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lundi 22 mars 2021

Justice Remèdes miracles : des fioles, du fric et des frasques

par Christian Losson  publié le 22 mars 2021

Cinq Britanniques doivent répondre à partir de ce lundi devant le tribunal correctionnel de Paris d’un trafic de médicaments de plusieurs millions d’euros. A la tête du réseau supposé, un homme déjà condamné et aux goûts de luxe, complotiste, brexiter et ultralibéral.

Leur vitrine pharmaceutique tenait de l’antichambre miraculeuse. Sur Internet, leurs pseudo-médicaments devaient prévenir des maladies. Et en soigner beaucoup trop. Cancer, sida, sclérose en plaques. Parkinson, Alzheimer, Crohn, Lyme. Même l’autisme. Voire herpès, eczéma, psoriasis… Un inventaire à la Prévert pour la prébende. Le réseau écoulait des potions supposées magiques, censées stimuler les défenses immunitaires, dans plus d’une cinquantaine de pays. A prix d’or. Déclarées en douane comme cosmétiques d’une valeur de 15 euros, elles se négociaient en moyenne à 450 euros la fiole de deux centilitres.

Un mandat d’arrêt européen avait été délivré. Et l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp), qui a démantelé le vaste réseau dans la Manche, évalue la martingale entre 2 et plus de 9 millions d’euros. Soupçonnés d’être à l’origine du jackpot, cinq ressortissants britanniques comparaissent à partir de ce lundi devant le tribunal correctionnel de Paris. Avec, pour les principaux instigateurs de cette fraude à grande échelle, à commencer par leur maître d’œuvre, David Noakes, des chefs «d’escroquerie en bande organisée», «exercice illégal de la profession de pharmacien», «tromperie sur la marchandise entraînant un risque grave pour la santé» ou, parmi d’autres griefs, «commercialisation de médicament sans autorisation de mise sur le marché». Un marché de dupes, au détriment de familles, de malades, de désespérés.

Des cartons chargés dans une Jaguar

Tout débute, en France, en décembre 2015. Le gendarme du médicament britannique alerte son homologue français de l’Oclaesp. David Noakes, déjà dans le collimateur de la justice anglaise ‐ il sera condamné trois ans plus tard après avoir plaidé coupable - aurait délocalisé dans la région de Cherbourg un laboratoire clandestin destiné à la production de deux produits qui ne bénéficient d’aucune autorisation de mise sur le marché. Et qu’ils expédient depuis la France via un site : firstimmune.fr. Les deux sésames présumés pour la survie ? Le GcMAF, protéine se trouvant dans le sang, et le Goleic, un dérivé light du premier.

S’il n’existe aucune trace d’un moindre diplôme médical, David Noakes, 68 ans, peut se targuer d’avoir au moins un atout dans la manche : une licence de pilote. C’est donc à bord de ses deux avions privés, dont l’un modestement baptisé 2LOVE, que, depuis l’île anglo-normande de Guernesey, où il jouit d’une somptueuse résidence, il fait régulièrement la noria jusqu’à l’aéroport de Cherbourg. Y compris lorsque ce dernier est fermé. Il y débarque ainsi des cartons, remplis de thermos en aluminium, qu’il charge avec une petite main, David H., dans une Jaguar. Aux douanes, il prétendra même un jour que des enveloppes matelassées destinées à expédier des produits servaient à envoyer des cartes de vœux. L’homme pensait être «invisible», dira-t-il aux enquêteurs.

Comme ce corps de ferme à Digosville, petite bourgade face à la Manche, site de conditionnement où sont entreposés ces «médicaments par présentation». Les enquêteurs y découvrent un local «sale» sans aucun «système de contrôle et de régulation de la température et de l’humidité». David H. est payé 600 euros la semaine - et accessoirement «compagnon de beuverie» selon Noakes - pour produire, conditionner, étiqueter, stocker et expédier les fameuses fioles, sans tenue adaptée ni surchaussures. Son savoir-faire : il l’aurait acquis après avoir notamment «visionné des vidéos sur Youtube». Rassurant.

