Par Marc-Olivier Bherer Publié le 15 décembre 2022
L’auteur s’est livré récemment dans la revue « Front populaire », dénonçant la perte de l’identité des Français, menacés par « les musulmans ». Sa dérive apparaît d’autant plus sincère qu’il s’exprime dans un entretien croisé et amical avec Michel Onfray, le fondateur de cette publication.
Analyse. Michel Houellebecq est familier de la polémique, ses romans dressent un portrait sombre et grinçant de la société française. L’antiféminisme des personnages ou le franc rejet de l’islam mis en scène dans Soumission (Flammarion, 2015) peuvent relever de la licence de l’écrivain. Il use néanmoins, comme d’autres, de sa notoriété pour intervenir régulièrement dans le débat public, ce qui vient abattre toute distance littéraire. Dans un récent hors-série de la revue Front populaire (« Fin de l’Occident ? »), il livre, sans fard, ses observations sur la situation sociale et politique de la France. La virulence du propos marque une étape supplémentaire dans la radicalisation à l’extrême droite d’un auteur à succès. Cette dérive apparaît d’autant plus sincère que l’écrivain s’exprime dans un entretien croisé et amical avec l’essayiste et fondateur de cette publication, Michel Onfray, lui aussi obsédé par « la chute du christianisme » et par l’idée que les Français, qui cultivent « la détestation de soi », sont complices de la perte de leur identité.
Au gré de la discussion, Michel Houellebecq n’en démord pas, la France est perdue, son déclin est inéluctable, la faute en revient à une modernité « qui génère sa propre destruction ». Le « grand remplacement », « ce n’est pas une théorie, c’est un fait ». Certes, il n’y a pas de complot ourdi en haut lieu, affirme Michel Houellebecq, mais un « transfert » de population venue d’Afrique, où les naissances sont nombreuses. Ce prétendu trop-plein se déverse sans mal en Europe, car « en matière d’immigration personne ne contrôle rien ». Néanmoins, « ce qu’on peut déjà constater, c’est que des gens s’arment ». « Des actes de résistance auront lieu », des « Bataclans à l’envers » visant « des mosquées » ainsi que « des cafés fréquentés par des musulmans ». Pour le moment, les Français souhaitent seulement que « les musulmans »« cessent de les voler et de les agresser ».
Pour Michel Houellebecq, le sursaut national est toujours empêché par le fait que la France reste « à la remorque des Etats-Unis », se contentant d’importer les codes « woke ». Face à cette servilité, aux nombreux « collabos » qui sévissent à l’université, Michel Houellebecq en arrive à la conclusion que « notre seule chance de survie serait que le suprémacisme blanc devienne “trendy” aux USA ».
« Suprémacisme blanc »
Cette dernière phrase emprunte au vocabulaire des magazines féminins, comme si le racisme pouvait tout simplement être tendance. Une forme de distance est néanmoins installée en se référant aux Etats-Unis. « Michel Houellebecq devise tout au long de l’entretien sans que l’on sache s’il est sérieux ou s’il s’adonne encore une fois à la provocation, remarque Jean-Yves Pranchère, professeur de théorie politique à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste de la philosophie réactionnaire. Il se présente comme un esprit qui a conscience de la décadence de son époque et de sa propre décadence, mais qui croit dans le pouvoir purgatif de la violence, sans l’assumer, puisqu’il en laisse la charge à d’autres, les Français qui s’arment, les Américains. Un seuil a néanmoins été franchi : une complicité est établie avec le suprémacisme blanc. »
Ce n’est pas la première fois que Michel Houellebecq prédit que la France sombrera bientôt dans la guerre civile, mais la dureté du ton est inédite. Il disait déjà que notre pays avançait vers le chaos dans un entretien accordé à Frédéric Beigbeder en 2014, repris dans Interventions (J’ai Lu, 2020), un recueil dans lequel il rassemble divers articles, entretiens, préfaces publiés entre 1992 et 2020. Dans cette interview réalisée en 2014, Michel Houellebecq proposait de répondre aux malaises dont souffre, selon lui, la France par une réforme de la démocratie afin de soumettre au vote le budget, la nomination des juges, tout en supprimant le Parlement. Il relance cette idée dans la revue Front populaire, mais sans conviction : le pays aurait été trop profondément dénaturé.
« National-populisme de droite »
« Michel Houellebecq plaide pour une forme de national-populisme de droite : le “peuple” ne se compose que des nationaux, à l’exclusion des immigrés et étrangers, lesquels ne devraient pas bénéficier de droits sociaux ni de soins, et devraient être expulsés, analyse Gisèle Sapiro, sociologue, autrice notamment de Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?(Seuil, 2020). Il y a une vision du monde culturaliste, proche du “choc des civilisations” de Samuel Huntington, qui enferme les populations dans une identité religieuse figée afin d’euphémiser le présupposé raciste. S’y entend l’écho de la “défense de la civilisation” une et unique, qui unissait droite conservatrice et extrême droite dans l’entre-deux-guerres. »
A ces propos alarmants se mêlent des déclarations faites sur un ton goguenard. Michel Houellebecq fait part de sa « réserve » sur l’abolition de la peine de mort. Le général de Gaulle aurait mérité d’« être fusillé » pour avoir abandonné les harkis. La Russie est traitée avec une clémence à laquelle l’Europe et les Etats-Unis n’ont pas droit : en Ukraine, Vladimir Poutine aurait « eu les yeux plus gros que le ventre ». Si la gestation pour autrui est autorisée, Michel Houellebecq menace de « traîner dans la boue les pétasses mâles ou femelles qui y recourent ».
Il se livre enfin à des considérations philosophiques et littéraires, empreintes de nostalgie pour le catholicisme d’avant le concile Vatican II. Il se complaît dans la diffusion d’un sentiment réactionnaire. Nul doute que cette publication a de quoi satisfaire la frange de l’opinion tentée par la droite la plus extrême. Et alimenter l’éternel débat sur la distinction à opérer ou non entre l’homme et son œuvre.
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