par Elsa Maudet publié le 24 mars 2021
Le collectif féministe #NousToutes a recueilli près de 3 500 témoignages de personnes ayant porté plainte ou souhaité le faire. Bilan : 66% de mauvaises expériences en commissariat ou gendarmerie. Le gouvernement saluait pourtant récemment le très bon accueil assuré dans ces lieux.
Début mars, le gouvernement se félicitait de la qualité de l’accueil des victimes de violences conjugales dans les commissariats et les gendarmeries, mettant en avant un audit qui enregistrait 90% de satisfaction du côté des plaignantes. Un chiffre difficile à croire au vu des remontées de terrain. Dans le même temps, une femme partageait sur Twitter sa mauvaise expérience avec les forces de l’ordre après la réception d’une vidéo pornographique non sollicitée.
Deux événements qui se sont percutés et ont poussé l’association féministe #NousToutes à lancer un appel à témoignages auprès des personnes ayant porté plainte ou tenté de le faire pour des faits de violences conjugales, sexistes ou sexuelles. Objectif : vérifier la crédibilité de ce chiffre de 90%. «Des témoignages comme ça [le tweet ci-dessus, ndlr], j’en ai tout le temps, par messages privés, par SMS, sur WhatsApp. C’est notre quotidien, assure Caroline De Haas, fondatrice de #NousToutes. Pour beaucoup de policiers et de gendarmes, il y a un manque d’empathie et de professionnalisme face aux violences. C’est terrifiant.»
Bilan des courses : sur 3 496 répondants (97,3% de femmes), seuls 34% font état d’une bonne prise en charge. 40% en dénoncent une mauvaise, 26% «les deux à la fois». En d’autres termes, 66% des témoignages rapportent une expérience négative. Parmi ceux-ci, 67,8% déplorent une banalisation des faits. «Ils m’ont dit que ce n’était rien, que les violences et le harcèlement que je subissais, c’était simplement parce qu’il m’aime et n’arrive pas à me laisser. Qu’il n’est pas en infraction», raconte ainsi une victime à #NousToutes.
«Quand on rentre toute seule si tard, faut quand même pas s’étonner»
Dans 56,5% des mauvaises expériences, les forces de l’ordre ont refusé de prendre la plainte (ce qui est illégal) ou tenté de dissuader la plaignante, en lui assurant par exemple que la démarche aurait peu de chances d’aboutir ou en affirmant que l’auteur des faits était juste «un rigolo». 55,2% des témoignages négatifs parlent d’une culpabilisation de la victime. «Jolie demoiselle, entre vous et moi, quand on rentre toute seule si tard, faut quand même pas s’étonner», se serait ainsi vu rétorquer une plaignante.
«S’il y a 90% de femmes satisfaites, ce n’est pas possible que nous, on ait 66% d’insatisfaites. Ce n’est pas possible un tel décalage. Marlène Schiappa et la Macronie poussent tellement loin l’outrance dans la communication et le mensonge, ce n’est pas possible de les laisser dérouler ça sans rien faire, juge la militante, qui vient de publier un Manuel d’action pour en finir avec les violences sexistes et sexuelles.Le recueil de témoignages de #NousToutes ne prétend pas à la représentativité, puisqu’il repose sur la démarche volontaire d’internautes. «Mais ça dit quelque chose. Ça fait plus de 1 500 femmes maltraitées par les forces de l’ordre, même ça, c’est énorme.» Seule une enquête sociologique permettrait de se rendre compte de la véritable ampleur du problème.
Malgré l’amer constat de l’association, la situation aurait tendance à s’améliorer. Parmi les témoignages qu’elle a recueillis, 76,4% faisaient état d’un mauvais accueil en commissariat et gendarmerie en 2016, 68,1% en 2018, 45,9% en 2021. Une évolution qui suit la prise de conscience générale quant aux violences sexistes et sexuelles depuis le début de la vague #MeToo. «C’est globalement la cata, mais c’est de moins en moins», résume Caroline De Haas.
Exemple présidentiel
Une chose, notamment, a changé : la connaissance de l’article 15-3 du code de procédure pénale, qui oblige les forces de l’ordre à prendre une plainte. Si les refus perdurent, ils sont désormais moins nombreux que les cas de banalisation des violences, alors que c’était l’inverse en 2018, comme le montrait un appel à témoignages lancé alors par le Groupe F, ancêtre de #NousToutes.
«Il y a un problème de formation, de compréhension des mécanismes des violences. Quand un policier dit à une femme victime de violences conjugales ”Pourquoi vous n’êtes pas partie ?” : allô c’est le XXIe siècle ?», tacle Caroline De Haas. De plus en plus de policiers et gendarmes sont pourtant formés à ces questions. «A moins de trois jours de formation, vous ne faites pas changer vos pratiques. Beaucoup ont juste cliqué sur un kit de formation en ligne», balaie la militante.
Elle pointe également la responsabilité du chef de l’Etat. «Il faut faire passer des messages politiques. Si le président de la République lui-même ne montre pas l’exemple, il n’y a aucune raison que derrière ça suive», assure-t-elle. Et de citer ce discours d’Emmanuel Macron sur les violences conjugales, prononcé en 2017 et au cours duquel il avait dit souhaiter que la société «ne tombe pas dans un quotidien de la délation», ou cette vidéo qu’il a adressée aux enfants et ex-enfants victimes de violences sexuelles sans jamais prononcer le mot d’inceste, alors que le livre de Camille Kouchner venait de secouer la société à ce sujet.
La ministre chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa affirmait début mars à Libération que l’audit sur l’accueil des victimes de violences conjugales par les forces de l’ordre, réalisé par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), serait reconduit chaque année. Avec le risque que le gouvernement continue à défendre une approche démesurément optimiste du sujet.
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