par Virginie Bloch-Lainé publié le 25 mars 2021
Le pédopsychiatre et psychanalyste Bernard Golse, qui publie «le Fœtus/bébé au regard de la psychanalyse» avec Sylvain Missonnier, insiste sur la distinction entre «sentiment d’être» et «sentiment d’exister» dans l’analyse de la vie prénatale et périnatale.
Que se passe-t-il dans la nuit utérine, dans «l’antique terre natale du petit d’homme», ce lieu «où chacun a séjourné une fois et d’abord», écrivait Freud ? La religion et la mythologie se sont emparées de l’énigme de l’origine et les progrès de la médecine périnatale permettent de l’approcher davantage. Mais nos fantasmes demeurent. Sylvain Missonnier, psychanalyste, et Bernard Golse, pédopsychiatre et psychanalyste, sont deux spécialistes reconnus de la petite enfance. Dans un livre ardu et passionnant, ils expliquent ce que sont le bébé et le fœtus «au regard de la psychanalyse». Ils se font les avocats d’un «archaïque revisité» qui inclue les traces de «l’Atlantide intime que chacun de nous porte en lui», c’est-à-dire de la vie prénatale et périnatale. Ils défendent l’idée selon laquelle la biographie du sujet débute le jour de l’accouchement. Nourri de citations littéraires et psychanalytiques, le texte rapporte aussi des études de cas. Les auteurs reçoivent de jeunes enfants, et des parents qui ont plus ou moins du mal à accueillir leur enfant. Entretien avec Bernard Golse.
La psychanalyse a-t-elle toujours pris en compte la vie périnatale ?
Le premier à le faire est Otto Rank, qui écrit en 1924 le Traumatisme de la naissance. Freud sent que Rank conseille d’aller voir ce qui se passe avant la naissance, et il l’accepte mal. Si bien que, longtemps, la psychanalyse n’a été considérée comme valide qu’à partir du moment où elle étudiait la période œdipienne, qui commence autour des 3 ans de l’enfant, lorsque le langage et les systèmes de symbolisation se mettent en place. Les psychanalystes très classiques continuent d’opposer une résistance au travail avec les parents pendant la grossesse, et pensent que l’on ne peut pas s’occuper psychanalytiquement des bébés. Je crois pour ma part que la psychanalyse est une et entière, même si elle s’exerce dans des cadres différents. Il est évidemment hors de question d’allonger un bébé sur le divan. Mais quand une femme enceinte explique qu’elle a été quittée pendant la grossesse, ou lorsqu’elle vit un deuil bouleversant, on essaie de l’aider. Il arrive aussi que le bébé à la naissance ne corresponde pas à l’idée que s’en faisaient les parents.«Comment cet autre va prendre sa place ?» C’est l’enjeu des soins précoces et, là encore, la psychanalyse peut intervenir.
La psychanalyse périnatale collabore-t-elle étroitement avec les médecins ?
Elle est en effet particulièrement ouverte sur le contexte scientifique. D’ailleurs, Freud était très à l’écoute de la science de son époque. Les choses se sont figées plus tard. Aujourd’hui, si l’on ne veut pas s’enfermer dans une psychanalyse arrêtée aux années 1980, à Bettelheim par exemple, il faut tenir compte des progrès des neurosciences.
Le fœtus pense-t-il ?
Il faut rester prudents : grâce à la médecine fœtale, nous savons que pendant la grossesse s’installe la sensorialité du futur bébé, l’olfaction, la vision, etc. Le fœtus inscrit ces sensations dans son système nerveux. Cela suffit-il pour parler d’une pensée chez le fœtus ? Je n’en suis pas sûr. Penser, c’est pouvoir penser qu’on pense ; c’est la réflexivité. Je ne me représente pas qu’un fœtus pense qu’il pense tant qu’il n’a pas rencontré l’autre dans la réalité externe. C’est ce qui différencie le sentiment d’être du sentiment d’exister. Pour se sentir être, on n’a besoin de personne. N’importe quel organisme vivant a le sentiment d’être. Un fœtus qui à l’échographie colle son dos contre la paroi utérine, qui semble jouer avec le cordon ombilical ou qui suce ses doigts, il éprouve le fait d’être. En revanche, pour se sentir exister il faut se confronter au psychisme de l’autre.
Donc le fœtus ressent…
Et les parents pensent. La mère a un fœtus dans le ventre et un bébé dans la tête. Mais c’est aussi parce que les parents ressentent le fœtus un peu trop tôt comme un bébé que cela va le faire devenir bébé. Prenons le sourire aux anges : le bébé ne sourit à personne, son rictus signifie seulement qu’il n’a ni trop chaud, ni trop soif, ni trop faim. Un jour, le père ou la mère se disent : «Il me sourit.» Ils se trompent peut-être, mais ils tirent le sourire aux anges vers un statut de sourire-réponse. Il faut considérer que le bébé est une personne pour qu’il le devienne. On appelle cela une anticipation créative ou une illusion anticipatrice. Notre construction psychique dépend de l’autre. Il faut éviter à la fois l’aliénation et l’absence de liens. Car l’absence de liens, ce n’est pas la liberté mais la folie.
Le bébé est-il une personne ?
Une personne «en devenir». A la naissance, surtout s’il est prématuré, le bébé est inachevé. C’est la différence entre l’humain et les autres mammifères. Le bébé poulain sait marcher et se nourrir, alors que le bébé humain meurt si un adulte ne s’occupe pas de lui. Ce décalage a été voulu par l’évolution, et représente une chance inouïe. La construction du bébé se fait pendant les trois ans qui suivent sa naissance. L’environnement influence son évolution et agit sur l’expression de ses gênes. C’est l’épigenèse. Elle permet la diversité d’un être à l’autre. La diversité, le plus grand trésor de notre espèce, est liée à l’immaturité fondamentale du bébé. Nous n’avons pas plus de gênes que la mouche, soit environ 30 000 gènes. D’une mouche à l’autre il n’y a quasiment pas de différences, car la mouche n’est que le produit de ses gènes, alors que chez l’humain, même des jumeaux sont différents.
Le fantasme du retour dans le ventre maternel est-il fréquent ?
Il est fréquent et universel. Chaque étape laisse des traces, pas forcément psychiques mais sensorielles. Seulement, toutes les bonnes choses ont une fin. A la fin de la grossesse, le fœtus est confiné, il faut qu’il sorte. Il donne le signal biologique de l’accouchement parce qu’il est claustrophobe. Le confinement actuel nous rend claustrophobes et réactive cette angoisse. Les événements du présent réveillent toujours des étapes précédentes.
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