par Eve Szeftel publié le 3 février 2023
Elodie est à la rue depuis deux mois. «Des propositions d’hommes pour se faire héberger en échange de sexe, je ne les compte même plus, parfois ce n’est même pas des propositions, ils cherchent à me prendre de force, témoigne cette mère de deux filles de 3 et 5 ans auprès de la Fondation Abbé-Pierre. Une fois, il y a trois hommes là, ils ont failli me violer. J’étais avec les deux petites. C’est trop dur de vivre ça.» Dans son dernier rapport annuel publié mercredi, l’association a choisi de traiter la question du mal-logement, qui touche 4,1 millions de personnes en France, sous l’angle du genre. Elle montre que les femmes, bien que mieux protégées par les institutions, surtout si elles ont des enfants, sont plus exposées que les hommes aux violences, notamment à caractère sexuel, dès lors qu’elles se retrouvent à la rue ou en situation de dépendance pour leur logement.
Tête rasée
Certes, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à dormir dehors : elles représentaient 5 % des 27 000 sans-abri recensés en France en 2016 (parmi les 330 000 SDF, les premiers n’ayant strictement aucune solution de logement). Un chiffre toutefois sans doute «sous-estimé en raison d’une moindre visibilité», note la Fondation Abbé-Pierre. Car «pour se soustraire à la violence de la rue, les femmes sans abri élaborent des stratégies pour se dissimuler dans l’espace public ou recourent plus souvent que leurs homologues masculins aux structures d’hébergement et à l’hébergement chez des tiers».
Se rendre invisible, se terrer, telle est la stratégie adoptée par Laurence pour survivre. Après avoir été hébergée par une cousine, cette femme de 45 ans s’est installée dans les parkings du sous-sol de La Défense. Pour déjouer les codes de la féminité, elle s’est rasé la tête. La journée, elle fréquente parfois un accueil de jour pour prendre un café, retrouver des visages familiers, mais «il y a des bagarres, des hommes qui boivent, qui se droguent, qui sont violents, qui intimident les femmes». Alors, elle a tendance à s’isoler. Il lui arrive même de rester dans son abri pendant cinq jours, sans sortir, afin d’être tranquille.
«Il me dégoûtait»
Mais être hébergée n’est pas forcément plus sûr. «S’il y avait un MeToo de l’hébergement chez des tiers, il y aurait beaucoup de témoignages», assure Manuel Domergue, le directeur des études à la Fondation. Régine Komokoli, 41 ans, arrivée en France en 2001 de Centrafrique avec un visa de touriste, a raconté son parcours à Libération. «Très vite je me suis retrouvée en situation irrégulière. Je dormais chez une logeuse à Angers, dans le salon, raconte-t-elle.Comme j’avais pas les moyens de la payer, elle me présentait à des hommes et elle empochait directement l’argent.» Régine Komokoli a du mal à prononcer le mot «prostitution», même si les agissements de sa logeuse relèvent du proxénétisme et seraient passibles, à ce titre, de sept ans de prison.
Sa logeuse lui présente un client qui prétend vouloir l’aider à obtenir des papiers, et qu’elle épouse. «Il a voulu consommer le mariage, raconte-t-elle. Il était vieux, il me dégoûtait.» Elle se laisse faire. Pas le choix si elle veut être régularisée, pouvoir travailler et avoir son propre logement. «Sans ça, je n’aurais pas accepté ce qui pour moi, aujourd’hui, est clairement du viol.» Quand elle finit par quitter le domicile conjugal au bout de trois ans, son mari dénonce le mariage blanc, ce qui interrompt le processus de naturalisation.
En mars 2019, elle se retrouve de nouveau sans toit, avec trois filles (dont un bébé) après avoir été victime de violences de la part de son compagnon. S’ensuivent «1016» nuits de galère. «Le 115 nous a orientées vers un hôtel à 15 kilomètres de Rennes, alors que mes enfants y allaient à l’école. Nous avions une chambre de 7 m². Le gérant rentrait quand il voulait. Une fois il est tombé sur mon aînée qui était nue, elle sortait de la douche. Alors j’ai décidé de partir.»Cette fois, elle refuse de passer par le 115 et fait dormir ses enfants dans la voiture. Mais ce n’est pas vivable. Moyennant 300 euros, elle trouve une logeuse qui lui concède une chambre, mais chez qui elle n’a pas le droit de rentrer après 21 heures ou de se laver plus d’une fois par semaine et doit éviter de cuisiner pour ne pas consommer trop de gaz. L’errance reprend jusqu’à ce qu’elle obtienne un appartement hors de Rennes. «Si on aide les gens, qu’on les régularise, ils vont le rendre à la société», assure celle qui est désormais conseillère départementale EE-LV d’Ille-et-Vilaine et aime se définir comme une «migrante sans papiers devenue élue de la République». Au département, elle travaille aujourd’hui «avec des mineurs non accompagnés» et a remarqué un déséquilibre genré : «On voit surtout les garçons, peu les filles. Où sont-elles ? Elles sont prises dans des réseaux de prostitution, elles subissent du chantage sexuel aux papiers ou sont piégées dans des mariages forcés».
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