Par Mariama Darame et Solène Cordier Publié le 2 février 2023
Les sénateurs se sont accordés sur « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Si les députés valident la formulation, le texte pourra être soumis à référendum. Mais tous souhaitent un projet de loi du gouvernement, qui permettrait d’éviter d’aller aux urnes.
Le Sénat a fait un pas sans précédent vers l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, mercredi 1er février. Les élus du Palais du Luxembourg ont voté à 166 voix pour contre 152 une proposition de loi constitutionnelle visant non pas à inscrire un « droit à l’IVG » – principe notamment défendu par les associations féministes et adopté à l’Assemblée nationale le 24 novembre 2022 par une large majorité – mais « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse » insérée à l’article 34 de la Constitution. « Un pas vers le compromis » avec l’Assemblée, a salué le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti.
Cette proposition a été adoptée par le biais d’un amendement du sénateur de la Manche Philippe Bas (Les Républicains, LR) : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. » « Il n’y a pas de droit absolu, il y a une liberté déjà reconnue et que nous pouvons écrire dans la Constitution, a justifié Philippe Bas en référence à la loi Veil de 1975 sur l’IVG, mais à la condition qu’il y ait une conciliation entre les droits de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naître après un certain délai. »
A droite, cette démarche solitaire d’amender ce texte a suscité une forme d’incompréhension et même une opposition farouche de certains de ses collègues, à commencer par le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau. « Je ne vois strictement aucune raison de modifier le vote que nous avons déjà émis à l’automne dernier, avait prévenu l’élu vendéen en séance. La Constitution française de la Ve République n’est pas faite pour adresser des messages symboliques au monde entier. » En octobre 2022, la droite sénatoriale avait fait échouer sur le même sujet une proposition de loi constitutionnelle de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.
Une nouvelle fois, une double confrontation – juridique et politique – s’est déroulée entre opposants et soutiens à la constitutionnalisation de l’IVG, parfois au sein même de la majorité sénatoriale, et ce jusqu’au vote in extremis de l’amendement de M. Bas, ancien collaborateur de Simone Veil. « L’inscription de cet amendement à cet endroit-là ne changera rien », a argué le président de la commission des lois, François-Noël Buffet (LR, Rhône). « Arrêtons de nous faire peur pour des choses qui n’existent pas aujourd’hui. Rien n’est menacé et il ne sert à rien de faire entrer dans la loi fondamentale une liberté qui n’a rien à y faire », a renchéri la sénatrice Muriel Jourda (LR, Morbihan).
« Protéger un droit avant qu’il ne soit menacé »
Preuve de la tension qui régnait dans l’hémicycle, la séance a été interrompue vers 20 h 15 par les cris de colère de militantes féministes présentes dans les tribunes lors du débat, à la grande surprise des sénateurs. « Protégez l’IVG ! »,ont-elles scandé lorsque le sénateur d’extrême droite, Stéphane Ravier, membre du parti Reconquête ! d’Eric Zemmour, est intervenu une nouvelle fois pour dire son opposition à une réforme constitutionnelle « inutile et dangereuse », selon ses termes.
« M. Ravier représente un courant politique dont on sait très bien qu’il peut un jour gouverner ce pays et, aujourd’hui (…), notre vote, il dira à qui nous parlons : aux adversaires de l’IVG ou à ceux qui promeuvent les droits des femmes », a déclaré Laurence Rossignol, sénatrice socialiste de l’Oise, dénonçant « l’obstruction » des élus de la droite et du centre, après des prises de paroles successives visant à empêcher le vote de l’amendement de M. Bas. « Nous sommes prêts à voter un texte qui, même s’il venait à ne pas pleinement nous satisfaire, permettrait de poursuivre l’avancée de notre pays (…) pour protéger un droit avant qu’il ne soit menacé, car évidemment, quand il le sera, il sera trop tard pour agir », a défendu l’écologiste Mélanie Vogel.
La proposition de Philippe Bas a ainsi obtenu gain de cause grâce aux voix de la gauche, des macronistes, d’une partie du groupe centriste et de quinze sénateurs de LR. Ce scrutin, qui s’est tenu dans la niche parlementaire du groupe socialiste, intervient à la suite d’un autre vote « historique » et transpartisan, le 24 novembre, à l’Assemblée nationale. La proposition de loi de la présidente du groupe « insoumis » Mathilde Panot, soutenue par la coalition présidentielle, avait été très largement votée, de la gauche à l’extrême droite. Elle prévoyait de modifier l’article 66 de la Constitution pour y mentionner que « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».
« Un signal très fort »
« Cela montre que les deux Chambres, Assemblée nationale et Sénat, sont favorables à ce que l’avortement entre dans la Constitution », acte Sarah Durocher, la présidente nationale du Planning familial. De surcroît, le palier franchi au Sénat envoie « un signal très fort au-delà des frontières de la France, aux femmes d’Europe et du monde entier », souligne Céline Thiebault-Martinez, présidente de la Coordination française pour le Lobby européen des femmes, un collectif de plusieurs associations.
Ce vote implique également que la navette parlementaire pourra suivre son cours lors d’une deuxième lecture du texte à l’Assemblée nationale. Mais là repose toute la fragilité du processus. Si les députés acceptent d’adopter dans les mêmes termes la version sénatoriale de cette proposition de loi constitutionnelle – ce qui n’est pas acquis –, elle sera soumise à une ultime étape, celle du référendum.
Pour l’ensemble des organisations féministes comme pour les parlementaires, la balle est désormais dans le camp du gouvernement et de l’Elysée. Tous appellent de leurs vœux un projet de loi qui permettrait de faire aboutir plus facilement cette constitutionnalisation. « La voie est libre, Mme Borne : à vous de déposer un projet de loi ! », s’est empressée de réagir, sur Twitter, Mathilde Panot.
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