Publié le 6 septembre 2022
Trente députés de gauche s’alarment, dans une tribune au « Monde », sur la situation de l’école française qui contrevient, selon eux, aux engagements de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Tribune. Les années passent, les constats se succèdent, mais rien n’y fait : l’école française d’aujourd’hui suscite le désenchantement aussi bien chez les élèves que chez les personnels d’éducation ou chez les parents. Pour cette rentrée, tous les indicateurs nous alertent sur un état de crise généralisé du secteur scolaire : démissions en vagues, postes vacants, moral du personnel en berne… Cette situation inédite nous conduit à contrevenir à des engagements pris en 1989, lors de la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
Tout d’abord, les articles 28 et 29 consacrés au droit à l’éducation et à l’épanouissement personnel des enfants ne sont pas appliqués. Le manque d’enseignants et d’AESH [accompagnants d’élèves en situation de handicap] ne permet pas aux enfants de bénéficier de ce droit. Le ministère n’est pas en mesure d’assurer qu’autant d’enseignants que nécessaire soient présents face aux élèves, le métier n’attire plus.
Cette absence de volonté politique et de réformes structurelles conduit à élaborer des dispositifs d’urgence à chaque rentrée, comme l’exemple scandaleux des « job dating » organisés par le rectorat de Versailles qui fragilisent le système éducatif sans le réformer. Dans ce constat, nous ne pouvons pas oublier le système d’enseignement français à l’étranger qui est tout aussi sacrifié, la mise à disposition et le détachement des professeurs étant devenu de plus en plus restreint et difficile faute de titulaires.
Maltraitance institutionnelle
Quant aux annonces récentes sur les salaires des professeurs débutants, elles ne suffiront pas si l’ensemble des grilles ne sont pas repensées et si les conditions d’exercice du métier ne changent pas. Pour cela, il n’est pas nécessaire de convoquer une énième concertation avec la communauté éducative comme suggéré par le ministère puisque certaines solutions sont déjà connues depuis longtemps : permettre aux professeurs de passer plus de temps avec chaque élève, diminuer le nombre d’élèves par classe, proposer des modules de formation continue au plus proche des demandes des enseignants, les soutenir lorsqu’ils subissent des pressions externes et cesser la multiplication de réformes menées cavalièrement. Le gouvernement est responsable et les annonces récentes du ministre sont loin de répondre à la crise sans précédent que nous traversons !
Par ailleurs, nous ne sommes plus en mesure de garantir aux élèves en situation de handicap d’apprendre « dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité », comme le dispose l’article 23 de la Convention. En 2021, 20 % des saisines du Défenseur des enfants concernaient des difficultés d’accès à l’éducation d’enfants en situation de handicap. C’est un constat d’échec pour une école qui se dit « inclusive » !
Le ministère ne peut plus tolérer la souffrance que cela engendre chez ces élèves, chez le personnel qui les suit, ainsi que chez les camarades de classe, qui, témoins innocents, assistent à leur peine. Pour pallier cela, il est nécessaire que les conditions salariales et d’exercice du métier des AESH soient améliorées avec des mesures concernant l’emploi à plein temps, la titularisation dans la fonction publique et la formation continue.
Pour ces motifs, la situation actuelle représente une forme de violence à l’égard des enfants et enfreint l’article 19. Lorsque les élèves sont livrés à des classes d’accueil, que leur suivi médical et psychologique est insuffisant, que le nombre d’heures d’accompagnement pour leurs camarades en situation de handicap est réduit à peau de chagrin, nous assistons à une forme de maltraitance institutionnelle à laquelle tous nos enfants sont soumis en passant le seuil de leur école. Cette forme de violence est intolérable pour le personnel éducatif et scolaire qui en subit aussi les conséquences et qui ne cesse de dénoncer.
Il est donc impératif que le nombre d’infirmières et de psychologues scolaires soit proportionnel au nombre d’élèves et en ligne avec un suivi de qualité et régulier. Cela est d’autant plus important que la crise sanitaire a lourdement impacté la santé mentale de nos enfants.
