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vendredi 3 février 2023

Mathieu Palain : “Si ces hommes sont violents, c’est aussi parce que nous les avons laissés faire”

Maëlys Kapita  Publié le 03/02/23

Dans son livre Mathieu Palain, poursuit le travail qu’il avait commencé avec le podcast « Les hommes violents », diffusé en 2019 sur France Culture.

Agresseurs, victimes, experts… Dans son livre enquête “Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents”, le journaliste Mathieu Palain croise sans censure les témoignages pour désamorcer les clichés et idées reçues sur la violence masculine.

Les « hommes violents », souvent pris comme un tout, nourrissent les mythes les plus sombres : ex-taulard au parcours cabossé, accro à l’alcool ou autre substance illicite, pauvre et indigent. Et si le portrait de l’homme violent n’était pas aussi figé ? Si ce monstre se dissimulait parmi nos pères, nos frères et nos amis ? C’est la question que s’est posée Mathieu Palain, auteur du livre Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents (éd. Les Arènes). À la suite de son podcast à succès Les hommes violents (2019), diffusé par France Culture, en immersion dans un groupe de parole, le journaliste indépendant a poursuivi son enquête pendant quatre ans, à la recherche de nouveaux témoignages, balayant les clichés. En discutant avec les agresseurs, l’auteur tisse leurs histoires à la sienne, interrogeant l’idéal qui pousse les hommes à se conformer au rôle viril qui leur est si souvent assigné. « Qu’est-ce qu’un mec à la hauteur ? Un homme, un vrai ? »

Comment fait-on pour entrer dans l’intimité d’une femme qui a subi des violences quand on est un homme ?

On pose des questions. Et ma question initiale était : d’où vient la violence ? Pour y répondre, il fallait que j’aille chercher au-delà du cliché du pervers narcissique manipulateur. Je voulais déconstruire ce mythe, car il exclut une très large partie des responsables. Je ne prétends pas me mettre à la place des femmes que je rencontre, au contraire. Notre rôle de journaliste, homme ou femme, est tout entier à cet endroit : questionner. Ma légitimité, je la tiens donc de mon métier. Et je ne me suis mis aucune barrière en abordant ce sujet qui prenait de l’ampleur dans le débat public, auquel je n’étais pas indifférent mais pour lequel j’avais des lacunes énormes. En revanche, je ne me présenterai jamais comme un expert.

Qu’avez-vous découvert en intégrant les groupes de parole ?
Au départ, j’ai été très surpris. Dans mon imaginaire, j’allais assister à des groupes de parole qui ressemblaient plus ou moins à des séances d’alcooliques anonymes. Ou à des réunions comme dans Fight Club, avec une dizaine de gaillards en cercle, chacun à son tour prenant la parole pour dire « Bonjour, je m’appelle X, j’ai tel âge et je frappe ma femme ». Mais cette phrase, je ne l’ai quasiment jamais entendue. En revanche, j’ai observé un déni structurant leurs discours, voire une inversion de la culpabilité.

“Avec #MeToo, les hommes ont bien conscience qu’ils ne peuvent plus être fiers d’avoir frappé leur femme.”

Comment l’expliquent-ils ?
Certains se disent victimes d’un complot, avec parfois des affirmations délirantes. Un des hommes interrogés dans le livre explique qu’avec #MeToo les femmes auraient repris le pouvoir et entameraient une vengeance collective. Pour autant, j’ai pu constater la force du mouvement, qui a imposé, y compris chez eux, un changement de norme assez brutal. Ils avaient bien conscience qu’ils ne pouvaient plus être fiers d’avoir frappé leur femme. Un des hommes explique qu’à son arrivée en prison il a dissimulé la vraie raison de son incarcération, il en avait trop honte.

