ou à vous-même, écrivez à mardi.noir@slate.fr, tous vos mails seront lus.
Et chaque mardi, retrouvez le podcast sur Slate Audio.
Supposons qu'un·e psychanalyste détecte les traces d'une maladie mentale chez un·e patient·e, est-iel tenu·e de le lui dire?
Est-ce que ça a une importance dans l'analyse?
Merci,
Laura
Chère Laura,
En voilà une question fort intéressante! Votre interrogation traverse à la fois la question éthique, que doit-on dire à son patient, à son analysant, et pourquoi ce dire devrait forcément concerner un diagnostic? La question thérapeutique, mais est-ce que la psychanalyse est une thérapeutique? Et donc la question épistémologique, l'épistémologie étant le discours, l'étude des sciences, en quoi la psychanalyse est-elle en rupture avec la psychologie et la psychiatrie ou au contraire s'y confond-elle? Comment la psychanalyse considère-t-elle le normal et le pathologique?
Déjà, je me demande dans quelle mesure votre question ne s'inscrit pas dans son époque. Nous vivons dans un moment d'obsession diagnostique. Et avec un peu de recul, est-ce que cette focalisation ne serait pas née de la mise en lumière de la prise en charge des enfants autistes? Non qu'il n'y ait pas déjà eu avant cela des critiques de la psychanalyse, mais cette critique-ci a été fortement médiatisée et a été un moment constitutif, selon moi, de rupture épistémologique. Le fonctionnement du cerveau, les causes génétiques, les notions de maladies mentales, de troubles sont remis sur le devant de la scène grâce ou à cause de cette énigme que représente l'autisme.
Je fais référence ici à des enfants et adultes qui ne parlent pas, présentent des comportements stéréotypés, ont le regard fuyant, des personnes qui nous renvoient d'une certaine manière à une altérité radicale, avec laquelle il faut bien le dire on ne sait que faire, les laissant ainsi, pendant de longues années dans des errances institutionnelles et sociales (c'est sans doute d'ailleurs encore le cas aujourd'hui). Face à ces enfants, les psychanalystes avec plus ou moins d'orgueil ont fait ce qu'ils font toujours, ils ont cherché, ils ont enquêté, ils ont parlé, ils ont interprété, créant un émoi collectif, les mères accusées d'être déprimées, froides, les enfants étant réduits à des possibilités limitées.
Je me souviens de ce psychanalyste dans le film de Sophie Robert, Le Mur – La psychanalyse à l'épreuve de l'autisme, qui avait dit d'un enfant qu'il avait pu s'intéresser à une bulle de savon et que c'était formidable pour le moment. La voilà la rupture. Parce que oui, selon moi, qui suis aussi psychanalyste et qui ai travaillé pendant des années auprès d'un public d'enfants autistes (pas en tant que psy mais en tant qu'animatrice dans un centre de loisirs spécifique), j'ai été aussi subjuguée de voir l'évolution de certains de ces enfants.
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