Publié le 14 décembre 2022
André Vallini sénateur (PS) de l’Isère
Dans une tribune au « Monde », le sénateur (PS) de l’Isère rappelle que la croissance du nombre de détenus n’a pas fait diminuer l’insécurité. Notre politique carcérale est donc un échec, il faut l’admettre et développer d’autres solutions que la prison, tout en l’expliquant clairement à nos concitoyens.
On compte aujourd’hui plus de 72 800 détenus dans les prisons françaises, soit un taux d’occupation carcérale de 120 %, contre 115,4 % il y a un an, selon le ministère de la justice. Plus du quart des détenus sont des prévenus, en attente de jugement et donc présumés innocents. Dans les maisons d’arrêt, où ils sont incarcérés, la densité carcérale s’élève à 142,8 %.
Cinquante-six prisons françaises affichent une densité supérieure à 150 %, et celle-ci dépasse même 200 % dans six établissements : Carcassonne (215,6 %), Nîmes (214,5 %), Perpignan (204,6 %), Foix (203,1 %), Majicavo, à Mayotte (200,9 %), et à Bordeaux-Gradignan, elle atteint 206,6 %, avec 723 détenus pour 350 places.
Cette augmentation de la population carcérale illustre le durcissement de la politique pénale. Et n’en déplaise aux adeptes du populisme pénal, la hausse du nombre de condamnations comme l’augmentation de la durée des peines prononcées sont un démenti cinglant au prétendu laxisme judiciaire qu’invoquent tous les démagogues qui font commerce de l’insécurité et de la délinquance.
Etre dur avec la délinquance et ses causes
Certes, la délinquance augmente et donc l’insécurité aussi. Qui oserait prétendre le contraire ? Et la gauche serait bien inspirée de l’admettre une bonne fois pour toutes si elle veut espérer avoir un jour la possibilité de revenir au pouvoir.
De même qu’elle devrait avoir la lucidité de reconnaître que, si les causes sociales peuvent l’expliquer, elles ne sauraient absoudre de toute responsabilité ceux qui choisissent la délinquance, dans la mesure où, à conditions sociales équivalentes, certains y cèdent et d’autres non.
Le même principe devrait donc rassembler tous ceux qui veulent œuvrer à restaurer la paix civile : être dur avec la délinquance et dur avec les causes de la délinquance. C’est l’éternel diptyque prévention-répression. Si la prévention revêt mille aspects, la répression semble n’en avoir qu’un : la prison. Or la politique carcérale française est en échec.
« Les prisons sont une honte pour la République » : ce constat que nous avions dressé au Sénat comme à l’Assemblée nationale en 2000 est, hélas, toujours d’actualité. Tout était écrit et décrit sur l’indignité de la situation pénitentiaire de la France, une indignité dont les personnels pénitentiaires aussi étaient les victimes. Plus de vingt ans plus tard, on entend les mêmes constats, on dénonce les mêmes abus.
Promiscuité, oisiveté, insalubrité
La promiscuité, source de violence, est omniprésente entre détenus, à quoi il faut ajouter souvent l’oisiveté et, parfois, l’insalubrité. Et il y a les surveillants dont les conditions de travail se dégradent au point que le ministère peine à en recruter de nouveaux. La situation carcérale est donc toujours non seulement indigne, mais elle reste de surcroît inefficace.
En effet, au-delà de la sanction qu’elle doit infliger, la prison est aussi le lieu de la réinsertion qu’elle doit préparer. C’est aujourd’hui impossible. Et l’inflation carcérale en France apparaît depuis plus de vingt ans comme une fatalité qui empêche la prison de remplir l’objectif de réintégration sociale que la loi lui assigne. D’autant que, dans l’augmentation des moyens budgétaires consacrés à la justice, la priorité donnée à la politique pénitentiaire va à la construction de nouvelles places de prison, plutôt qu’aux alternatives à l’incarcération.
Les prisons françaises sont aujourd’hui une machine à fabriquer des récidivistes, comme l’étaient celles du Canada, il y a une trentaine d’années, avant que les autorités fédérales donnent à l’administration pénitentiaire les ressources nécessaires pour mener une action de long terme, basée avant tout sur la réinsertion par des parcours pénitentiaires personnalisés, évalués et actualisés. Cette politique, très onéreuse, fut mal accueillie par l’opinion publique. Elle porte aujourd’hui ses fruits.
Tous les spécialistes de la question pénale savent en effet que le taux de récidive est directement indexé sur celui des sorties dites « sèches » et qu’il est inversement proportionnel à celui des peines aménagées. Alors, si la construction de nouvelles prisons est en France une nécessité, ne serait-ce que pour remplacer celles qui sont devenues trop vétustes, c’est une réponse de court terme qui reste vouée à l’échec. Une prison construite est aussitôt remplie.
L’impasse du « tout-carcéral »
La diminution des courtes peines, dont l’efficacité n’est pas avérée, doit donc s’accompagner d’un développement des alternatives à l’incarcération, notamment les travaux d’intérêt général, et surtout de l’augmentation des moyens accordés aux services d’insertion et de probation comme du nombre de juges de l’application des peines.
Ces mesures seront sans doute moins populaires que la construction de nouvelles prisons, mais elles seront au moins aussi efficaces pour lutter contre la récidive. S’il est vrai que la délinquance est toujours le révélateur des malaises d’une société, il est vrai aussi que les moyens dévolus à la justice traduisent la volonté réelle d’y porter remède.
Le gouvernement veut démontrer qu’il a cette volonté en affichant des budgets en hausse, et il serait malhonnête de ne pas le reconnaître. Mais cette augmentation globale ne suffit pas si elle favorise le « tout-carcéral », qui est une impasse, comme on le constate aux Etats-Unis.
Alors, dans ce domaine aussi, dans ce domaine surtout, nous devons faire collectivement le choix courageux de la pédagogie contre la tentation facile de la démagogie, pour convaincre l’opinion publique que, si la justice doit toujours faire preuve de sévérité, cette sévérité doit être utile, efficace, en un mot intelligente.
André Vallini est sénateur (PS) de l’Isère, et ancien secrétaire d’Etat.
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