par Aurore Coulaud publié le 28 janvier 2023
C’est un fait : le changement climatique est un multiplicateur de menaces, même les plus inattendues. D’après l’Organisation des Nations unies (ONU), les mutilations génitales féminines (MGF), ou excisions, ont augmenté de presque 30 % dans les zones d’Afrique les plus touchées par la hausse des températures. L’association de solidarité internationale Vision du Monde, qui vient en aide «aux enfants les plus vulnérables», tient à alerter «sur ces pratiques dangereuses qui violent les droits des filles, et sont très préjudiciables pour leur avenir», alors que se tient le 6 février la journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines. L’ONU espère éliminer complètement cette pratique d’ici à 2030.
La Corne de l’Afrique – frappée par la pire sécheresse depuis quarante ans – «reflète particulièrement le cercle vicieux qui se met en place lorsque l’aridité menace l’équilibre des communautés villageoises. La perte du bétail et la désertification des cultures viennent mettre à mal la sécurité alimentaire et économique déjà fragile des familles, souligne l’ONG qui a lancé une vaste campagne de sensibilisation. Au bord du gouffre, les parents voient alors le mariage de leurs enfants comme une solution à leurs problèmes et une bouche de moins à nourrir. Les MGF sont alors un rite de passage encore trop souvent pratiqué pour préparer les petites filles à devenir de “bonnes épouses”. C’est un fait : elles sont davantage mariables lorsqu’elles sont excisées. On les sacrifie.»
«Pratique vieille de six siècles avant Jésus Christ»
En Ethiopie et en Somalie, entre janvier et avril 2021 et la même période en 2022, les mariages d’enfants ont augmenté en moyenne de 119 % dans les régions les plus touchées par la sécheresse. Dans le même laps de temps, les cas de mutilations génitales féminines ont augmenté de 27 %, rapporte l’ONU. Au Kenya, 14 des 23 comtés touchés par la sécheresse sont déjà des zones sensibles aux MGF, avec des taux de prévalence atteignant 98 %, relayait en juin 2022 l’organisation intergouvernementale. Des pays où, pourtant, la pratique est illégale. «Le poids de la norme sociale est tellement fort que c’est perpétué, souligne Camille Romain des Boscs, directrice générale de Vision du Monde. Et l’augmentation de la médicalisation de l’acte par un personnel dédié donne une fausse apparence de normalité.»
A ce jour, «plus de 200 millions de jeunes filles et de femmes ont été victimes de mutilations sexuelles pratiquées dans trente pays africains, du Moyen-Orient et de l’Asie où ces pratiques sont concentrées», estime l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Dans certains pays, échapper aux MGF relève de l’exception, comme à Djibouti, en Guinée, au Mali et en Somalie, où environ 90 % des filles sont concernées, martèle quant à elle l’ONG. Presque aucun continent n’est épargné. «C’est aussi le quotidien d’une partie des populations immigrées en Amérique du Nord, en Australie, en Nouvelle-Zélande, ainsi qu’en Europe», où 125 000 femmes adultes étaient concernées rien qu’à l’échelle de la France en 2019. «On entretient l’illusion d’une tradition qui est pourtant parfois abandonnée par les communautés d’origines», pointe Camille Romain des Boscs.
Et la menace plane sur plus de quatre millions de jeunes filles chaque année dans le monde, si l’on en croit le Fonds des Nations unies pour la population, avec qui l’Unicef mène un programme de lutte dans dix-sept pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Et ce, alors même que «cette pratique vieille de six siècles avant Jésus Christ avait baissé et épargné deux millions de personnes par an», regrette Isabelle Gillette-Faye, directrice générale de la Fédération nationale Gams.
Combinaison de multiples facteurs
Quelle part de ces chiffres est directement imputable au réchauffement climatique ? Impossible à dire, selon Camille Romain des Boscs : «C’est comme pour les données concernant les réfugiés climatiques…» En revanche, «on sait que cette accélération des excisions n’est pas le seul fait du climat mais résulte de la combinaison de multiples facteurs : la faible scolarisation, l’accentuation des phénomènes climatiques extrêmes et l’impact sur l’agriculture, le tout corrélé aux effets du Covid – avec les filles qui restent à la maison – et de la guerre en Ukraine, avec le manque d’approvisionnement en denrées.» A la suite de quoi, les exciseuses de certains pays d’Afrique – où la pratique était pourtant abandonnée – ont repris du service.
Pour lutter contre ce fléau, l’ONG Vision du Monde tente de s’attaquer aux causes profondes de la perpétuation de la pratique. En premier lieu, la pauvreté. Depuis dix ans, «notre projet Kenya Big Dream tâche d’améliorer les conditions de vie des familles, leurs pratiques agricoles, de développer des activités génératrices de revenus, notamment grâce à des groupes d’épargne et de crédits. Cela réduit la tentation d’avoir à marier les enfants, explique Camille Romain des Boscs. On travaille aussi avec les chefs religieux, on sensibilise les parents mais aussi les grands-parents qui sont très influents. On met en place des cérémonies de rites alternatifs et on renforce l’accès à l’éducation des filles.» Plus elles vont à l’école, plus elles sont protégées du mariage et donc de l’excision. Par ailleurs, les programmes de l’ONG visent aussi à reconvertir les femmes qui pratiquent ces mutilations. «Si l’exciseuse stoppe, c’est qu’on a déjà gagné.»
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