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mardi 31 octobre 2023

Combien de prisonniers tentent chaque année de s’évader en France ? Et combien réussissent ?

Par    Publié le 25 octobre 2023

Dans le sillage de Rédoine Faïd, dont le sort sera fixé le 25 octobre, ou d’Antonio Ferrara, des dizaines de détenus tentent de s’évader de prison chaque année en France.

Maison d'arrêt de Troyes, dans l’Aube, en 2020. 

Jugé aux côtés de ceux qui l’ont aidé à s’enfuir du centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne) en 2018, Rédoine Faïd sera fixé sur son sort mercredi 25 octobre. Cette évasion a marqué par son caractère spectaculaire – une préparation minutieuse et une fuite par hélicoptère – et par l’identité de son auteur, un récidiviste en la matière. Dans les faits, de telles opérations sont rares et, pourtant, ce sont des dizaines de détenus qui, chaque année, sont considérés comme des évadés.

Qu’appelle-t-on « évasion » ?

Rédoine Faïd n’en était pas à son coup d’essai : il s’était déjà échappé en 2013 de la maison d’arrêt de Lille-Loos-Sequedin (Nord) à l’aide d’explosifs. Sur les neuf premiers mois de 2023, l’administration pénitentiaire compte quinze évasions depuis le lieu de détention pour 72 173 personnes incarcérées au 1er janvier, soit deux pour 10 000 détenus.

Mais les évasions spectaculaires sont rares. La plupart se font sans violence et sans plan digne de la série Prison Break. Lecode pénal a une définition plus vaste : « Constitue une évasion punissable le fait, par un détenu, de se soustraire à la garde à laquelle il est soumis. »

Elles peuvent avoir lieu lors d’hospitalisations, d’extractions judiciaires (transfert de la prison vers le tribunal), de chantiers extérieurs et surtout lors de permissions de sortie ou de promenade, en ne réintégrant pas les centres pour peines aménagées ou de semi-liberté ou encore en se débarrassant d’un bracelet de surveillance électronique. En 2021, le Conseil de l’Europe recensait 734 évasions de tous types en France, soit 105 pour 10 000 détenus.

S’évade-t-on davantage que par le passé ?

Les méthodes d’incarcération et les manières de classifier les évasions ont évolué selon les époques, rendant très difficile les comparaisons dans le temps. On peut néanmoins observer de grandes tendances :

• Avant la fin du XVIIe siècle, la détention n’a pas la même fonction qu’aujourd’hui. Les prisons servent à garder les prisonniers avant leur procès et ne constituent pas des peines en soi, explique Marie Houllemare, professeure d’histoire moderne à l’Université de Genève. Adjointes aux tribunaux, les prisons sont au cœur de la ville. L’évasion est alors question de discrétion : « Les prisonniers se déguisent, forcent une fenêtre », détaille l’historienne. Et notamment hors de Paris où les prisons, des juridictions subalternes, sont en mauvais état, rendant la partie plus facile pour les fuyards.

• A partir de 1852 et à la demande de l’administration impériale, des rapports annuels sur les statistiques des prisons et des établissements pénitentiaires sont publiés. Louis Perrot, inspecteur général des prisons, adresse à « Sa Majesté » le constat suivant : trois évasions depuis des maisons centrales et 76 depuis des prisons départementales pour 48 390 détenus dans ces deux types d’établissements, soit seize évasions pour 10 000 prisonniers – huit fois plus qu’en 2023. Sans compter les 152 « jeunes détenus » qui se sont échappés d’établissements d’éducation correctionnelle.

• Juste avant la seconde guerre mondiale, en 1938, l’administration pénitentiaire recense vingt-trois évasions pour 18 000 détenus, soit treize évasions pour 10 000 prisonniers (6,5 fois plus qu’en 2023).

• Le premier rapport publié après guerre déplore l’augmentation vertigineuse des évasions : 40 pour 10 000 prisonniers (vingt fois plus qu’aujourd’hui). « Jamais, évidemment, l’administration pénitentiaire n’avait, avant la guerre, autant de détenus dangereux à garder, justifie l’administration. La transportation [l’éloignement de détenus outre-mer, abrogé en 1938] allégeait au fur et à mesure les établissements métropolitains des plus mauvais éléments qui, maintenant, demeurent sur notre sol. »

Une partie de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) en octobre 2023.

• Dans les années qui suivent, les évasions depuis des établissements fermés baissent significativement : en 1970, il n’y en a que treize (impliquant quinze personnes) pour 29 549 détenus (quatre pour 10 000). Mais le développement des placements en semi-liberté depuis les années 1950 démultiplie les possibilités de fugues : 190 prisonniers profitent de la semi-liberté pour s’enfuir.

• Depuis cinquante ans, la tendance n’a que très peu évolué ; selon les données disponibles, le nombre d’évasions fluctue d’une année sur l’autre, de quelques-unes à une trentaine.

S’évade-t-on ailleurs en Europe ?

Repris après une évasion fin 2022 de la prison de Périgueux, en Dordogne, un détenu avait fait valoir son « droit à s’enfuir » devant le tribunal correctionnel, rapporte Sud-Ouest. Sans convaincre. En France, les évasions sont punies de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende et cinq ans et 75 000 euros d’amende si elles sont réalisées avec violence, effraction ou corruption.

