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jeudi 25 mars 2021

Covid-19 : une galaxie hétéroclite de protestataires s’organise face aux mesures sanitaires

Par  et  Publié le 26 mars 2021

Un an après le premier confinement, des rassemblements se multiplient en France et des groupes se structurent, parfois convergents.

A Annecy, le 21 mars, lors d’une « marche des libertés » réclamant le droit de refuser les restrictions imposées en raison du Covid-19.

Des accoutrements de carnaval, des sourires aux grands vents, des farandoles chantantes : l’ambiance était à la fête, dimanche 21 mars, aux jardins de l’Europe à Annecy. Plusieurs centaines de manifestants s’étaient réunies pour une « marche des libertés » colorée, au nom du droit de refuser le masque, le confinement et les vaccins, sous l’œil médusé du reste de la population. Clou du spectacle, un concert en plein air, toutes distanciations sociales oubliées, du chanteur Francis Lalanne, déjà sur le front des « gilets jaunes ».

Cette réunion au goût de « monde d’avant » n’était pas isolée. Dans le même temps, à Marseille, 6 500 citoyens costumés descendaient sur le Vieux-Port, malgré l’annulation du carnaval. Certains ont fini au tribunal, parfois condamnés, parfois relaxés. Mêmes scènes, en plus petit comité, dans nombre de petites villes, comme aux Vans (Ardèche) ou à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne), samedi 20 mars. Une semaine plus tôt, à Lyon, 600 « bambocheurs » rebelles, dont la députée (ex-La République en marche, LRM) du Bas-Rhin Martine Wonner et l’avocat Carlo Alberto Brusa, se déhanchaient sur les cuivres de Danser encore du groupe HK et Les Saltimbanks, l’hymne des antirestrictions.

Ces farandoles urbaines, qui se multiplient, sont portées par une grappe de personnalités et d’associations, qui, pour la plupart, ont émergé au fil de la crise sanitaire. « C’est un rassemblement d’âmes, ça s’est fait naturellement, au fil des manifestations et des rencontres », raconte l’enseignante et « gilet jaune » suisse Chloé Frammery, l’une des figures nouvelles de cette fronde.

Leur engagement, pour la plupart, a pour point de départ la découverte, au printemps 2020, de Didier Raoult. Sur YouTube, le chercheur marseillais diffuse l’idée d’une solution toute simple, l’hydroxychloroquine, à la crise épidémique émergente. Masques, confinements, vaccins ? Balayés. M. Raoult incarne, pour ses fidèles, une voie alternative rassurante. « Didier Raoult a dit qu’on n’a pas une épidémie virale, mais une épidémie de peur, ce qui est beaucoup plus grave »se souvient avec admiration Louis Fouché, médecin réanimateur à Marseille, qui compare l’IHU à « une citadelle qui tient dans la tempête ». Qu’importe que les théories du professeur aient été invalidées par les études scientifiques.

L’alliance de cinq collectifs

L’adoption, le 23 mars 2020, d’un décret interdisant la prescription de l’hydroxychloroquine, fige alors ses soutiens dans l’incompréhension, mais pas dans l’inaction. A l’initiative du docteur Violaine Guérin, le collectif Laissons les médecins prescrire se forme.

L’opposition au consensus scientifique dépasse toutefois la seule question des traitements. Anesthésiste, spécialiste d’« éthique de la santé », le docteur Fouché crée à l’été le collectif RéinfoCovid, pour exiger et défendre une « politique sanitaire juste et proportionnée », passant notamment par le libre choix face aux masques et aux vaccins. Dans la foulée, une association alsacienne, BonSens, se monte pour investiguer l’origine du coronavirus et contester les chiffres de l’épidémie. Parmi ses fondateurs, Xavier Azalbert, patron de FranceSoir, le chef d’entreprise conspirationniste Silvano Trotta, ou encore Martine Wonner.

En janvier 2021, c’est l’alliance. Cinq des ces collectifs médicaux alternatifs se regroupent dans Coordination Santé libre. Et créent un « conseil scientifique indépendant », qui se veut un pendant contestataire au conseil scientifique « officiel ». Il va jusqu’à publier ses propres protocoles, du reste très critiqués. La galaxie d’opposants se voit comme une alternative à un Etat jugé médicalement défaillant.

A ce premier front d’opposition médical vient s’ajouter la contestation des mesures réglementaires imposées par la crise. Un avocat est la star incontestée des opposants : Carlo Alberto Brusa. Connu pour défendre plusieurs footballeurs célèbres, dont Zinédine Zidane ou Didier Deschamps, cet Italien installé en France fonde en mai 2020 une association, Réaction19. « J’ai constaté une réaction hystérique par rapport aux fondamentaux du droit », explique-t-il. L’avocat commence par fournir « un travail explicatif du droit », puis propose une documentation afin d’aider à contester les PV reçus pour non-port du masque ou non-respect du confinement. Un an après sa création, l’association revendique 64 000 adhérents.

Médias « alternatifs »

Fin 2020, Réaction19 lance une série de plaintes collectives contre les masques, contre l’obligation vaccinale ou contre le groupe pharmaceutique Gilead. La plupart ont été déboutées et seront déposées de nouveau avec constitution de partie civile.

MBrusa assure que cette activité est bénévole : « C’est une forme de mission, ce qui se passe dépasse ce que je pouvais imaginer, je vis des situations humaines incroyables, des messages d’espoir de gens, d’enfants, de grands-mères qui me remercient », assure l’avocat.

