Par Valérie Handweiler. Publié le 22 mars 2021
Plus que l’impact spectaculaire de l’apparition de troubles psychotiques chez quelques personnes ayant contracté le Covid-19, l’anxiété, la dépression, les troubles de stress post-traumatique ou cognitifs, persistant après une infection, sont à ne pas minimiser.
Une mère de famille se présente chez son médecin. Elle a 42 ans, quatre enfants et est plutôt de type alerte. Elle n’a jamais eu de problèmes psychiatriques. Cependant, cette Américaine a tout à coup entendu une voix intérieure qui lui disait de tuer ses enfants puis de se suicider. Ces symptômes psychotiques sont curieusement apparus à l’été 2020 chez cette femme qui avait contracté le virus du Covid-19 au printemps, sous une forme très modérée et sans hospitalisation aucune.
C’est le New York Times qui relate ce cas dans ses colonnes fin décembre 2020. D’autres manifestations sont relayées par les réseaux sociaux. « Des “cas uniques” de ce type ont été décrits dans la littérature scientifique. Pour l’heure, aucune publication ne fait état d’un très grand nombre de cas », rassure la professeure Marion Leboyer, directrice médicale du département médico-universitaire de psychiatrie et addictologie de l’université Paris-Est-Créteil. D’autres psychiatres témoignent de l’apparition de cas isolés de psychoses, sans que l’on puisse pour l’instant faire le lien de manière évidente avec le Covid-19.
« On peut toujours trouver des rapports de cas de déclenchement d’épisodes psychotiques à peu près après n’importe quel événement touchant le cerveau, mais cela n’a pas été démontré dans les bases nationales », confirme le docteur Guillaume Fond, responsable du Centre expert schizophrénie et dépression résistante, aux hôpitaux universitaires de Marseille. « Cliniquement, on a eu quelques suspicions de troubles psychiatriques secondaires au SARS-CoV-2, mais c’est souvent difficile de faire la part entre un effet neurotoxique direct du virus, un effet indésirable de certains traitements utilisés dans le cadre de l’infection ou un effet lié au contexte plutôt qu’au virus – stress lié au confinement par exemple », indique le professeur Sébastien Guillaume, psychiatre au CHU de Montpellier.
Moins spectaculaire mais plus fréquent
Si l’apparition de troubles psychotiques attire l’attention du public, Marion Leboyer rappelle qu’une augmentation des affections psychiatriques moins spectaculaires (troubles anxieux, insomnie, dépression, stress post-traumatique, troubles obsessionnels compulsifs) est très souvent observée à moyen terme chez des patients infectés par le Covid-19, même avec des formes bénignes.
Une étude italienne publiée en octobre 2020 dans Brain, Behavior and Immunity portant sur 402 patients ayant souffer du Covid (hospitalisés ou non) rapporte que 54 % présentaient, un mois après la sortie de l’hôpital ou du service d’urgence, au moins un trouble psychiatrique. « Après trois semaines de traitement, je guérissais du Covid, à la maison. Je n’avais pas de fièvre et juste un peu de toux. Mais parfois, la nuit, mon souffle pouvait disparaître tout d’un coup, me donnant l’impression que j’allais mourir, lit-on dans le rapport de suivi d’un patient italien, mentionné dans l’étude. Je savais ce que c’était parce que j’avais souffert de crises de panique dans le passé. Je restais sur le balcon pendant des heures, essayant de mettre de l’air frais dans mes poumons. C’était terrible. La panique m’a fait plus souffrir que le Covid. »
La relation entre les maladies virales et les troubles anxieux est connue. Réalisée à partir d’études sur les précédentes épidémies dues à des coronavirus (SARS- CoV-1 en Asie en 2002, ou MERS-CoV au Moyen-Orient après 2012), une méta-analyse publiée dans le Lancet en juillet 2020 montre une augmentation considérable de la prévalence des troubles de stress post-traumatique (+ 32,2 %), des troubles anxieux (+ 14,9 %) et dépressifs (+ 14,8 %) chez les survivants des infections à coronavirus. « Face à ces symptômes neurologiques, on recherche généralement une cause somatique, comme un déséquilibre ionique par exemple. Aussi, les processus inflammatoires comme déclencheurs de troubles psychiatriques sont connus, confirme la professeure Delphine Capdevielle, responsable du pôle de psychiatrie adulte au CHU de Montpellier. L’anxiété également peut engendrer des troubles cognitifs. On est à la frontière entre ces spécialités médicales, qui travaillent ensemble pour mieux comprendre ces phénomènes, les anticiper et les traiter. »
Les femmes plus touchées
23 % des patients infectés par le SARS-CoV-2 (et notamment des femmes) souffrent de dépression ou d’anxiété six mois après leur sortie de l’hôpital, révèle une étude en Chine, qui a livré ses conclusions le 8 janvier dans le Lancet. Ce travail repose sur le suivi d’une cohorte de 1733 patients hospitalisés. Plus qu’aux troubles psychotiques, finalement très rares, une attention particulière doit être portée aux troubles psychiatriques secondaires du Covid-19, quel que soit le niveau de sévérité de l’infection. Ce que corrobore l’étude italienne, qui alerte notamment sur le fait que, « malgré des niveaux significativement plus faibles de marqueurs inflammatoires de base, les femmes souffrent davantage d’anxiété et de dépression ».
Enfin, les résultats de cette puissante étude rétrospective américaine publiés dans le Lancet en novembre 2020 confortent la nécessaire attention à accorder aux convalescents du Covid-19. Cette étude porte sur la santé mentale de 62 354 cas de patients atteints par le nouveau coronavirus, non hospitalisés et non passés par les urgences. Elle met en évidence une augmentation du risque de développer une maladie psychiatrique avec une incidence de 18,1 % après une période de 14 à 90 jours suivant l’infection, dont 5,8 % chez des personnes n’ayant aucun antécédent. « L’infection par le Covid-19 favoriserait l’émergence ou l’aggravation de troubles psychiatriques (troubles anxieux et dépressifs, syndromes de stress post-traumatique, troubles cognitifs) », rappelle ainsi un avis du conseil scientifique du 11 mars.
Essoufflement, fatigue, perte de goût… les personnes infectées évoquent spontanément des symptômes physiques qui persistent après leur guérison. C’est moins souvent le cas pour leurs symptômes psychologiques. « Ce comportement représente un danger de santé publique car, non traités, ces états peuvent conduire à la dépression, ou à des formes de déprime chroniques, tout aussi invalidantes pour les personnes », réitère Marion Leboyer. C’est justement ce qui inquiète la communauté des psychiatres. Ils ont nommé cela la « quatrième vague » du Covid et rappellent que les troubles anxieux, ceux du sommeil et le stress post-traumatique doivent être déclarés au médecin traitant.
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