Par Lilas Pepy Publié le 15 décembre 2022
Une enquête menée pendant deux ans par une équipe du CHU de Lille auprès de détenus proches de leur libération montre aussi une prévalence très élevée des addictions.
Dans quel état mental sortent les quelque 60 000 à 70 000 personnes libérées de prison chaque année ? Les premiers résultats de l’étude Santé mentale en population carcérale sortante (SPCS), présentés au congrès français de psychiatrie de Lille, le samedi 3 décembre, révèlent que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes présentent au moins un trouble psychiatrique et/ou lié à une addiction à leur libération.
Financée par la direction générale de la santé et Santé publique France, dans le cadre de la feuille de route Santé des personnes placées sous main de justice, 2019-2022, l’étude SPCS doit permettre d’obtenir un état des lieux et « un regard sur les besoins de soins et d’accompagnement » de ces personnes libérées, a rappelé le professeur en psychiatrie Pierre Thomas, dont une partie de l’équipe au CHU de Lille a réalisé l’enquête. Des résultats très attendus, alors que « la mortalité des ex-détenus dans les cinq ans suivant leur libération est quatre fois supérieure à la moyenne en population générale », a souligné le docteur Thomas Fovet, psychiatre et coauteur de l’étude.
« Nous refaisons le constat d’une prévalence très élevée de troubles psychiatriques en prison en France », a commenté le spécialiste. Dans une précédente étude réalisée lors de l’entrée en détention, cette fois-ci dans le Nord et le Pas-de-Calais et publiée en 2020, le docteur Fovet et son équipe avaient conclu que les troubles psychiatriques étaient en moyenne trois fois plus fréquents qu’en population générale. Selon la dernière étude nationale, qui remonte à 2006, « 36 % des personnes incarcérées présentaient un trouble psychiatrique de gravité marquée à sévère », rappelle le site APMnews.
Stress post-traumatique
Finalisée en septembre 2022, après deux ans d’enquête, l’étude SPCS a inclus 586 répondants masculins, dans 26 maisons d’arrêt tirées au sort. Réservées aux peines ou aux reliquats de peines inférieures à deux ans et aux personnes en attente de jugement, les maisons d’arrêt concentrent une très large majorité des personnes incarcérées en France. Cent trente et une femmes, tous types d’établissement confondus, ont également participé. Les données, déclaratives, ont été obtenues dans les trente jours précédant la libération, au moyen du questionnaire MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview), qui évalue la liste des symptômes psychiatriques.
Dans le détail, l’étude révèle que les troubles thymiques (dépression, par exemple) touchent 30,4 % des hommes et 53,4 % des femmes ; 31,9 % des hommes interrogés présentent des troubles anxieux et 49 % d’entre eux une addiction, quand ces chiffres atteignent respectivement 57,3 % et 59,5 % chez les femmes. Le trouble de stress post-traumatique est particulièrement marqué chez les femmes : 26,7 %, contre 10,9 % chez les hommes. Par ailleurs, la sévérité de leurs troubles est bien supérieure à celle des hommes.
Au-delà de la prévalence des troubles psychiatriques en sortie de prison, les auteurs, dont la sociologue Camille Lancelevée, ont récupéré des données sur le parcours de vie des détenus – dont d’éventuelles expositions à des maltraitances ou à des négligences infantiles –, ainsi que sur leur parcours carcéral et de soins avant et pendant. On y apprend qu’au moins 50 % des hommes et des femmes étaient déjà suivis pour des troubles psychiatriques ou d’addictologie avant l’incarcération. Une moitié d’entre eux étaient en rupture de soins le mois précédant l’entrée en prison.
Reste à « faire parler » les données. Le docteur Fovet a cité lors du congrès un exemple étonnant : 52 % des femmes estiment que leur incarcération a eu un effet positif sur leur santé mentale, et 28 % jugent, au contraire, qu’elle a eu un impact négatif, contre respectivement 42 % et 33 % des hommes interrogés. « Il faut confronter ce chiffre à leur parcours de soins : y a-t-il une corrélation entre le fait d’avoir un suivi plus intense en détention – comparé à leur prise en charge précédente – et cet effet positif ? », s’interroge le spécialiste.
« Cela donne des perspectives pour d’autres études longitudinales, pour analyser véritablement l’effet de l’incarcération sur la santé mentale », poursuit-il. A ce sujet, la même équipe devrait démarrer dans les prochains mois une telle étude. Quant aux résultats complets de SPCS, ils seront connus d’ici à la fin du mois.
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