Par Pascale Robert-Diard Publié le 06 décembre 2022
La cour de révision examine, jeudi 8 décembre, la demande de réhabilitation de Farid E., condamné en 2003 par la cour d’assises des mineurs pour « agressions sexuelles » et « viol ». L’adolescente de 15 ans qui l’avait accusé en 1998 a reconnu, en 2017, avoir menti.
Le mardi 15 décembre 1998, dans une petite ville du Nord, une gendarme se présente au domicile de Julie D., lycéenne de 15 ans. L’enquêtrice, saisie par le procureur de la République d’une affaire d’agressions sexuelles et de viol en réunion, veut entendre l’adolescente. Sa mère et un ami psychologue auquel elle s’est confiée assistent à l’entretien. Julie D. raconte.
« Les premiers faits se sont passés un samedi vers 19 h 30, en mars ou en avril, il faisait nuit. Je revenais du cinéma. J’étais allée voir le film Titanic. J’ai descendu l’avenue et, au carrefour, juste avant le pont, j’ai rencontré trois ou quatre Arabes. Parmi eux, un dénommé Farid, que je connaissais de vue, parce que mon copain Julien avait des problèmes avec lui. Il a 17 ou 18 ans, il est connu pour sa mauvaise réputation de bagarreur. Il disait qu’il n’aimait pas les blonds et qu’il voulait frapper Julien parce qu’il crânait avec son scooter. Il m’a demandé une cigarette, je lui ai dit que je n’en avais pas. Farid m’a dit que je devais les suivre et me taire. Les deux derrière Farid m’ont prise par le bras et ils m’ont emmenée dans une ruelle. Ils m’ont allongée par terre, un me tenait les bras, le deuxième me tenait les jambes et le troisième me touchait la poitrine, les jambes, le ventre sur mes vêtements. Il n’a pas touché mon sexe. J’ai fermé les yeux, je savais que c’était pas la peine de résister et qu’ils étaient trop forts pour moi. C’est seulement après leur départ que je me suis rendu compte que ma chemise était ouverte, mon tee-shirt soulevé et on voyait ma poitrine. Cette scène a duré dix minutes, je me suis rhabillée et, quand je suis rentrée, je me suis fait engueuler par papa parce qu’il était tard. Mon père et ma famille ne se sont rendu compte de rien. Il était impensable pour moi de leur en parler.
La deuxième fois, c’était en juillet, au cours de la dernière semaine, vers 19 h 30. Je me rendais chez ma tante. En passant devant un magasin de luminaires, j’ai été appelée par Farid et un autre. Farid voulait savoir où j’étais en cours, qui je fréquentais. Je lui ai répondu. Nous avions une conversation normale entre jeunes, mais je me sentais mal à l’aise, car je me souvenais du premier épisode. Il m’a demandé de le suivre en me disant qu’il avait quelque chose d’important à me dire. Son copain était resté avec nous. Nous sommes allés vers la piscine. Là, d’un seul coup, Farid m’a pris le bras droit et l’autre Arabe me tenait le bras gauche. J’étais paniquée, je n’osais pas me débattre. Arrivés derrière la piscine, ils m’ont poussée à terre, Farid a relevé ma robe et a enlevé ma culotte. Il a commencé à me caresser le sexe, en introduisant son doigt, j’avais un peu mal. Quelques minutes après, il s’est relevé, il a baissé son pantalon de jogging foncé et son caleçon de couleur claire. Il s’est allongé sur moi. Il a introduit son sexe dans mon vagin. J’ai eu très mal, il a été d’un seul coup. Je ne sais pas s’il a éjaculé, je n’avais pas de taches de sperme sur moi. Ce rapport était ma première expérience sexuelle, j’étais vierge. Farid m’a dit qu’il recommencerait si je restais avec Julien. Ils sont partis, je suis restée un moment allongée par terre, je me suis rhabillée et je suis rentrée chez moi. Je suis montée dans ma chambre et, comme j’y suis souvent, mes parents ne m’ont pas posé de questions. »
Julie D. sollicite un temps de repos. La gendarme le lui accorde. Son audition reprend à 14 heures. Elle s’est tue pendant cinq mois pour ne pas faire de peine à sa mère, explique-t-elle. Elle voulait se débrouiller toute seule « avec ça ». Elle en a seulement parlé à quelques amis, en leur faisant jurer de garder le secret. « Mais, un soir, lors d’une fête, j’étais en pleurs, alors mes frères Antoine et Grégory m’ont demandé ce qui se passait. Je leur ai dit que j’avais été violée, sans donner de détails. »
Une jeune fille sage
De retour à la maison, ils vont réveiller leurs parents. Toute la famille se retrouve dans la chambre à coucher, Julie confirme. Les jours suivants, sa mère alerte un ami de la famille, psychologue, qui reçoit la jeune fille. Elle lui répète ce qu’elle a subi. A la gendarme qui lui demande si elle est allée consulter un médecin, Julie D. répond non.