Autre voix dans cette polyphonie, celle de collectifs de parents inquiets du port du masque pour les enfants. Ils se nomment Enfance & libertés, Parents2021 ou Parents atterrés, et sont bien souvent nés de groupes Facebook. Celui d’Enfance & Libertés frôle les 10 000 inscrits. « On veut qu’on entende la voix des parents, on se retrouve face à des règles qu’il faut appliquer et des enfants en souffrance, c’est dur pour un parent de ne pas pouvoir répondre », explique Emma de Linières, porte-parole de Parents atterrés. Ces collectifs ont organisé des rassemblements mi-mars, revendiquant 4 500 participants.

Cette galaxie d’opposants trouve un public grâce à son activisme numérique : de MBrusa à Silvano Trotta, ils sont nombreux à disposer de leurs propres chaînes YouTube, pages Facebook ou comptes Twitter – dont certains ont été supprimés par les réseaux sociaux, accusés de relayer de la désinformation.

Mais ils sont également aidés par une série de médias « alternatifs » qui multiplient vidéos, tribunes et articles, très partagés ensuite sur les réseaux sociaux. Le site FranceSoir, qui n’a plus rien du titre de presse prestigieux des années 1960 depuis son rachat par Xavier Azalbert, fait figure de navire amiral de cette mouvance.

D’autres médias surfent sur la vague. Sud Radio ou l’émission « Touche pas à mon poste ! » de Cyril Hanouna, ont ouvert leurs antennes à ces voix contestataires. Un site, Bas les masques, a été lancé en novembre 2020, qui se veut « libre, et indépendant des laboratoires ou du conseil scientifique », auquel contribuent notamment les professeurs Jean-François Toussaint et Laurent Toubiana, chercheurs « rassuristes ». Il se présente comme l’émanation de deux organes de presse, le magazine Causeur et le groupe espagnol 121 Média, (actionnaire du site Atlantico.fr), associés au producteur Stéphane Simon – cocréateur avec Michel Onfray de la revue Front populaire.

« On ne cautionne pas tout »

Qui parviennent-ils à toucher ? Un mélange hétérogène de parents inquiets, d’adeptes de médecine naturelle, de « gilets jaunes », de complotistes zélés ou de défenseurs des libertés publiques, séduits par des discours alternatifs qui projettent une petite lumière rassérénante dans la longue nuit de la pandémie. Une communauté de contestation, plutôt qu’une communauté d’opinion.

A Annecy, nombre des manifestants rencontrés dénoncent une gestion de crise excessive, l’importance de rester souverain sur soi-même en matière de santé, et louent le besoin de faire corps. Pour Anne, 55 ans, infirmière en psychiatrie, « on infantilise les gens sur leur santé, on ne les responsabilise pas. On a construit un discours où l’autre est dangereux ».

Passé le front commun, la galaxie des opposants est aussi hétéroclite que son public, mêlant le rationnel et le complotisme. « On fait partie d’un ensemble, mais on ne cautionne pas tout », tient ainsi à préciser Emma de Linières, de Parents atterrés. MeBrusa assume, lui aussi, que certains adhérents à son association puissent être adeptes de théories fantaisistes. « Si parmi mes adhérents certains croient à une puce électronique dans le vaccin, ils sont libres de le penser, moi je ne l’alimente pas. »

Plus souple encore, Louis Fouché n’hésite pas à apparaître aux côtés de figures complotistes, comme le gourou crudivore Thierry Casasnovas, qui fait l’objet de signalement à la Miviludes, l’organisme antisectes. « Ça a beaucoup frotté au sein du collectif pour savoir avec qui on peut parler ou pas ; moi je pars du principe qu’on peut parler avec tout le monde », justifie-t-il.

Le microbiologiste Claude Escarguel, fondateur de l’association AZI-THRO-d’hospitalisations, est plus embarrassé par la présence dans ces collectifs d’« hurluberlus » adeptes de la Lune creuse, férus de naturopathie ou antivaccins. « On a le droit d’avoir des doutes, mais être dans un dogme antivaccins, c’est une aberration », se désole-t-il.

« Un laboratoire de la contestation »

Certains, dans le mouvement, affichent pourtant des préoccupations qui dépassent le simple cadre de la gestion sanitaire. « On s’oppose à [l’économiste] Jacques Attali et à[l’essayiste] Laurent Alexandre, à une vision techno-capitaliste, transhumaniste de la société », explique Louis Fouché, tout autant qu’à un « déferlement totalitaire ». RéinfoCovid prône la liberté pour chacun et le « retour au réel », le lien interhumain et l’harmonie avec la nature.

« Le front, qui était considéré comme complotiste, l’est de moins en moins, on voit tous qu’on a créé une monarchie démocratique », plaide MBrusa, qui assume porter un « message politique » contre la société du « big data et du Big Pharma ». L’avocat se rêve en « Antigone », et estime que « le Covid-19 est un laboratoire de la contestation, de la démocratie »« J’ai envie que le peuple retrouve son emprise », assume-t-il, n’excluant pas une traduction politique de son action dans le futur.

Le discours, en tout cas, trouve des adeptes, dans des proportions impossibles à estimer. « Il y a de plus en plus de gens qui se réveillent », se félicite Chloé Frammery. Et inquiète jusqu’au gouvernement. « Sur les projets de loi, la politique sanitaire, la manière de traiter les gens, on a l’impression que notre action est modeste, mais on n’avait pas prétention à faire plus que ça », tempère Louis Fouché. D’autres, en revanche, espèrent capitaliser sur cette fronde et s’en servir de tremplin politique, à l’image de Florian Philippot, désormais coutumier des manifestations antimasques.


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