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vendredi 26 mars 2021

« Sommes-nous vraiment prêts à “trier” les enfants et adolescents suicidaires ? »

Publié le 24 mars 2021

TRIBUNE

Collectif

Depuis le début de la crise sanitaire, idées et pulsions suicidaires chez les plus jeunes déferlent, alerte un collectif emmené par Lisa Ouss, pédopsychiatre à l’hôpital Necker.

Tribune. Comment répondre à ce dilemme impossible : trier les enfants et adolescents que l’on va hospitaliser après un geste ou une intentionnalité suicidaire forte ? Si les actes ou idées suicidaires des jeunes ont diminué pendant le premier confinement, ils déferlent depuis l’automne, peut-être à la faveur d’un discours fataliste sur une jeunesse sacrifiée.

La seconde vague psychiatrique nous submerge, et nous, les pédopsychiatres, psychiatres, psychologues, acteurs du soin psychique, avec l’aide précieuse des pédiatres, malgré les alertes lancées depuis longtemps, écopons la catastrophe annoncée mais désormais quotidienne. Or, un geste ou une intention suicidaire, chez un enfant ou un adolescent, marque une détresse qui doit être immédiatement entendue, accompagnée, dans toute la complexité d’un environnement scolaire, familial, sociétal que le contexte actuel fragilise.

Pour ce faire, il faut du temps, une écoute, un espace, et celui de l’hôpital est un nécessaire refuge, à l’abri des turbulences. Or, il devient extrêmement difficile – voire impossible – d’hospitaliser rapidement un enfant ou un adolescent qui présente de telles pensées ou est passé à l’acte. Nous ne voulons pas « trier » les patients Covid-19, sommes-nous vraiment prêts à « trier » les enfants et adolescents suicidants ?

Nous refusons d’être des spectateurs muets

Faut-il raconter la quête interminable et infructueuse d’un lit ? Faut-il raconter comment nous renvoyons chez eux ces adolescents et les revoyons tous les jours jusqu’à l’obtention du Graal, un lit en pédiatrie ou en pédopsychiatrie ? Faut-il détailler la réaction de leur environnement à l’annonce de leur retour à domicile ? Faut-il souligner le risque de transformer ce retour à domicile en un premier palier d’une escalade face à un acte qui n’est pas entendu dans toute sa gravité ? Faut-il raconter notre inconfort, notre inquiétude, et notre manquement à les laisser partir ? Faut-il rapporter les discussions pour savoir quelle « pire » situation nous allons choisir d’hospitaliser car nous n’avons qu’un lit et plusieurs patients ? Faut-il raconter que nous déprogrammons chaque semaine nos activités, depuis plusieurs mois, pour répondre à ces besoins urgents ?

Faut-il rappeler que nous ne pouvons pas transférer en TGV, vers des territoires meilleurs, des adolescents qui doivent être, paradoxalement, éloignés de l’environnement qui a précipité leur geste, tout en en restant proches ? Faut-il attendre un inéluctable accident à venir, un autre fait divers, pour dire la souffrance et la détresse – pourtant déjà si visibles – qui étreignent notre jeunesse ? Nous ne voulons plus rentrer chez nous en nous disant que nous n’avons pas pu faire correctement notre travail.

Koltès savait ouvrir ces horizons : « Je voudrais aller voir la neige en Afrique. Je voudrais faire du patin à glace sur les lacs gelés », dit la gamine. Une société qui ne laisse pas à ses adolescents le territoire du possible, à défaut de celui du rêve, est une société qui court à sa perte. Et nous, acteurs du soin psychique, qui sommes convoqués sans arrêt pour soutenir les équipes médicales pendant la tempête déchaînée du Covid-19, à chaque événement traumatique, face aux questions sociétales de la jeunesse, sans que l’on nous donne les moyens d’y répondre, refusons d’être les spectateurs muets d’une catastrophe que nous pouvons prévenir.

Premiers signataires : Florence Askenazy-Gittard, professeure de pédopsychiatrie, chef de service CHU Lenval, Nice ; Michel Basquin,professeure émérite de pédopsychiatrie, Paris ; Thierry Baubet,professeur de pédopsychiatrie, Bobigny ; Bérengère Beauquier-Maccotta, pédopsychiatre, praticien hospitalier, Hôpital Necker, Paris ; Avicenne Bellis, interne en pédopsychiatrie, Hôpital Necker, Paris ; Olivier Bonnot, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Nantes ; Marie Bon-Saint-Côme, pédopsychiatre, CHU Angers ; Romain Bourdoncle, pédopsychiatre, Hôpital Necker, Paris ; Marie-Michèle Bourrat, pédopsychiatre, Limoges ; Lisa Ouss,professeure associée en pédopsychiatrie, Hôpital Necker, membre du Conseil scientifique de la société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées.

Retrouvez la liste des signataires sur le site de la SFPEADA.


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