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mardi 31 janvier 2023

Notre cerveau est équipé pour apprendre sans oublier

Cet article a été publié dans sa version originale le 07/12/2022

THE ECONOMIST (LONDRES)

La réorganisation des connexions entre les neurones est à la base du processus de mémorisation. Mais comment apprend-on sans “écraser” ce que l’on sait déjà ? Des scientifiques ont trouvé la réponse, raconte “The Economist”.
Il est difficile d’apprendre de nouvelles choses. Il est encore plus difficile de se souvenir de ce qu’on a appris. Tout système d’apprentissage efficace, que ce soit un cerveau ou un logiciel d’intelligence artificielle, doit présenter le juste équilibre entre stabilité et flexibilité : il doit être suffisamment stable pour se rappeler les informations anciennes mais suffisamment flexible pour en apprendre de nouvelles sans détruire les traces des vieux souvenirs – de préférence aussi longtemps qu’il existe.

L’apprentissage est le résultat d’une modification des connexions neuronales dans le cerveau. Les cellules nerveuses sont connectées par un tout petit espace appelé synapse qui est situé à l’extrémité de leurs branches. Des molécules appelées neurotransmetteurs traversent ces espaces et transmettent ainsi les messages. On estime actuellement qu’un cerveau humain compte 600 000 milliards de synapses.

Stabilité vs plasticité

Comment le cerveau gère-t-il le dilemme entre stabilité et plasticité (capacité à se restructurer), en particulier au fur et à mesure qu’il vieillit et donc stocke des informations ? D’après une étude réalisée par Dimitra VardalakiKwanghun Chung et Mark Harnett, du Massachusetts Institute of Technology, qui vient d’être publiée dans Nature, l’un des moyens pour le cerveau de gérer ce dilemme, c’est de conserver à l’âge adulte un type de synapse qu’on trouve chez les enfants et qui forme les souvenirs. Elles sont appelées les synapses silencieuses.

Les synapses silencieuses, qui, comme leur nom l’indique, ne transmettent pas de signaux d’une cellule nerveuse à une autre, se trouvent souvent à l’extrémité de filopodes, de minces protubérances immatures qu’on trouve sur les cellules nerveuses. Jusqu’à présent, on pensait qu’elles disparaissaient au fur et à mesure que le cerveau mûrissait. Vardalaki, Chung et Harnett ont cependant démontré que non seulement elles demeurent présentes à l’âge adulte, mais aussi qu’elles sont nombreuses, du moins chez les souris.

Après avoir étudié les connexions neuronales du cortex visuel de souris adultes, les chercheurs ont constaté qu’un peu plus d’un quart d’entre elles étaient des synapses silencieuses sous forme de filopodes. Or les cerveaux humain et murin sont suffisamment semblables pour qu’on trouve presque certainement la même chose chez l’homme.

Le trio a fait appel à une technique d’imagerie à très haute résolution appelée eMap. Ils ont étudié 2 234 synapses situées entre des cellules nerveuses qui possèdent des milliers de synapses chacune. Avec un microscope eMap, on peut déterminer quelles protubérances sont des filopodes mais pas quelles synapses sont silencieuses.

Des synapses en réserve

Pour cela, les chercheurs ont dû tester comment les filopodes réagissaient au glutamate, le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau. Pour commencer il a fallu envoyer un flux constant de glutamate aux synapses en question. Les chercheurs ont ensuite dirigé des faisceaux laser sur la synapse, ce qui a libéré le neurotransmetteur. Ils ont mesuré l’activité électrique sur cette partie du neurone grâce à une électrode ultrafine pour voir si la synapse réagissait.

Ils ont constaté, comme ils s’y attendaient, que les protubérances des neurones matures généraient une activité électrique quand elles étaient exposées au glutamate. En revanche ce n’était pas le cas des filopodes, ce qui confirmait que leurs synapses étaient silencieuses.

Les synapses silencieuses ne servent à rien sauf si on peut les activer au moment approprié. Et les chercheurs ont confirmé que c’était possible. Ils ont pu amener les versions silencieuses des filopodes à se transformer en synapses actives, matures, en combinant la libération de glutamate avec un courant électrique provenant du corps du neurone.

En quelques minutes, les synapses silencieuses se sont mises à présenter des molécules réceptrices caractéristiques des synapses actives. Le même procédé appliqué à des synapses matures n’a rien donné. Il est donc difficile d’amener les synapses matures à changer la nature de leur connexion (ce qui répond au côté stabilité du dilemme) mais facile de faire parler les synapses silencieuses (ce qui répond au côté plasticité).

(Ainsi, le cerveau adulte, en plus de conserver la stabilité des connexions neuronales existantes et les souvenirs qui sont associés à ce réseau, est capable à travers des connexions établies mais silencieuses de continuer d’apprendre de nouvelles choses. Stabilité et plasticité peuvent cohabiter.)

La prochaine étape, c’est de déterminer comment, pourquoi et quand apparaissent de nouveaux filopodes. D’après Harnett, la découverte de ces synapses silencieuses sous forme de filopodes avides d’apprendre “va nous permettre de commencer à comprendre comment se fait l’apprentissage chez l’adulte et comment éviter qu’il se dégrade au cours du vieillissement ou à la suite d’une maladie”. 


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