Pourtant, un tel « droit à s’enfuir » est reconnu dans certains pays d’Europe du Nord : en Belgique ou en Suisse, par exemple, l’aspiration à la liberté est considérée comme une disposition naturelle des êtres humains qui ne peut pas leur être opposée légalement. Une évasion n’est pas punie si aucun autre crime ou délit n’est commis pendant la fugue. Ce qui est rare, mais pas impossible : en 2019, alors que le ministère de la justice des Pays-Bas proposait de rendre l’évasion répréhensible, il mentionnait l’exemple d’un détenu qui était sorti de prison caché dans une poubelle : sans violence, sans corruption, sans vol… donc rien ne pouvait lui être imputé juridiquement.

La France est le neuvième pays d’Europe qui recense le plus d’évasions par rapport à sa population carcérale (734 en 2021 pour 69 964 détenus). En valeur absolue, c’est même la France qui en compte le plus.

La France est le neuvième pays d'Europe où les détenus s'évadent le plus

Nombre d'évasions pour 10 000 détenus dans les pays européens en 2021
LuxembourgPays-BasSuisseDanemarkFranceCroatieAllemagneNorvègePortugalMoldavieArménieUkraineHongrieAngleterre et Pays de GallesTurquieAlbanie AzerbaïdjanEstonieIslandeMalteSlovaquieEcosse
100 300 500 

Cependant, les données des évasions transmises au Conseil de l’Europe et compilées dans son rapport annuel sur la population carcérale sont calculées par les administrations nationales, méthodes d’incarcération et définitions de l’évasion variant d’un pays à un autre. La France transmet le nombre total d’évasions, peu importe la forme qu’elles ont prise.

Cependant, les données des évasions transmises au Conseil de l’Europe et compilées dans son rapport annuel sur la population carcérale sont calculées par les administrations nationales, méthodes d’incarcération et définitions de l’évasion variant d’un pays à un autre. La France transmet le nombre total d’évasions, peu importe la forme qu’elles ont prise.

Comment les détenus s’évadent-ils ?

Le bureau de la donnée de l’administration pénitentiaire, contraint par le secret statistique, ne communique pas les méthodes d’évasions ou les établissements depuis lesquels les détenus se sont enfuis car ces informations pourraient permettre d’identifier individuellement les prisonniers.

La réponse du ministère de la justice à une question posée au Sénat fin 2015 permet néanmoins d’en savoir un peu plus : sur les vingt-quatre évasions depuis la détention en 2014, huit ont eu lieu depuis des maisons d’arrêt, deux depuis des centres de détention, une depuis un établissement pour mineurs, treize depuis des centres pour peines aménagées ou centres de semi-liberté.

L’écho dans la presse qu’ont eu certaines évasions ces derniers mois nous donne également quelques indications sur les techniques adoptées : dans la nuit du 1er au 2 octobre, deux détenus de la prison pour mineurs de Quiévrechain (Nord) « se font la belle » en sciant les barreaux de leur cellule, puis en s’échappant à l’aide de draps tressés. Fin juin, un homme incarcéré à Fleury-Mérogis (Essonne) s’est, lui, évadé en utilisant une nacelle installée pour des travaux. En septembre, deux détenus du centre de détention d’Eysses (Lot-et-Garonne) profitent d’une séance de sport pour s’échapper à travers un trou dans le grillage, quand, quelques jours plus tard, un « acrobate » escalade les toits de la maison d’arrêt de Charleville-Mézières, dans les Ardennes, pour retrouver la liberté.

Par les moyens exceptionnels mis en œuvre et par l’imaginaire populaire qu’elles mobilisent, certaines évasions ont eu un retentissement considérable. En 2001, Francis Mariani, Pierre-Marie Santucci et Maurice Costa s’enfuient de la prison de Borgo (Haute-Corse) avec la bénédiction de leurs gardes : ils ont fait envoyer de faux fax du juge des libertés d’Ajaccio demandant leur levée d’écrou, trompant ainsi l’administration pénitentiaire. En 2003, un commando lourdement armé prend d’assaut la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), ouvre le feu sur les miradors et pénètre dans la prison à coups d’explosifs pour libérer le braqueur Antonio Ferrara, le « roi de la belle ».

L’évasion par hélicoptère de Rédoine Faïd en 2018 est la dernière de ce type à ce jour en France. Mais loin d’être la première. Depuis 1981, et l’évasion de Gérard Dupré et de Daniel Beaumont depuis Fleury-Mérogis, il y a eu dix-sept évasions aériennes en France. Dans les années 1990 et 2000, des fuites en hélicoptère ont lieu presque chaque année.

Les évasions réussies en hélicoptère se multiplient en France dans les années 1990 et 2000


Rédoine Faïd (2018) est le seul détenu à s'être enfui par les airs depuis 2009
19801990200020102020
0,5 1,5 2,5 3,5 

Certaines de ces évasions sont passées à la postérité : en 1986, Michel Vaujour s’évade de la prison de la Santé, à Paris, grâce à un hélicoptère piloté par sa femme. Pascal Payet s’évade par deux fois en hélicoptère, du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône) en 2001, puis de la maison d’arrêt de Grasse (Alpes-Maritimes) en 2007, après avoir entre-temps organisé l’évasion par les airs de trois détenus à Luynes (Indre-et-Loire) en 2003.

Cette épidémie d’évasions par les cieux a contraint l’Etat à signer, en 2007, un protocole de prévention des évasions par hélicoptère avec les exploitants d’appareils. Des filets antiaériens ont aussi été peu à peu installés dans les cours de prison. A la suite de la cavale de Redoine Faïd, en 2018, la ministre de la justice d’alors, Nicole Belloubet, avait également demandé à Google de flouter les vues aériennes des prisons.


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