Apprendre le respect de l’environnement
Aussi, tandis que cet été nous a montré toute l’ampleur du bouleversement en cours, notre école est loin d’apprendre à nos enfants le respect de l’environnement. Ce droit est pourtant inscrit à l’article 29. Trop théoriques, trop statiques, nos enseignements ne créent pas les conditions d’un contact privilégié et épanouissant avec la nature. Il est donc nécessaire de développer les savoirs pratiques en donnant, par exemple, un cadre précis aux cours d’éducation à l’alimentation, véritables piliers pour éduquer des citoyens responsables. De même, un plan de déminéralisation des cours de récréation doit être élaboré pour en faire des lieux d’apprentissage du vivant, et les bâtiments, mal isolés, doivent faire l’objet d’un audit national afin de les adapter aux variations saisonnières de plus en plus brutales.
Enfin, la convention sanctuarise aussi, en son article 12, la libre expression de l’opinion de l’enfant. Or, que savons-nous du ressenti des élèves ? Quel est leur avis sur la qualité de l’enseignement, le contenu des programmes, les conditions d’accueil ou les repas servis à la cantine ? Nous souhaitons pour cela que des enquêtes soient menées auprès de tous les écoliers et que leurs résultats soient portés à la connaissance de la nation.
Il ne peut y avoir d’autre « école du futur » que si elle s’inscrit pleinement dans la Convention internationale des droits de l’enfant. Le temps pour réagir et empêcher l’aggravation est maintenant compté. Pour restaurer la confiance en l’école et préserver ce socle de notre République, nous appelons à la déclaration d’un véritable état d’urgence scolaire sur tout le territoire.
Signataires : Christine Arrighi (écologiste), députée (Haute-Garonne) ; Lisa Belluco (écologiste), députée (Vienne) ; Karim Ben Cheikh (écologiste), député (Français de l’étranger) ; Mickaël Bouloux(Parti socialiste, PS), député (Ille-et-Vilaine) ; Cyrielle Chatelain(écologiste) et Julien Bayou (écologiste), députés (Isère, Paris) et coprésidents du groupe écologiste à l’Assemblée nationale ; Iñaki Echaniz (PS), député (Pyrénées-Atlantiques), membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ; Sylvie Ferrer (La France insoumise, LFI), députée (Hautes-Pyrénées) ; Charles Fournier (écologiste), député (Indre-et-Loire) ; Marie-Charlotte Garin (écologiste), députée (Rhône) ; Jérémie Iordanoff (écologiste), député (Isère) ; Hubert Julien-Laferrière (écologiste), député (Rhône) ; Fatiha Keloua Hachi (PS), députée (Seine-Saint-Denis), membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ; Andy Kerbrat (LFI), député (Loire-Atlantique) ; Julie Laernoes (écologiste), députée (Loire-Atlantique) ; Benjamin Lucas (écologiste), député (Yvelines) ; Francesca Pasquini (écologiste), députée (Hauts-de-Seine), membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ; Sébastien Peytavie (écologiste), député (Dordogne) ; Marie Pochon (écologiste), députée (Drôme) ; Loïc Prud’homme (LFI), député (Gironde) ; Jean-Claude Raux(écologiste), député (Loire-Atlantique), membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ; Sandra Regol (écologiste), députée (Bas-Rhin) ; Claudia Rouaux (PS), députée (Ille-et-Vilaine), membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ; Sandrine Rousseau (écologiste), députée (Paris) ; Eva Sas (écologiste), députée (Paris) ; Sabrina Sebaihi (écologiste), députée (Hauts-de-Seine) ; Aurélien Taché (écologiste), député (Val-d’Oise) ; Sophie Taillé-Polian (écologiste), députée (Val-de-Marne), membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ; Nicolas Thierry (écologiste), député (Gironde).
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