par Nathalie Raulin publié le 24 mars 2021
Matthieu, Marjorie et Bénédicte ont tous trois eu le Covid-19. Des mois plus tard, ils peinent à récupérer le contrôle de leur corps, de leur souffle et de leur vie, démunis face à une communauté médicale souvent impuissante.
Ils sont directeur d’un magasin d’articles de pêche, chargée d’insertion professionnelle à la fac ou formatrice en sophrologie et ont un point commun : le Covid-19 ne les a pas lâchés. Six mois ou un an après avoir contracté la maladie, Matthieu, Marjorie et Bénédicte peinent à récupérer le contrôle de leur corps, de leur souffle et de leur vie, démunis face à une communauté médicale souvent impuissante.
Matthieu, 42 ans, Loiret
«Il n’y a pas que les morts du Covid et ceux qui s’en sortent, il y a aussi ceux qui sont au milieu»
Tout a commencé le 12 octobre par un rhume et des courbatures. Un mal de crâne carabiné, pas plus inquiétant que ça pour qui est sujet à migraines. «Je me suis dit que c’était une grippette, qu’on n’était pas dans The Walking Dead. Et puis je n’avais pas de fièvre»,se souvient Matthieu. Quatre mois et demi plus tard, le directeur d’un magasin d’articles de pêche près d’Orléans est toujours en arrêt de travail, incapable de soutenir son attention plus d’une heure d’affilée, avec le cœur qui s’emballe au moindre effort. «Il n’y a pas que les morts du Covid et ceux qui s’en sortent, il y a aussi ceux qui sont au milieu.»
Au début, l’idée que ce soit le Covid ne lui a pas a traversé l’esprit. Dès la pandémie déclarée, Matthieu avait converti sa famille au respect strict des gestes barrières. Il a suffi d’un déjeuner en groupe pour faire basculer son univers. «Je suis rentré chez moi, secoué de tremblements, avec une grosse chute de moral. Je n’ai pas senti l’odeur du dîner que venait de préparer ma femme.» Deux jours plus tard, le verdict du test PCR tombe : positif. Le début d’une descente aux enfers. «J’ai dormi dix-huit à vingt heures par jour pendant trois semaines. Au matin du 6 novembre, je me suis senti mieux. Ça a duré dix minutes et puis tout est parti en vrille.» Perte de repères, de sensibilité aux extrémités, désordre moteur, tachycardie. Pris en charge aux urgences de l’hôpital d’Orléans, il en ressort après une batterie d’examens. «L’IRM montrait que mes poumons étaient infectés à 10 %. Mais le médecin m’a renvoyé chez moi en me disant que, vu mon âge et ma forme physique, j’allais récupérer sans problème.»
Le 9 novembre, son test PCR revient négatif. Son bilan sanguin, en revanche, affole l’infirmière libérale qui lui rend visite. «Elle a dit à mon épouse que si je bougeais j’allais “crever”. On est repartis aux urgences. Là, j’ai dit aux médecins qu’il fallait vraiment qu’ils m’expliquent ce qui se passait.» Peine perdue. «Pour ceux qui ne sont pas médicalement accompagnés, c’est à devenir fou», insiste Matthieu qui, à raison de deux séances de kiné par semaine, retrouve peu à peu la maîtrise de son corps et de son souffle. L’espoir, donc. Pas encore la forme.