Si elle prétend avoir obtenu «un diplôme en biologie médicale, sans pouvoir dire lequel, parce que ça faisait trop longtemps», Lynda T. brille, elle, par son esbroufe. Noakes la vante comme une «scientifique en biologie diplômée de Westminster», accessoirement conférencière en Russie et à Dubaï, sans qu’elle puisse préciser les lieux où elle a été formée. Elle apporte «sa pseudo-caution scientifique aux opérations, via les écrits et conférences pour lesquelles elle était grassement rémunérée», résume le juge d’instruction Jean-Luc Gadaud dans son ORTC, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. «Exécutante de premier rang», elle supervise le tout. A commencer par la comptabilité. Mais pas seulement. «Elle peut être considérée comme la VRP et l’assistante technique de l’organisation.»

Une fabrication «très artisanale»

Pièce essentielle du puzzle assemblé par David Noakes. Résumable ainsi : des sociétés-écrans qui achètent en partie la matière première en Géorgie, aux Etats-Unis. Un serveur en Suisse qui héberge des sites avec, entre autres, des teasings pour vendre notamment aux parents d’enfants autistes l’idée de participer à une étude pharmacologique. Des sociétés aux Pays-Bas qui s’assureraient de la prise en compte des commandes par Internet, de leur suivi, et de la collecte des paiements. Puis le dépôt, les mardis matin, des colis au point relais UPS au Carrefour Market de Saint-Pierre-l’Eglise, dans la Manche, expédiés dans le monde entier dans la foulée.

Manque un corollaire indispensable : le laboratoire clandestin, à Cherbourg-Octeville où une perquisition y débusquera près de 70 kilos de «médicaments», soit 8 210 fioles prêtes à l’expédition, pour une valeur, à la revente, de 3,6 millions d’euros. Sans oublier ce qui s’apparente à des «produits dérivés». Les investigations ont ainsi mis à jour un commerce parallèle de crèmes cosmétiques à base de GcMAF, avec de «nombreuses allégations thérapeutiques» que la sœur de Lynda T., Lesley B., «fabrique très artisanalement», dit avec euphémisme l’ORTC. Cette dernière a assuré aux gendarmes avoir quasi joué les infiltrées, considérant Noakes comme un «escroc» contre lequel elle voulait au départ réunir un maximum de preuves pour le confondre. Avant de se raviser après avoir créé une page Facebook sur le GcMAF et constaté, selon elle, les commentaires laudateurs d’utilisateurs.

Les destinataires ? Un pharmacien de Nice qui, sur les conseils de son homéopathe, a découvert les produits en Norvège par le biais d’un kiné, se fait conseiller l’envoi de GcMAF et de GOleic pour sa mère, atteinte d’un cancer en phase terminale. Un malade de 39 ans frappé d’un cancer du foie. Un colis aurait même été envoyé à la tour Trump, à New York. «Envoi spontané ou à des fins publicitaires ?» s’interrogent les gendarmes. «Aucune idée, j’avais 27 personnes qui travaillaient pour moi», répond David Noakes.

Thuriféraire de Trump et de Poutine

David Noakes, qui se dit innocent de toutes les accusations portées contre lui, semble croire réellement aux vertus curatives de ses potions. Il évoque des études japonaises, italiennes, ou américaines qui loueraient les bienfaits de ses produits, mais à titre de complément alimentaire, et non de médicament. Il s’en est même auto-injecté, avoue avoir eu «des effets horribles». Mais la cure l’aurait guéri d’une arthrite, d’une allergie au pollen. Comme de nombreux promoteurs de miracles et bien des faussaires présumés, l’homme n’a jamais fait dans la dentelle. Informaticien de formation, il a frayé dans le secteur bancaire, dont JPMorgan à New York. Plus intéressant, ce thuriféraire de Trump ou de Poutine a ferraillé en 2006 pour le leadership du parti ultranationaliste britannique Ukip, devenu depuis le début de l’année le Parti de la réforme. Mais s’est fait largement coiffer par son actuel leader, l’inénarrable Nigel Farage. Sur un des sites internet, où il aimait à s’épancher, cet ultralibéral estime que l’Union européenne est une «dictature».