« Aviez-vous des lésions sur le corps ?
– Sur le moment, je n’ai rien remarqué, mais je n’étais pas comme d’habitude dans mon corps. »
La lycéenne explique qu’elle a tout fait pour essayer d’oublier, mais que, oui, bien sûr, elle pourrait reconnaître Farid.
Le lendemain, plusieurs amis lycéens de Julie sont entendus. Julien, Geoffrey, Elodie, Hélène et Bérénice ont bien reçu ses confidences. Ils forment un groupe très lié, les filles vont ensemble à la danse et à l’aérobic. Comme Julie était« angoissée », ils n’ont « pas osé » lui poser trop de questions, mais ils savent que ce sont « les Arabes » de la cité voisine qui l’ont agressée « en bande ». Julien confirme que Farid l’a « emmerdé » plusieurs fois, à cause de son scooter. Depuis, il l’évite en ville, pour ne pas créer d’incidents.
Le frère aîné de Julie, Antoine, raconte à son tour ce qu’il sait. Très proche de sa sœur – « quand il lui arrive quelque chose, elle me le dit » –, il a pensé qu’il était de son devoir de prévenir les parents. Sa mère décrit une jeune fille sage, qui ne sort qu’accompagnée, le plus souvent de ses frères, ou pour des anniversaires chez des amis, « en présence des parents ». Elle a interdiction de rentrer après minuit et la respecte. Julie, poursuit la mère, « a une vie tout à fait saine et normale », de bons résultats scolaires, comme ses aînés, tous les deux étudiants, dont l’un en prépa HEC. Ils composent une famille unie. M. et Mme D. sont PDG et directrice d’une entreprise familiale qui emploie une quarantaine de personnes.
Le 19 décembre 1998, Julie identifie deux personnes, dont Farid, sur un album photo que lui présentent les gendarmes. « Je les reconnais formellement. Pour le numéro 6, il s’agit de Farid, c’est lui qui m’a violée. » Le 4 février, elle le désigne de nouveau sans hésiter lorsqu’il apparaît derrière une glace sans tain. « Je n’ai aucun doute. Je maintiens mes déclarations. » Julie D. signe son procès-verbal, sous la mention : « Je suis consciente que ce que je viens de vous dire est important, et des conséquences qui peuvent en découler. »
« Je n’ai jamais eu de rapport sexuel ! »
Dans une pièce voisine, Farid E., 17 ans, est entendu sous le régime de la garde à vue. Son père, marocain, est ouvrier depuis quarante ans dans une usine de Dunkerque. Sa mère, française, est employée d’école et de garderie. Ils vivent dans un pavillon, juste à côté de la cité. Farid est le dernier d’une fratrie de trois garçons ; ils avaient une petite sœur, qui est morte à l’âge de 3 mois. Son frère aîné travaille dans la même usine que son père ; le deuxième, toxicomane, est incarcéré. Lui a arrêté l’école à 16 ans. Renvoyé de plusieurs établissements, il a bien tenté un CAP de chaudronnerie, mais il a arrêté de lui-même, ça ne lui plaisait pas. Il cherche du travail, qu’il ne trouve pas, dit-il. Quand il ne va pas à la salle de sport, il traîne souvent en ville avec ses copains Ahmed, Hachemi et Moussa, sinon il occupe son temps à « regarder la télévision, jouer à la console et dormir ».
