Publié le 2 novembre 2023
TRIBUNE
Collectif
Nous, soignants de toutes spécialités et de toutes origines, souhaitons nous opposer fermement et de manière unie au projet de suppression de l’aide médicale d’Etat (AME) au profit d’un dispositif dégradé.
L’AME est une aide sociale qui permet aux personnes étrangères en situation administrative irrégulière d’avoir accès aux soins. Il s’agit d’un outil de lutte contre les exclusions qui n’est accessible que pour les personnes dont les ressources sont inférieures à 810 euros par mois et qui font preuve d’une résidence stable en France.
Les patients que nous soignons et qui bénéficient de l’AME ne sont pas, dans leur grande majorité, des personnes qui ont migré vers la France pour se faire soigner, mais des personnes qui ont fui la misère, l’insécurité ou qui l’ont fait pour des raisons familiales. Leurs conditions de vie difficiles en France les exposent à des risques importants : problèmes de santé physique et psychique, maladies chroniques, maladies transmissibles ou contagieuses, suivi prénatal insuffisant et risque accru de décès maternels.
Retards de diagnostic
A ce titre, il s’agit d’une population prioritaire en matière de santé publique. Limiter leur accès aux soins aurait pour conséquence directe d’entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi plus globalement celui de la population toute entière. En témoigne l’exemple malheureux de l’Espagne : la restriction de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière votée en 2012 y a entraîné une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses ainsi qu’une surmortalité. Cette réforme a finalement été abrogée en 2018.
Nous, soignants du terrain, sommes extrêmement préoccupés à l’idée de devoir soigner dans un système de santé amputé de l’AME, car celui-ci serait alors exposé à un risque de paralysie. Les personnes étrangères sans papiers n’auraient d’autre choix que de consulter dans les permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et les services d’accueil et d’urgences, déjà fragilisés et en tension, et qui se trouveraient à nouveau contraints d’assumer les conséquences de décisions politiques éloignées de nos réalités.
Les barrières à l’accès aux soins sont déjà multiples pour ces patients. Les exclure encore davantage ne pourrait qu’entraîner leur renoncement aux soins et la dégradation de leur état de santé. L’éloignement du système de santé aboutit in fine à des retards de diagnostic, au déséquilibre et à l’aggravation des maladies chroniques, ainsi qu’à la survenue de complications. Le recours aux soins dans ce contexte survient en urgence avec des hospitalisations complexes et prolongées, parfois en réanimation, dans des structures déjà fragilisées, et à des coûts finalement bien plus élevés pour la collectivité, sans oublier les difficultés attendues à transférer ces patients en soins de suite et de réadaptation, qui requièrent une couverture maladie.
Dans le contexte de crise que vit l’hôpital public, et dont le Covid-19 a été le révélateur, la remise en cause de l’AME ferait donc courir un risque majeur de désorganisation du système de santé, d’aggravation des conditions de travail des soignants et de surcoûts financiers importants.
Leur santé, c’est aussi la nôtre
Nous, soignants exerçant en libéral, à l’hôpital, en centre de santé, en protection maternelle et infantile, dans les PASS, dans les structures de prévention et auprès d’associations, soignons les personnes sans papiers comme n’importe quels autres patients. Par humanité, et conformément au code de déontologie médicale auquel nous nous référons et au serment d’Hippocrate que nous avons prêté à la fin de nos études. C’est l’honneur de notre profession.
Restreindre l’accès aux soins à une population fragilisée sur la base d’un critère de régularité du séjour est contraire à la majorité des textes en vigueur en France sur les droits de l’homme, qui stipulent que tout individu doit avoir accès aux soins quels que soient son origine et son statut. Ainsi, nous refusons d’être contraints à faire une sélection parmi les malades entre ceux qui pourront être soignés et ceux laissés à leur propre sort. Nous demandons le maintien de l’AME pour la prise en charge des soins des personnes étrangères.
Au-delà de sa raison d’être humaniste, l’AME est aussi un outil essentiel à la santé des individus et à la santé publique. Leur santé, c’est aussi la nôtre. Les restrictions politiques ne feront qu’éprouver les corps, contribuer à la dégradation de la santé publique, compliquer la tâche des soignants et fragiliser un système de santé déjà exsangue.
Nous appelons donc le gouvernement et nos élus à renoncer à tout projet portant atteinte à l’AME ou venant restreindre son périmètre, et à conforter l’accès à une couverture maladie pour tous.
Premiers signataires : Valérie Achart-Délicourt, infirmière, cadre supérieure de santé, vice-présidente de la Société française de lutte contre le sida ; Françoise Barré-Sinoussi, virologue, Prix Nobel de médecine en 2008 ; Jean-François Delfraissy, professeur d’immunologie, président du Comité consultatif national d’éthique ; Anne-Laure Feral-Pierssens, médecin urgentiste, cheffe du SAMU 93-Urgences des hôpitaux Paris Seine-Saint-Denis ; Agnès Giannotti, médecin généraliste, présidente du syndicat MG-France ; Rémi Laporte, médecin (coordination régionale des permanences d’accès aux soins de santé à Marseille) ; Julien Le Breton, médecin généraliste, président de la Société française de médecine générale ; Florence Rigal, médecin interniste, présidente de Médecins du monde France ; Rémi Salomon,pédiatre, président de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement de CHU ; Nicolas Vignier, infectiologue, coordonnateur du groupe migrants et populations vulnérables de la Société de pathologie infectieuse de langue française.
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