Il milite pour virer 200 000 fonctionnaires outre-Manche. Dont évidemment, les 2 000 juges du pays désormais affranchis de la «tutelle» de l’UE, ces «francs-maçons et satanistes», rêve ce complotiste fasciné par la théorie d’un gouvernement supranational tapi dans l’ombre. Complotiste, il voit des Illuminatis partout, du groupe Bilderberg (rassemblement diplomatique annuel au caractère confidentiel), ou de la Trilatérale (organisation privée promouvant les échanges entre l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie-Pacifique), qui tireraient les ficelles d’un monde oppressif et liberticide. «Il se considère comme persécuté par le Big Pharma», «victime des laboratoires pharmaceutiques», rappelle aussi le juge d’instruction. Autre ficelle qui voudrait que la concentration des cinq mastodontes et quelque 50 multinationales soient des ennemis du bien public mondial. Alors qu’il est placé sous écoute en 2017, il fustige l’agence de régulation du médicament, coupable à ses yeux d’avoir tué «120 000 personnes par an pendant vingt-six ans», faute d’avoir mis sur le marché de la santé le GcMAF, «remède contre le cancer.»

Une clinique clandestine en Suisse

L’homme a donc un CV un rien chargé. Son casier judiciaire européen compte, lui, deux mentions. Il a été déjà été épinglé dans son pays d’origine en novembre 2018 : quatre peines de douze mois d’emprisonnement, une peine de trois mois d’emprisonnement. Mais aussi par la justice helvète : six mois de peine privative de liberté et 100 000 francs suisses, une décision non définitive. Pendant quatorze mois, entre janvier 2014 et mars 2015, il a ainsi traité 63 patients atteints de cancer, dont deux enfants autistes, dans une maison de maître reconvertie en clinique clandestine à Bussigny, dans le canton de Vaud. Pour y être admis : deux critères. Primo, renoncer à toute chimiothérapie. Secondo, aligner entre 3 000 et 6 000 euros la semaine pour bénéficier de cette «méthode alternative».

Les fameux GcMAF et GOléic ont été administrés au mépris des règles d’hygiène élémentaires : l’Agence suisse du médicament a notamment révélé que le produit fini comportait des petites traces de peau, de transpiration et de sang. Cinq personnes seraient décédées après y avoir séjourné. Le lieu avait été fermé, le matériel placé sous séquestre. Des enquêtes judiciaires sont également en cours en Allemagne et en Autriche. Le gourou de l’altersoin voyait loin : il aurait essaimé ou fantasmé de le faire aux Etats-Unis, à Singapour, en Russie ou en Nouvelle-Zélande.

Des adeptes relaient encore sa parole aujourd’hui sur Internet : en mode «Au lieu de lui donner une médaille, ils l’ont envoyé en prison»,pseudo-citation d’Orwell à l’appui («Plus une société s’éloigne de la vérité, plus elle déteste ceux qui la disent»). Une pétition en ligne, qui a recueilli quelque 23 000 signatures, appelle à la libération du duo des médocs. Car David Noakes et Lynda T. se présenteront ce lundi devant les juges après une détention provisoire par la case Fleury-Mérogis. C’est que les enquêteurs ont eu du mal à lui mettre la main dessus, l’homme préférant fuir en avion privé outre-Manche plutôt que de se rendre aux convocations des autorités françaises et avait été serré dans les Cornouailles après plusieurs mois de cavale, avant d’être extradé. Contacté par Libération,maître David Apelbaum assure que son client «n’a commis aucune blessure involontaire, escroquerie, trafic ou fraude. D’ailleurs ni la justice suisse ni la justice britannique n’ont retenu ces accusations à son encontre. Il a en revanche reconnu au Royaume-Uni les infractions à la législation sur les médicaments dans le cadre d’un plaider-coupable.»

Sa principale coaccusée, Lynda T., qui avait filé à l’anglaise après les premières perquisitions, a dû être extradée par bateau après s’être vu, ivre, refuser d’embarquer par avion. Elle aurait pu, néanmoins, comparaître libre. Après avoir été écrouée, elle avait bénéficié «à titre exceptionnel et humanitaire» d’une remise en liberté sous contrôle judiciaire, nantie d’une interdiction de quitter le territoire national. Le jour même de sa libération, elle était interpellée gare du Nord alors qu’elle tentait de se glisser dans un Eurostar.


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