Marjorie, 34 ans, Rhône
«Pour plein de gens, le Covid, c’est juste une petite grippe. Pour moi, c’est un long parcours du combattant»
«Je n’aurais jamais imaginé qu’un an après je serais encore comme ça.» A 34 ans, Marjorie désespère de reprendre le contrôle de ce corps qui ne lui «appartient plus vraiment». «Ça», ce sont ces douleurs qui lui paralysent toujours les bras, les épaules, les mains. Ces crises de tremblements et ce vertige. «En décembre, je me suis fracturé le coccyx. Rien à voir avec mon Covid, mais comme je tombe tout le temps…» Quand la fièvre est passée, après les vingt-sept jours «atroces» qui ont suivi sa contamination, en mars 2020, la mère de famille pensait renouer avec «la vie normale». Très vite, elle déchante, terrassée par un cortège de douleurs inconnues. «Les médecins ont pensé qu’une maladie auto-immune s’était peut-être greffée sur le Covid et m’ont hospitalisée. Mais a priori ce n’est pas ça.» Les examens attestent de «trucs pas normaux, mais rien d’alarmant non plus». Désemparés, les praticiens lui prescrivent des antidépresseurs. «C’est la première chose qu’ils font quand ils ne savent pas, s’énerve-t-elle. Une psy m’a dit que ce n’était pas le problème. Mais comment savoir ce qu’est le problème ? Il n’y a pas de consultations spécialisées à Lyon. Et à Paris c’est surchargé, tout comme les centres antidouleurs…»
Cette incertitude, la chargée d’insertion professionnelle en université à Lyon la vit d’autant plus mal que ses fins de mois sont difficiles. «Après trois mois d’arrêt de travail, j’ai perdu la moitié de mon salaire. Comme le Covid long n’est pas sur la liste des affections longue durée, je ne bénéficie pas d’un congé longue maladie.» Sur intervention de ses responsables, l’université a pris en charge une partie du manque à gagner. «Mais comme cela va faire un an que je suis en arrêt, mes revenus vont de nouveau baisser», s’inquiète celle qui fait toujours face à des frais médicaux importants. Une double peine «injuste» à ses yeux : «Pour plein de gens, le Covid, c’est juste une petite grippe. Pour moi, c’est un long parcours du combattant, y compris sur le plan financier. Socialement, on se sent seul.»
Bénédicte, 48 ans, Ille-et-Vilaine
«J’ai tellement de symptômes que j’ai l’impression d’avoir 90 ans»
La veille, comme presque tous les soirs, un éléphant s’est assis sur sa poitrine. Souffle coupé, Bénédicte a laissé couler quelques larmes. A cause de la douleur. De la lassitude aussi. «J’étais une lève-tôt. Il m’arrive maintenant de rester couchée jusqu’au milieu de l’après-midi, voire ne pas sortir de mon lit, confie-t-elle, voix cassée par une fatigue inexpliquée. J’ai tellement de symptômes que j’ai l’impression d’avoir 90 ans.» Les muscles tétanisent, les articulations vrillent. «Sans compter le mal de crâne, effroyable, alors que je n’ai jamais été migraineuse.»
Sa vie a basculé le 11 mars. Ce matin-là, la sophrologue se réveille avec un «mal de gorge intense et inconnu», mais passe outre. Quand viennent la «toux bizarre» et les suffocations, elle consulte. Suspicion de Covid, conclut son généraliste, qui lui recommande quinze jours d’isolement. «Pendant quatre mois, je l’ai eu une à deux fois par jour au téléphone tant j’étais mal», se souvient celle qui n’a pas été hospitalisée. «Tachycardie, éruption cutanée, zona, phlébites, évanouissements… Des symptômes multiples et tournants. Mon médecin m’a prescrit du Dafalgan codéiné et des anticoagulants, mais il se sentait impuissant. A l’époque, personne ne parlait du Covid long.» Quand, en juin, Bénédicte tombe sur le témoignage d’une femme confrontée aux mêmes maux, c’est le soulagement : «Je n’étais pas seule. J’ai échangé avec d’autres malades sur Twitter et Facebook. La découverte du Covid long est venue des patients, pas des médecins.»
Nommer le mal est une chose. En venir à bout, une autre. «Je tente régulièrement de reprendre le travail, mais au bout de quinze jours je m’effondre. Moi qui bossais plus de soixante heures par semaine, je m’écroule au bout de vingt. J’ai des trous de mémoire, plus de résistance et quasiment plus de vie sociale. Je ne veux pas rester comme ça !» Bénédicte s’accroche à un léger mieux : «J’arrive à marcher un peu. Il y a un an, je m’évanouissais au bout de 20 mètres.» Et espère que les séances de kiné respiratoire et fonctionnelle l’aideront. «On verra bien.»
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