L’été 1998, comme chaque année, il est parti en famille au Maroc. A quelle date est-il rentré ? Fin juillet, d’après lui. Il s’est inscrit en août au centre social, qui organise des sorties. Pour le reste, il a déjà eu quelques problèmes avec la justice, des histoires de violences et de racket, et vient d’être convoqué chez un juge des enfants. S’il a une petite amie ? Non. Connaît-il une Julie ? Non plus.
Le gendarme lui présente une photo de la jeune fille. Farid l’a déjà vue, « comme ça, dans la rue ». Il se souvient d’avoir eu « une embrouille bidon » avec un copain à elle qui conduit « un scooter jaune ». « C’est un blond, à chaque fois qu’il me voyait, il se foutait de ma gueule. Je pensais qu’il m’avait fait un doigt d’honneur. Je me suis expliqué avec lui, il m’a dit que c’était pas vrai, je suis parti. Cela remonte à au moins un an. »
Le gendarme l’informe des accusations d’agressions sexuelles et de viol portées contre lui.
« C’est pas vrai ! C’est impossible. Je n’ai jamais sauté de fille. Je n’ai jamais eu de rapport sexuel !
– Vous avez été reconnu. Qu’avez-vous à dire ?
– Je ne sais pas. Ils mentent. Ils se tapent des crises !
– Avez-vous déjà accosté cette fille ?
– Non ! Jamais. »
La garde à vue de Farid est prolongée.
« Maintenez-vous vos précédentes déclarations ?
– Ben ouais. Moi, je veux une confrontation pour voir ce que les gens disent.
– Nous vous informons que toutes représailles à l’encontre de la victime ou de la famille sont à proscrire et vous vous en expliquerez.
– C’est pas moi ! Qu’est-ce que tu veux que je dise d’autre ? Je veux arrêter l’audition, j’ai plus rien à dire. »
Le gendarme rédige son procès-verbal de synthèse pour le procureur. « Au cours de son audition, Farid E. a un comportement agressif et arrogant. Il nie toute participation aux agressions qui lui sont reprochées. Il pèse ses mots et revient sur ses dires au moment de les écrire. Tout au long de sa garde à vue, il se bloque quand nous abordons les faits qui lui sont reprochés. » Le 5 février 1999, Farid E. est présenté à un juge d’instruction et incarcéré au quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Loos.
« T’es mignonne. T’as pas une clope ? »
Ses amis Ahmed, Hachemi et Moussa sont placés à leur tour en garde à vue. Comme Farid, ils ont déjà eu affaire à la police. Tous admettent connaître Julie D. « de vue ». Il leur arrive de la croiser à la salle de sport, quand elle vient pour son cours de danse avec ses copines. Ils les surnomment « les Spice Girls ». Ont-ils entraîné Julie, un soir, dans une ruelle ? La réponse est non, affirme Moussa. Et Farid ? « S’il serait parti avec elle, je m’en serais souvenu, car on en aurait parlé le lendemain, pour le mettre en boîte. » Ahmed et Hachemi reconnaissent, eux, avoir abordé Julie un soir – « elle avait une coupe au carré blond et un manteau bleu » – pour lui demander une cigarette. Que lui ont-ils dit ? « T’es mignonne. T’as pas une clope ? » Après, ils ont juste vu Farid discuter avec elle. Hachemi est le seul à dire qu’à un moment Farid a disparu avec Julie. Leur garde à vue est levée au bout de onze heures. Plus tard, entendu comme témoin devant le juge d’instruction, Hachemi revient sur ses déclarations. S’il a mis en cause Farid, c’était « sous la pression »des enquêteurs, assure-t-il.
