Par Pascale Santi Publié le 29 janvier 2023
Une étude française menée auprès de 9 000 patients pris en charge dans des hôpitaux généraux constate, en vingt ans, une nette baisse de la mortalité à deux ans. Une évolution en lien avec des progrès thérapeutiques.
Bonne nouvelle sur le front du cancer du poumon : la mortalité à deux ans a diminué en France, passant de 79 % en 2000 à 74 % en 2010, puis à 52 % en 2020, comme l’indiquent les résultats, non encore consolidés, de l’étude KBP-2020-CPHG, présentée dimanche 29 janvier lors du Congrès de pneumologie de langue française à Marseille. La survie à un an est passée de 40 % en 2000 à 55 % en 2020.
Ce travail du Collège des pneumologues des hôpitaux généraux (CPHG) porte sur près de 9 000 nouveaux cas de cancer bronchique primitif (cancer du poumon), tous types de tumeurs et à tous les stades, répertoriés en 2020 par 82 centres. L’objectif est de décrire les cancers du poumon et de les comparer aux cohortes de 2010 et de 2000.
« Cela confirme l’impression clinique que l’on avait, avec une prise en charge améliorée due à l’évolution des thérapeutiques, notamment l’immunothérapie, avancée majeure dans la prise en charge des cancers broncho-pulmonaires », a expliqué Hugues Morel, pneumologue au centre hospitalier régional d’Orléans et président du CPHG, lors d’une conférence de presse. « Cette amélioration est constatée quel que soit le stade de cancer lors du diagnostic, même si elle est plus importante pour les stades non métastatiques », constate Didier Debieuvre, chef du service de pneumologie au groupe hospitalier de la région de Mulhouse Sud-Alsace, qui coordonne l’étude KBP. « La médiane de survie [période au bout de laquelle 50 % des patients sont vivants] tous stades et tous types confondus a doublé, passant de 8,8 mois en 2000 à 9,7 mois en 2010 et à 17,1 mois en 2020 », poursuit le spécialiste.
« Cette étude est très intéressante, car il s’agit de patients d’hôpitaux généraux, et non de centres spécialisés, c’est un gros travail, indique Charles-Hugo Marquette, chef du service de pneumologie au CHU de Nice, qui ne participe pas à l’étude. J’exerce depuis trente-quatre ans, et ça ne s’est amélioré que sur les quinze dernières années. Avant, les changements étaient plus marginaux. »
Traitements ciblés et immunothérapie
La nouvelle mérite d’être saluée pour ce cancer, très largement lié au tabagisme, qui touche en moyenne plus de 46 300 nouvelles personnes par an (31 200 hommes et 15 100 femmes). Il reste la première cause de mortalité par cancer en France, avec 33 000 décès chaque année.
« Ces progrès s’expliquent par un meilleur accès aux traitements et par une meilleure efficacité des traitements ciblés et l’immunothérapie », souligne Didier Debieuvre. « Ils concernent avant tout les cancers métastatiques, mais également les stades localement avancés pour l’immunothérapie. Le bénéfice dans les stades localisés est maintenant démontré pour les thérapies ciblées anti-EGFR [récepteurs du facteur de croissance épidermique] après chirurgie et pour l’immunothérapie en pré et postopératoire », développe le spécialiste. Dans les formes localisées, la chirurgie reste le traitement de référence pour retirer la tumeur.
Les thérapies ciblées, comme les inhibiteurs de protéines kinases, agissent sur les anomalies moléculaires, responsables de la cancérogenèse chez un patient donné. Ces anomalies moléculaires sont recherchées dès le diagnostic, sur la biopsie de la tumeur ou dans le sang. Ces mutations actuellement ciblables ne sont présentes que dans certains types de cancer du poumon (cancers dits non à petites cellules non épidermoïdes). « A ce jour, on trouve seulement 10 % des patients pour lesquels l’altération est ciblable par ces médicaments oraux, peu toxiques et puissamment efficaces », résume Charles-Hugo Marquette. Autre stratégie thérapeutique, l’immunothérapie agit sur le micro-environnement autour de la tumeur du patient en stimulant les défenses immunitaires de l’hôte.
« De longs survivants »
Une étude, appelée ESCAP-2020-CPHG, portant sur 7 200 patients de la cohorte KBP, va permettre de décrire l’ensemble des traitements instaurés pendant cinq ans après le diagnostic. Pour l’heure, alors qu’un cancer du poumon localisé, et opéré, a un taux de guérison d’environ 80 %, le pronostic est souvent sombre à cinq ans pour les autres cancers du poumon, avec un taux de survie d’environ 15 % – mais cela devrait s’améliorer au regard des résultats de l’étude KBP.
« Nous voyons de longs survivants, c’est-à-dire des patients qui vivent plusieurs années avec un cancer pourtant d’emblée métastatique, ce qui n’était pas le cas il y a encore huit ans, se réjouit Charles-Hugo Marquette. A terme, on peut espérer que le cancer du poumon devienne une maladie chronique, comme c’est le cas dans certains cancers du sein. »
Point négatif – et ce n’est pas une surprise –, le cancer du poumon ne cesse de progresser chez la femme. Il est passé de 16 % en 2000 à 24 % en 2010 et à 35 % en 2020, en raison de l’augmentation du tabagisme, responsable de 85 % des cas de cancer du poumon. Les femmes se sont mises à fumer à partir des années 1980, soit un « retard » de trente ans par rapport aux hommes. Autre enseignement de l’étude KBP, les personnes avec un cancer du poumon ont un risque de décès multiplié par trois lors d’une infection par le SARS-CoV-2.
Enfin, la majorité des cancers bronchiques (environ 60 %) sont dépistés à un stade tardif, métastatique, quand le malade a des symptômes : état général altéré, fatigue, douleur, toux… D’où l’enjeu crucial du dépistage organisé de ces tumeurs chez les plus de 50 ans fumeurs ou ex-fumeurs (depuis moins de quinze ans). Réclamée depuis plusieurs années par des spécialistes, cette stratégie permettrait une diminution du risque de décès par cancer du poumon de plus de 25 %.
« Cela pourrait éviter 7 000 morts par an en France par cancer du poumon », précise Didier Debieuvre. La Haute Autorité de santé a recommandé la mise en place d’expérimentations début 2022 et le lancement de projets pilotés par l’Institut national du cancer. Des études sont en cours.
- A l’échelle mondiale, 2,21 millions de cas de cancers du poumon ont été recensés, en 2020, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce qui situe ces tumeurs au deuxième rang quant au nombre de personnes touchées par un cancer, juste derrière celui du sein (2,26 millions de cas).
- Ces tumeurs sont à l’origine du plus grand nombre de décès par cancer dans le monde : 1,8 million en 2020, loin devant les tumeurs colorectales (916 000 décès) et celles du foie (830 000 décès), estime également l’OMS.
- En France, les tumeurs du poumon sont le troisième cancer le plus fréquent, et le premier pour ce qui est de la mortalité.
- Le tabagisme multiplie entre 10 et 15 le risque de cancer du poumon, par comparaison aux non-fumeurs. La consommation de tabac sous diverses formes est impliquée dans 87 % de ces tumeurs chez l’homme, 70 % chez la femme. L’exposition au tabagisme passif augmente également le risque de ces tumeurs, mais en moindre proportion : + 26 %.
- Bien d’autres facteurs de risque ont été identifiés, environnementaux et professionnels. Sur le plan environnemental, le radon, gaz radioactif naturel, est la deuxième cause de cancer du poumon, responsable de 10 % des cas en Europe. La pollution atmosphérique, et notamment celle aux particules fines, est, elle, en accusation dans 4 % des cas.
- De nombreuses sources d’exposition professionnelle ont aussi été recensées : amiante, rayonnements ionisants, silice cristalline, cadmium, nickel…
Sources : OMS, Cancer-environnement.fr/fiches/cancers/cancer-du-poumon/
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