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mercredi 7 septembre 2022

L’infirmière ne peut (toujours) pas hériter de sa patiente

Rafaële Rivais  

Le Conseil constitutionnel refuse de supprimer l’interdiction faite aux professionnels de santé de recevoir des legs des personnes auxquelles ils ont, pendant la maladie dont elles sont mortes, prodigué des soins.

Devant les « Sages » du Palais Royal, Me Ronald Maman soutient que le fait d’être gravement malade n’implique pas que l’on se trouve sous l’emprise des soignants.


Une personne âgée ayant perdu son autonomie et une personne atteinte d’une maladie mortelle sont-elles dans le même état de vulnérabilité, vis-à-vis des personnes qui les assistent – aide à domicile dans un cas, infirmière dans l’autre ? Le risque d’emprise et de captation des biens est-il plus grand dans le second cas ? Telle est la question que pose l’affaire suivante.

Le 13 avril 2014, Geneviève T., veuve sans enfant, décède d’un cancer. Son testament laisse à son frère, Jean-Louis T., un immeuble d’une valeur de 3 millions d’euros, qui dépendait de la succession de leurs parents, et à son infirmière, Marie D., qu’elle considérait « comme [sa] fille », des biens d’une valeur de 870 000 euros.

M. T. conteste que Mme D. ait le droit de recevoir cette part d’héritage : elle a, depuis 2012, « prodigué des soins » à Geneviève, « pour la maladie dont celle-ci est morte ». Or, dans ce genre de situation, l’article 909 du code civil interdit aux soignants d’accepter des legs.

Deuxième QPC

Mme D. assigne M. T., et gagne, en première instance puis en appel : les magistrats considèrent que Geneviève ne pouvait être sous son emprise quand elle a rédigé son testament, puisqu’elle ne devait connaître le diagnostic de son cancer que quatre jours plus tard. Mais la Cour de cassation censure ce raisonnement, en rappelant que « l’incapacité de recevoir un legs » n’est pas liée à la date du diagnostic de la maladie du testateur (19-15.818).

Devant la cour d’appel de renvoi, censée débouter Mme D., celle-ci soulève une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Elle demande si l’article 909 du code civil est conforme à la Constitution, alors que, par corrélation, il empêche la personne malade, qu’elle soit saine d’esprit ou non, de disposer librement de ses biens.

Cette question a déjà été posée au Conseil constitutionnel, à propos de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, qui interdisait aux personnes âgées de léguer des biens à leurs aides à domicile. Le 12 mars 2021, le Conseil constitutionnel, jugeant qu’il portait une atteinte« disproportionnée » à leur droit de propriété, l’a abrogé.

Devant les membres du Conseil constitutionnel du Palais-Royal, auxquels la QPC est transmise (22-40.005), MRonald Maman, avocat de Mme D., affirme que cette solution doit être « transposée » aux soignants (voir vidéo). Il soutient en effet que le fait d’être gravement malade n’implique pas que l’on se trouve sous l’emprise de ces derniers. Ce que conteste MFrançois Pinatel, avocat de Jean-Louis T., pour qui le malade se trouve dans une situation d’« extrême vulnérabilité vis-à-vis de celui qui lui prodigue des soins ».

C’est ce dernier point de vue qu’adopte le Conseil constitutionnel lorsque, le 29 juillet (2022, 2022-1005), il déclare l’article 909 « conforme à la Constitution ».

Il juge en effet qu’« eu égard à la nature de la relation entre un professionnel de santé et son patient atteint d’une maladie dont il va décéder, l’interdiction est bien fondée sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le donateur ou le testateur à l’égard de celui qui lui prodigue des soins ». Il conclut que « l’atteinte au droit de propriété qui résulte des dispositions contestées est justifiée par un objectif d’intérêt général et proportionnée à cet objectif ».

L’interdiction séculaire (édictée par François 1er en 1539, reprise par le code civil et étendue en 2007 aux « auxiliaires médicaux ») continuera donc de protéger le malade… même contre son gré.


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