Une confrontation est organisée dans le bureau du juge entre la plaignante, Farid E. et les trois autres. Julie D. maintient son récit : elle a bien été accostée un soir par les quatre garçons, mais, s’agissant des deux agressions qui ont suivi, elle ne désigne avec certitude que Farid. Lui continue de nier.
L’expertise psychiatrique de Farid relève « un niveau d’intelligence situé dans les limites inférieures à la normale », sans pathologie mentale, ni conduite addictive. Le jeune homme « ne manifeste que très peu ses affects, il est instable, avec une impulsivité sous-jacente mal contrôlée », et témoigne « d’une grande pauvreté non seulement dans le domaine de la sexualité, mais également dans le domaine relationnel avec les personnages féminins ». Il affirme – « d’une manière assez monotone », note l’expert : « On m’a accusé d’une histoire que j’ai rien à voir dedans. » L’expert psychologue confirme « l’attitude défensive, désabusée, parfois même éberluée » du jeune détenu qu’il examine. « Je suis pas un ange, mais j’ai pas fait ça. Il paraît que c’est à plusieurs, mais on trouve pas de plusieurs », s’énerve-t-il.
« Crédible sur le plan médico-psychologique »
L’expertise psychiatrique de Julie D. est versée au dossier d’instruction. Le médecin a trouvé face à lui une « jeune fille d’intelligence tout à fait normale, qui se destine à une carrière universitaire, montrant un certain degré d’anxiété et de gêne à l’évocation des faits, se sentant salie, avec une profonde dévalorisation de soi et un dégoût de la sexualité ». « J’ai honte que ça se sache », dit-elle, en soulignant qu’elle « vit mal l’opinion des autres et a parfois l’impression “d’être mal jugée, comme quoi [elle] men[t]” ». Elle répète n’avoir jamais eu de relation sexuelle avant ce viol et souligne à propos de l’incarcération de son agresseur : « Je pense que c’est normal, qu’il doit être puni, mais je me dis aussi qu’il est trop jeune pour être en prison. » L’expert commente : « On retrouve là l’ambivalence fréquente chez les victimes. » Il conclut que Julie D. « est crédible sur le plan médico-psychologique » et qu’« il n’existe pas de tendance pathologique à l’affabulation ». L’examen gynécologique, pratiqué en février 1999, est joint au dossier. Il constate « un hymen avec une défloration ancienne. L’examen est donc compatible avec un rapport ancien ».
Par un arrêt rendu le 19 janvier 2001, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Douai clôt définitivement l’instruction. « Attendu que Julie D. a, de manière constante, circonstanciée, et réitérée, notamment lors de confrontations, désigné Farid E. comme l’auteur des faits dénoncés ; qu’elle s’est confiée à différentes personnes en des termes correspondants aux déclarations faites aux enquêteurs ; que ses dires sont confortés par l’examen gynécologique dont elle a fait l’objet », la chambre d’accusation considère qu’elle dispose de charges suffisantes pour ordonner le renvoi de Farid E. devant la cour d’assises des mineurs du Nord.
Son procès s’ouvre, le 19 décembre 2003, à Douai. Après onze mois et vingt-trois jours de détention provisoire, Farid a été remis en liberté sous contrôle judiciaire, avec interdiction de paraître dans le département, et a été accueilli par un oncle paternel installé en région parisienne. Ses parents l’accompagnent à l’audience. Pas ceux de Julie, qui s’assoit, seule, aux côtés de son avocat sur le banc. Elle renouvelle ses accusations, mais elle demande en pleurant que Farid E. ne retourne pas en prison. L’accusé, qui proteste toujours de son innocence, est déclaré coupable d’« agressions sexuelles » et de « viol sur mineur de 15 ans », et condamné à cinq ans d’emprisonnement, dont quatre ans et deux mois avec sursis. La peine prononcée couvre, à quelques jours près, la durée de sa détention provisoire ; il est libre. Son avocat lui déconseille de faire appel. « C’est risqué », dit-il. Ses parents sont condamnés, ès qualités de civilement responsables de leur fils, à verser 17 000 euros de dommages et intérêts à la victime.
