Par Violaine Morin Publié le 01 septembre 2022
Le corps reste un impensé dont l’école peine à se saisir, occupée qu’elle est à éduquer l’esprit. Au cœur du problème, les toilettes, évitées par les enfants car souvent jugées sales, voire dangereuses.
Si l’on souhaite améliorer le bien-être des enfants, priorité assumée par le nouveau ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye, pourra-t-on encore faire abstraction de leur corps ? Car à bien y regarder, une journée de classe est aussi un enchaînement de contraintes physiques.
L’élève commence par se lever tôt – trop tôt, pour certains adolescents dont le chronotype est décalé par rapport à celui des enfants et des adultes. Il porte un cartable souvent trop lourd – autour de 8,5 kg selon plusieurs estimations, alors que le ministère de l’éducation recommande de le limiter à 10 % du poids de l’enfant. Il déjeune dans une cantine souvent bruyante, dispose d’un temps de récréation limité, dans un espace pas toujours adapté à ses envies. Et, tout au long de la journée, il souffre d’une avarie désormais reconnue comme le point aveugle du système éducatif : les toilettes.
Considérés comme sales, voire dangereux, les sanitaires sont évités par 81 % des élèves, selon une étude Harris Interactive de 2019 sur des enfants de 6 à 11 ans. Parmi eux, 55 % évitent de boire de l’eau pour avoir moins envie d’y aller. Le problème a fait l’objet d’alertes répétées de la part des associations de parents d’élèves. L’éducation nationale vient de prendre le sujet à bras-le-corps en diffusant, avant l’été, des fiches destinées à donner aux collectivités compétentes sur les questions de bâti scolaire des priorités pour la rénovation des locaux.
Demande d’intimité des enfants
A l’origine de cette publication, une concertation à laquelle ont participé 10 000 répondants, dont des enfants. « La question des toilettes ressort vraiment très fortement, assure Sidi Soilmi, directeur de la cellule bâti scolaire de l’éducation nationale, qui existe depuis 2019. Des élèves de maternelle nous disent “je ne peux pas aller dans les toilettes parce que tout le monde me voit”. » Pour répondre à la fois à la demande d’intimité des enfants et aux exigences de sécurité qui impliquent une surveillance, le ministère préconise désormais, pour cette tranche d’âge, des « demi-cloisons » qui permettent à l’enfant d’être seul tout en étant visible par un adulte.
Les enjeux de sécurité, en ce qui concerne les élèves plus âgés, peuvent être résolus par une plus grande « ouverture » des toilettes, en enlevant la porte d’accès à l’espace où se trouvent les robinets ou en installant une verrière – de sorte que seules les cabines sont vraiment isolées du regard. « Quand il y a du passage et qu’on a le sentiment de pouvoir être observé, on n’a pas le même comportement », relève Sidi Soilmi.
« Beaucoup [de garçons] détestent les urinoirs et ne les utilisent pas », note la géographe Edith Maruéjouls.
Des travaux consistant à « externaliser » les robinets, pour que ceux qui veulent simplement boire ne passent plus dans les toilettes, ont été lancés dans des collèges de Gironde, sous la houlette d’Edith Maruéjouls, une géographe spécialiste des espaces scolaires qui préconise cette solution. « Ouvrir le bloc des toilettes signifie aussi qu’il n’y a plus d’urinoirs, note également la chercheuse. On part du principe que les garçons ne sont pas pudiques, mais c’est faux. Beaucoup d’entre eux détestent les urinoirs et ne les utilisent pas. »
« Les collectivités font de gros efforts »
Pourquoi la question du corps met-elle du temps à émerger, alors que l’inconfort ressenti à l’école en découle directement ? Peut-être parce que les espaces et les moments où les besoins corporels – manger, boire, aller aux toilettes – s’expriment le plus ne sont pas du ressort de l’éducation nationale. Ce sont les collectivités locales qui gèrent les murs, mais aussi les temps périscolaires de l’accueil du matin, du déjeuner et de la fin d’après-midi.
Le confort des enfants serait donc d’abord l’affaire des communes, des départements et des régions ? « Je crois que les choses sont plus imbriquées que cela, nuance Damien Berthilier, directeur du cabinet Territoire éducatif, qui accompagne les collectivités dans leurs projets scolaires. En outre, les collectivités font de gros efforts pour penser le bien-être de l’enfant sur l’ensemble de la journée. Pour la cantine, par exemple, on a tendance à se souvenir de nos propres expériences, mais la qualité des repas a beaucoup évolué. » Et le spécialiste de noter que la première ressource dont manquent les acteurs du système éducatif est le temps. « Les enseignants et les animateurs ne se croisent pas, puisqu’ils se répartissent les temps de l’enfant. De sorte qu’ils n’ont jamais un moment pour réfléchir ensemble à leur projet commun. »
L’école française a peut-être enfin, plus simplement, du mal à se départir de vieux schémas qui traversent toute la société. « On est aussi les héritiers de notre dualisme cartésien », s’amuse le pédagogue Philippe Meirieu, et tout se passe comme si l’enseignement en France était encore tributaire de cette perception philosophique qui sépare nettement « l’âme » et « le corps ». « Et en même temps, le corps des enfants ne se fait jamais oublier. Il suffit qu’un gamin ait envie de pisser pour mettre en échec toutes les circulaires ministérielles. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire