par Olivier Monod publié le 3 septembre 2022
Le Covid-19 se transmet par voie aérienne. Un fait admis mais qui a été nié avec force au début de la pandémie par les autorités les plus reconnues. Leur réticence à reconnaître ce fait s’explique par la difficulté à se dédire mais aussi par l’histoire de notre compréhension des mécanismes de transmission des maladies, selon un article scientifique publié dans la revue Indoor Air le 22 août. C’est le fruit d’une véritable enquête historico-scientifique, d’un petit groupe de chercheurs qui s’est confronté très directement au dogmatisme de l’Organisation mondiale de la Santé.
Retour aux débuts de la pandémie. Le 28 mars 2020, L’OMS tweete«fait : le Covid-19 n’est pas aéroporté», propageant ainsi elle-même une grave désinformation en matière de santé.
En réaction à cette fausse affirmation, une petite équipe se forme autour de Lidia Morawska, spécialiste des aérosols à la Queensland University of Technology, et décroche un entretien – en vidéoconférence – avec les responsables de l’OMS. Aux côtés de l’universitaire sont notamment présents une physicienne américaine, Linsey Marr, ou encore l’ingénieur chimiste espagnol José Jimenez. «Nous n’étions ni médecins, ni très connus, nous n’avons pas été entendus», confie ce dernier à Libération.
Le ton monte même pendant la réunion racontée par le magazine américain Wired. «Ils nous criaient “quelles sont vos preuves ?” J’ai été surpris par leur hostilité. Ils semblaient tellement convaincus de ce qu’ils disaient», se souvient José Jimenez.
«Ils ne maîtrisaient pas les bases physiques»
La doxa officielle qui leur est opposée pose que toute gouttelette d’une taille supérieure à cinq micromètres va tomber au sol dans un rayon d’un à deux mètres de distance. Elle ne reste pas en suspension dans l’air. Ces gouttelettes seraient la principale source d’infection. Dès lors, les consignes pour limiter la transmission du Covid seront de s’espacer physiquement, et de se laver les mains fréquemment. Rien sur l’importance de la ventilation, donc, essentielle pour lutter contre l’aérosolisation, c’est-à-dire le maintien en suspension de l’air de particules infectieuses.
«Leurs arguments me semblaient vraiment légers. Ils ne maîtrisaient pas les bases physiques de ce dont ils parlaient. Si ce qu’ils disent était vrai, nous verrions tous les jours les nuages tomber rapidement au sol. Or, ce n’est pas le cas», raconte, encore aujourd’hui médusé, José Jimenez.
Dès lors, la petite équipe va essayer de comprendre d’où vient cette taille limite de 5 microns qui leur a été opposée, et comment expliquer cette réticence à admettre un nouveau mode de transmission des maladies. Une véritable plongée historique dans la compréhension des épidémies. C’est le sujet de leur dernier article «Quelles étaient les raisons historiques de la résistance à reconnaître la transmission aérienne pendant la pandémie de Covid-19 ?»
L’aérosolisation, de dogme à superstition
De l’Antiquité au XIXe siècle, les maladies sont réputées se transmettre par l’air. C’est la théorie des miasmes, qui amènera les scientifiques à nommer le paludisme «malaria» une contraction de l’Italien pour «mauvais air». Au XIXe siècle, plusieurs médecins mettent à mal ce dogme. Il s’agit de John Snow, qui démontre que l’épidémie de choléra à Londres en 1854 se transmet par l’eau contaminée. Ou encore de Ignaz Semmelweis, qui remarque, à Vienne en 1847, que les femmes ont moins de risques de mourir en couches si l’équipe soignante se lave les mains avant de les accoucher. Tous deux ont en commun de ne pas avoir été écoutés.«Comme nous, ils étaient des outsiders. Ils n’avaient pas beaucoup de pouvoir», explique José Jimenez.
Ils se heurtent aussi à des élites qui ont du mal à remettre en cause leurs pratiques et à reconnaître leurs torts. «Admettre que Semmelweis avait raison, c’était, pour les médecins, reconnaître qu’ils causaient du tort à leurs patientes. De même, reconnaître publiquement l’importance des aérosols, c’était, pour l’OMS, admettre son erreur initiale. On ne saura jamais quel contrôle sur l’épidémie on aurait pu avoir si on avait tout de suite considéré le bon mode de transmission, mais je suis persuadé que nous aurions moins de morts», peste encore José Jimenez.
L’ingénieur William F. Wells a démontré, chez le lapin, que la tuberculose ne se transmettait que si la bactérie était contenue dans des particules de moins de… 5 microns.
Il faudra encore Pasteur et l’avènement de la théorie microbienne pour que l’idée d’une transmission des maladies par contacts directs avec un malade – ou un animal comme le moustique dans le cas de la malaria – s’impose. En 1910, un épidémiologiste américain, Charles V. Chapin, ira jusqu’à dire que la transmission par aérosol est impossible et relève de la superstition.
Littérature scientifique mal digérée
Une position excessive qui ne va pas aider William F. Wells, un ingénieur d’Harvard, à faire connaître ses travaux sur la tuberculose au milieu du XXe siècle. L’histoire a été reconstituée par Katie Randall, membre de la petite équipe de chercheurs, et racontée dans un article d’octobre 2021. Wells a démontré la transmission aéroportée de la maladie en exposant des cochons d’inde à l’air prélevé dans la chambre d’un patient. Il a également démontré, chez le lapin cette fois, que la tuberculose ne se transmettait que si la bactérie était contenue dans des particules de moins de… 5 microns. Tiens, tiens.
Après guerre, Alexander Langmuir, le premier directeur du département d’épidémiologie au Centre de contrôle des maladies américain, a contribué à populariser ces travaux. Il a aussi écrit un rapport sur le risque de création d’une arme biologique. Selon lui, le plus dangereux serait la création d’un pathogène pouvant être pulvérisé en aérosol de moins de 5 microns, là encore.
Selon Katie Randall, il ne faut pas chercher plus loin. La fameuse limite entre les aérosols et les gouttelettes viendrait de cette littérature scientifique mal digérée. «Ce que nous espérons démontrer dans cet essai, c’est que bien que les idées sur la taille des gouttelettes et la plage de propagation soient apparemment bien acceptées, leur fondement est confus et trompeur, et n’est pas cohérent avec la physique», écrit-elle en conclusion de son article. Ironie de l’histoire, Wells lui-même avait un émis une taille limite pour l’aérosolisation. Il l’avait fixée à moins de 100 microns… soit 20 fois plus que les 5 micromètres finalement avancés par l’OMS. Il faut croire que cette partie de ces travaux n’a été ni lue, ni retenue.
Mea culpa partiel
L’OMS a fini par recommander l’aération pour lutter contre le Covid-19. Mais les plus ardents défenseurs des «gouttelettes» conservent un schéma de pensée faussé. Didier Pittet, par exemple. Il est l’inventeur du gel hydroalcoolique et il a joué un rôle central dans l’approche française face au Covid-19 puisqu’il était président de la mission d’évaluation indépendante de l’exécutif sur la gestion de la pandémie. Interrogé en mai 2021 sur France Inter pour savoir s’il avait changé d’avis sur l’aérosolisation, il fait une réponse confuse : «Personne n’a vraiment changé d’avis en fait. On s’est mis d’accord davantage sur qu’est-ce qu’on appelle un aérosol, […] jusqu’où une gouttelette peut-elle être contagieuse, je pense qu’il n’y a pas eu changement de dogme, parce que si on avait eu un changement de dogme on aurait dû tout d’abord tous changer de masque parce que les masques qu’on porte aujourd’hui ne sont absolument pas capables de retenir les aérosols.»
La fin de sa réponse est importante et illustre une dernière raison derrière la réticence à parler d’aérosolisation. Il est beaucoup plus compliqué, et cher, de lutter contre une maladie qui se transmet par l’air que contre une maladie qui se transmet par contact. D’ailleurs la France n’a pas encore mis en place la moindre mesure d’ampleur sur le sujet.
Mise à jour 4/09 à 9h43 : inversion de «par l’air » et « par contact » dans le dernier paragraphe.
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