« Je ne peux malheureusement pas revenir en arrière »
Quatorze années s’écoulent. Julie D. a 34 ans, elle s’est installée avec son compagnon et vient de donner naissance à leur enfant. Le 23 octobre 2017, elle écrit au procureur de la République de Douai :
« Après un long travail sur moi-même en psychothérapie, je vous envoie ce courrier pour vous informer de ma responsabilité dans les faits suivants. Lors d’un procès qui a eu lieu à la cour d’assises de Douai, en 2003, je vous confesse avoir menti. Monsieur Farid E. n’est coupable de rien et n’a jamais commis d’actes d’agression sexuelle ou de viol sur ma personne. Je souhaite aujourd’hui rétablir la vérité. Je suis consciente de la gravité de mes actes et me suis enfermée dans un puissant déni durant toutes ces années. Je demande pardon, autant à la cour qu’à Monsieur E. , sa famille et ses proches, pour ces fausses accusations. L’enquête a eu lieu quand j’avais 15 ans, suite à une plainte de mes parents en mon nom. Ils avaient eu connaissance de ces accusations par mon grand frère Antoine. Je me suis retrouvée ensuite dans un processus d’interrogatoires et d’enquête que je n’ai pas réussi à stopper. La vérité est la suivante : j’ai été victime d’incestes répétés de la part de ce grand frère, entre mes 8 et 12 ans. Je n’ai pas réussi à rétablir la vérité auprès de mes parents, les gendarmes et la justice à l’époque, étant enfermée dans mon propre mensonge et coincée dans l’emprise du secret familial. Je me sens honteuse et coupable vis-à-vis de Farid E. Il ne méritait pas cela. J’ai mis de longues années à sortir de ce déni. Je ne peux malheureusement pas revenir en arrière. J’assumerai les conséquences de mes actes. Je me tiens à votre disposition. »
A la lettre au procureur, Julie D. joint sa plainte pour viol contre son frère. Mais rien ne se passe, la justice ne réagit pas. Un an plus tard, en novembre 2018, la jeune femme écrit de nouveau, pour exprimer son désarroi. Il lui faudra encore attendre une année pour être convoquée au commissariat et pouvoir enfin s’expliquer.
Ce jour-là, devant les policiers, elle décrit son mal-être après le procès, son errance de ville en ville qui la conduit à se lancer chaque fois dans de nouvelles études supérieures, qu’elle ne termine jamais. Les emplois et les liaisons sentimentales qu’elle interrompt toujours au bout de quelques mois. Ses crises de boulimie. Ses multiples thérapies. Jusqu’à ce jour de 2013, où, pour la première fois, elle demande des explications à son frère aîné sur ce qui s’est passé entre eux, à plusieurs reprises, au domicile familial et dans leur maison de vacances. Quelques mois plus tard, lors d’un dîner chez ses parents, elle leur jette sa vérité à la figure. « Ça déborde, je leur dis tout ce que mon frère m’a fait subir, et que j’ai menti au procès. »
Une erreur « en ma faveur »
Julie raconte la suite : l’explosion de sa famille, le soutien de sa mère, les menaces de son frère, l’ambivalence de son père jusqu’à ce que son fils aîné reconnaisse devant lui certains des faits dont sa sœur l’accuse. Elle verse au dossier tous les échanges d’e-mails et de SMS qui accréditent ses dires. Elle avoue avoir aussi menti sur sa virginité, à l’époque des accusations contre Farid, à la demande de sa mère. Celle-ci lui avait demandé de cacher aux enquêteurs et aux experts qu’elle avait déjà eu une relation sexuelle avec son petit ami, en 1998, car il ne fallait pas que son père l’apprenne. Si elle a désigné Farid, explique-t-elle, c’est uniquement parce qu’il faisait peur à son copain.
Julie D. dit aussi qu’à la réception de sa convocation pour le procès elle avait supplié son avocat d’y aller sans elle. Il lui avait répondu que c’était impossible et l’avait invitée à déjeuner avec un couple de magistrats pour la rassurer. « J’ai pensé à me suicider, ou à y aller pour dénoncer mon frère et, finalement, j’ai maintenu mes accusations contre Farid pour protéger ma famille. J’ai beaucoup pleuré en racontant l’agression sexuelle et le viol, je savais ce que c’était, je les avais subis. » Le plus dur, se souvient-elle, avait été de voir les parents de l’accusé, dans la salle d’audience. « Je me disais qu’ils croyaient leur fils coupable. Et qu’une famille payait à la place d’une autre. »
Tout cela, qui figure sur procès-verbal, Farid E. l’ignore encore. Lui aussi a poursuivi sa vie. Il s’est installé dans le Nord, pas trop loin de la ville où il a grandi, travaille dans le commerce, s’est marié, est devenu père de deux enfants. Après le procès de 2003, son avocat avait obtenu la condamnation du quotidien La Voix du Nord, qui avait rendu compte du verdict en donnant son prénom et son nom alors qu’il était mineur au moment des poursuites. Inscrit au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijais), il est allé pointer chaque année au commissariat, pendant quinze ans, pour donner son adresse. Lorsque, en 2017, sans autre explication, il a reçu un courrier l’informant qu’il était désormais dispensé de pointage, il a cru à une erreur. « Mais, pour une fois, c’était en ma faveur ! Je n’ai pas demandé d’explication », confie-t-il aujourd’hui. Il a gardé l’original chez lui, en a fait une copie, qu’il a rangée chez son père, par sécurité.
« Ils ne vous ont pas trouvé »
Farid E. se souvient précisément de ce moment où il a reçu un appel du commissariat, en juillet 2022. « C’était la fête de l’Aïd. Le flic me demande si je peux venir au commissariat. Je lui demande pourquoi. Il me dit que c’est à cause de mon affaire de 1998. Ma femme me voit me décomposer. Et là, il ajoute : “On a toutes les preuves de votre innocence.” Moi, je doute encore. Il me donne des précisions. Il me dit que ce serait bien que mes parents viennent avec moi parce que eux aussi ont été condamnés civilement. Je vais chercher mon père en voiture. Je lui explique : “Ils vont nous dire que c’est pas moi !” Je fonce avec lui à l’hôpital, où ma mère est en soins palliatifs. Et je lui dis que… [la voix de Farid s’étrangle] que je suis enfin reconnu innocent ! »
Au commissariat, on lui remet un épais dossier. Il découvre tout en même temps. La lettre de Julie D. et ses déclarations devant les policiers. Le lancement d’une procédure de révision devant la Cour de cassation à la demande du procureur général de Douai. Le rapport de la commission d’instruction de la cour de révision, présenté en septembre 2021, et la décision, rendue un mois plus tard, de saisir la formation de jugement. Tout cela, lui apprend-on, lui avait été notifié par courrier mais envoyé à une mauvaise adresse. « Ils vous ont cherché mais ne vous ont pas trouvé », s’excuse le policier. Farid E. fulmine. « Je paie mes impôts. Je travaille. Je suis délégué syndical ! Pour ça, on me trouve ! »
Farid E. sera là, jeudi 8 décembre, aux côtés de son avocat, Me Frank Berton, lors de l’audience devant la cour de révision, au palais de justice de Paris. Il attend d’être le douzième cas reconnu d’erreur judiciaire depuis 1945. Sa défense se réserve la possibilité de poursuivre Julie D. pour dénonciation calomnieuse. En sortant du commissariat, l’été dernier, Farid E. avait appelé l’avocat qui l’avait défendu lors de son procès pour lui annoncer la nouvelle de sa mise hors de cause par son accusatrice. « Je voulais que vous le sachiez parce que, à l’époque, je ne suis pas sûr que vous m’avez cru. »
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