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vendredi 26 mars 2021

Interview Cannabis thérapeutique : «On vante la "start-up nation", mais là on est plutôt à l’époque des dinosaures»

par Charles Delouche-Bertolasi  publié le 26 janvier 2021

Pour le spécialiste du droit de la drogue Yann Bisiou, la France reste frileuse quant aux expérimentations sur les usages thérapeutiques.

Yann Bisiou est maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Spécialiste du droit de la drogue pour l’association L630, il analyse le récent déclassement du cannabis des substances les plus dangereuses et évoque le rôle à jouer par la France dans l’accès au cannabis thérapeutique.

Que représente la décision de l’ONU de sortir le cannabis du tableau IV sur les stupéfiants ?

C’est symboliquement fort. C’est une mise à jour importante du droit international. Le cannabis est sorti du tableau IV alors qu’il y figurait depuis l’origine de la classification, même avant la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. Le classement du haschisch, à l’époque, au même niveau que l’héroïne et la cocaïne avait laissé perplexe. Mais en même temps, ça traduit l’ancrage prohibitionniste au niveau international.

Le cannabis reste au tableau I et demeure donc un stupéfiant. Les votes ont été massivement en faveur de l'approche strictement prohibitionniste. Y compris sur le cannabidiol [CBD, ndlr], la molécule non psychotrope du cannabis. L'ONU et la Commission des stupéfiants [CND] n'ont pas suivi le diagnostic en termes de santé publique qu'avait fait l'Organisation mondiale de la santé. L'OMS avait pourtant expliqué que le THC [aux effets psychoactifs] était mal classé, que le CBD ne devait plus l'être. On s'est détaché de toute considération de santé publique en affirmant que le classement n'était pas seulement fondé sur la santé publique, mais aussi sur des enjeux tels que la survie du contrôle international des drogues.

Comment expliquer les divergences entre la décision de l’ONU et les recommandations de l’OMS ?

Le mandat de l’OMS est très limité. Il concerne les risques pour la santé publique. La Commission des stupéfiants a un mandat plus large. Un classement se fonde sur des enjeux de sécurité publique et le maintien du contrôle international des drogues. J’ai toujours vu la CND suivre l’OMS lorsqu’il s’agit de classer une substance. C’est la première fois qu’il s’agit de déclasser un produit et on a vu que le référentiel de santé publique n’était pas déterminant pour la CND.

On a retiré le cannabis du tableau IV, mais il reste dans le tableau I des stupéfiants soumis à contrôle. Le retirer du tableau IV ne change rien au contrôle. Désormais, on considère qu’il ne fait plus partie des drogues les plus dangereuses sans intérêt thérapeutique. C’est une manière de reconnaître l’intérêt thérapeutique. Au même titre que les autres stupéfiants utilisés comme médicaments.

Peut-on voir cette décision comme un élan international vers le cannabis médical ?

Ce vote n’a concrètement aucun effet. Les logiques de santé publique ne prévalent pas au niveau international. Ceux qui voulaient se lancer dans le cannabis médical trouveront un argument de plus pour le faire. Ceux qui y sont opposés ne bougeront pas. Lorsqu’on regarde les déclarations de la Chine et de la Russie dans leurs explications de vote, ils revendiquent une prohibition stricte. Aux Etats-Unis, on est dans la contradiction la plus totale, avec un Etat fédéral qui déclare soutenir la prohibition et des Etats fédérés qui sont sur des processus larges de légalisation.

Comment expliquer qu’il ait fallu deux ans pour lancer une expérimentation en France ?

On vante la «start-up nation», mais là on est plutôt à l’époque des dinosaures. La France n’est pas dans l’anticipation au sujet du cannabis. On critique beaucoup la bureaucratie pour les vaccins qui tardent. C’est pareil pour l’expérimentation.

De plus, le cadre retenu est excessivement contraignant et dissuasif. On peut féliciter l'Agence nationale du médicament [ANSM] d'avoir eu le courage de prendre le dossier. Ni la Haute Autorité de santé ni les académies de médecine ou de pharmacie ne voulaient en entendre parler. Toutefois, l'ANSM n'est pas spécialiste des politiques de santé publique, mais des médicaments. Or, nous n'avons pas besoin d'évaluer la dangerosité d'un produit, car les publications scientifiques existent. Nous avons besoin de mettre en place un dispositif de prescription, de distribution et de soin.

Imaginez-vous la France rattraper son retard et devenir un pays moteur en Europe dans ce domaine ?

Jusqu’alors, ce sont les Allemands qui sont en tête et c’est leur pharmacopée qui sert de référentiel. La pharmacopée européenne qui travaille sur le cannabis et ne prévoit pas de rendre ses travaux avant septembre 2021 s’aligne sur ce que fait l’Allemagne. L’appel d’offres de l’ANSM a exclu du marché les entreprises françaises et ne leur a pas donné la possibilité de participer et de monter une filière. Pour l’expérimentation, on est uniquement sur de l’importation. Tous les industriels étrangers étaient perplexes car les conditions posées sont importantes : ce sont eux qui fournissent gratuitement le produit et sont responsables de toutes les conséquences juridiques. Mais ils y sont tous allés. Car la France est un des plus gros marchés avec l’Allemagne en Europe. Si le pays s’implique sur le cannabis thérapeutique et développe une filière dédiée, on aura un poids mondial considérable.



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