Pourquoi avoir décidé de prolonger l’enquête, après votre podcast en ligne sur France Culture ?
À la suite de ce podcast, très écouté et médiatisé, j’ai reçu énormément de retours d’auditrices, disant qu’elles se reconnaissaient dans les témoignages et souhaitaient à leur tour raconter leur propre vécu. Dans leurs récits émergeait un élément nouveau pour moi : la violence de « puissants », de gens au-dessus de tout soupçon, bien insérés dans la société, avec une bonne réputation. Des directeurs de banque, des traders, des hommes haut placés dans la culture, des chirurgiens, etc. Les maris ou ex-conjoints de ces femmes – presque exclusivement des auditrices régulières de France Culture – n’avaient jamais été inculpés. Et les histoires que je lisais étaient exactement les mêmes que celles narrées dans le podcast. Donc j’ai voulu compléter le travail déjà amorcé.

“C’est un problème structurel qui nous concerne tous. Si ces hommes sont violents, c’est aussi parce que nous les avons laissés faire.”

La violence des hommes notables est-elle trop invisibilisée ?
D’une part, elle est moins repérable que pour les familles modestes qui habitent dans des immeubles où tout le monde se connaît, où la femme qui se fait frapper au quatrième étage est une amie ou une proche voisine. Ensuite, la psychiatre Liliane Daligand explique dans mon livre que les notables portent peu plainte à cause de la « honte sociale ». Porter plainte, c’est toujours compliqué. Mais porter plainte contre un homme puissant, ça l’est encore plus, aussi bien psychologiquement que financièrement – car il dispose de moyens importants pour se défendre. D’autant que la justice rechignera plus à condamner des notables jouissant d’une réputation qu’un travailleur de chantier, un chômeur ou un immigré sans papiers, pour caricaturer.

Vous évoquez la théorie du « cycle de la violence » comme une sorte de fatalité qui toucherait les hommes violents. Pour autant, sont-ils condamnés à être des agresseurs ?
Je ne pense pas que ce cycle soit une fatalité. On aimerait que ce soit simple, qu’il suffise d’appuyer sur un bouton pour que les hommes violents changent, qu’ils « guérissent », mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent. C’est un problème structurel qui nous concerne tous. Si ces hommes sont violents, c’est aussi parce que nous les avons laissés faire. Depuis des siècles, on enferme les garçons dès le plus jeune âge dans des schémas : un homme ne doit pas pleurer, être capable de se servir de ses poings face à l’humiliation et au mépris. Parallèlement, les filles doivent être douces et dociles. L’injonction à la virilité est omniprésente, y compris dans les représentations cinématographiques. C’est tout un modèle à repenser, car les rapports de domination sont visibles dès l’enfance.

Ce système normalise la violence envers les femmes… y compris de la part d’autres femmes ?
Ce conditionnement les a effectivement touchées aussi. Des femmes ont grandi avec un modèle de couple où régnait la violence, elles ont intégré ces normes et reproduisent des comportements qui les mettent en danger. Lucile, qui témoigne dans le livre et a été battue par son petit ami étant adolescente, confie qu’elle et ses amies valorisaient « l’amour toxique », celui où les hommes sont des « bad boys » pas toujours sympas, et non des « canards », trop gentils et fades.

Selon le rapport annuel 2023 du Haut Conseil à l’égalité sur l’état des lieux du sexisme en France, publié le 23 janvier, 23 % des jeunes hommes considèrent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter. Pourquoi cet état d’esprit archaïque persiste-t-il ?
À mon avis, ce chiffre aurait pu être plus élevé en réalité. Cette génération a été élevée avec des profils d’hommes virils et dominants, à la télé ou au cinéma. Ce schéma se décline ensuite à tous les niveaux, y compris à l’école, chez les puissants ou les plus faibles. Les 24-35 ans n’ont pas grandi avec des représentations de la « déconstruction » que l’on voit depuis quelques années, notamment dans les films Disney ou les séries Netflix. Donc ce chiffre n’est pas surprenant. En revanche, si, dans une dizaine d’années, il reste inchangé, il faudra tirer la sonnette d’alarme.

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