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samedi 30 janvier 2021

Vaccination en Ehpad : «L’enjeu, c’est de ne surtout pas gaspiller une seule dose»

Par Virginie Ballet, Envoyée spéciale à Dijon. Photos Marc Cellier — 30 janvier 2021

Avant la vaccination, mercredi, à l'Ehpad les Hortensias de Dijon (Côte d'Or), les soignants prennent la température des résidents.

Avant la vaccination, mercredi, à l'Ehpad les Hortensias de Dijon (Côte d'Or), les soignants prennent la température des résidents. Photo Marc Cellier pour Libération

Deux semaines après avoir suivi le recueil des consentements des résidents, «Libération» a passé vingt-quatre heures aux Hortensias, à Dijon, de l'arrivée des vaccins à leur injection

Des semaines, si ce n’est des mois, qu’ils attendent ce moment. Aux Hortensias, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de Dijon (Côte-d’Or), la campagne de vaccination a débuté mercredi, un mois jour pour jour après le lancement de la campagne nationale de vaccination. Epargnée pendant la première vague, la structure privée à but non lucratif, qui accueille 86 résidents, a connu ses premiers cas en novembre. Résultat : tous ceux qui ont été récemment atteints devront attendre trois mois pour se faire vacciner. Des semaines d’épreuve, qui ont laissé pensionnaires et personnels impatients de voir enfin le précieux sérum arriver. Quinze jours après avoir suivi le processus de recueil du consentement des résidentsLibération a passé vingt-quatre heures aux Hortensias, de l’arrivée des doses à leur injection.

Mardi 26 janvier

14h40. C’est un tout petit carton, qu’elle transporte dans un chariot isotherme à roulettes. Dedans figurent les huit flacons du vaccin Pfizer-BioNTech, lovés contre un pain de glace. «Quand le transporteur a sorti ce tout petit carton du camion frigorifique, j’étais presque déçue», plaisante Nadine Coat, pharmacienne référente des Hortensias, chargée de la livraison. Il faut dire que comparé au classeur massif dans lequel elle a archivé les 120 pages de consignes sanitaires et logistiques qui accompagnent les doses, celles-ci ne semblent pas peser bien lourd. Partis le matin même de Lyon (Rhône), où ils étaient conservés dans un supercongélateur à -80°C, les vaccins ont d’abord transité par l’officine de Nadine Coat, située à Messigny-et-Vantoux, à une dizaine de kilomètres de Dijon, avant d’être transportés par la pharmacienne, dans son véhicule personnel. Entamé à 7h36 ce matin-là, leur périple de plus de deux cents kilomètres est précisément retracé sur la fiche de suivi que Nadine Coat doit remplir : heure de départ de l’officine, temps passé en dehors du frigo… Les voilà désormais à l’abri, dans le réfrigérateur de la salle de soins du premier étage des Hortensias, où ils peuvent être conservés jusqu’à cinq jours, entre 2°C et 8°C. Accéder à la pièce nécessite un code, et le frigo est équipé d’une clé, ainsi que d’un système de vérification permanente de la température.«En cas de souci, ça sonne, et croyez-moi, on l’entend bien»,sourit Jean-Baptiste Bouveret, le directeur de la structure.

Mercredi 27 janvier 2021, à Dijon, vaccination anti-covid à l&squot;EHPAD "Les Hortensias". Six serringues prêtent à l&squot;emploi, remplies du vaccin COMIRNATY de Pfizer.

Pour extraire six doses des flacons et non cinq, les soignants ont besoin de seringues avec le moins d’«espace mort» possible. Photo Marc Cellier pour Libération 

Ces dernières heures, il les a passées portable à la main, en contact par texto avec la pharmacienne, pour suivre l’arrivée du vaccin, dont l’horaire est resté incertain jusqu’à la mi-journée. Le reste du matériel nécessaire, notamment les seringues, a été livré il y a une semaine. Sauf qu’en les vérifiant, les médecins ont eu un doute : sont-elles réellement adaptées à l’extraction depuis les flacons de six doses, et non cinq, comme le préconisent désormais les autorités sanitaires ? Cette manipulation méticuleuse nécessite de disposer de seringues avec le moins d’«espace mort» possible, soit le volume de liquide qui reste dans la seringue une fois le piston enfoncé. «Depuis le début de la semaine, j’essaie d’en trouver, en vain. Les fabricants semblent un peu dépassés», souffle Nadine Coat, avant de filer pour continuer sa tournée dans deux autres Ehpad du secteur. Résultat : c’est finalement le CHU de Dijon qui dépannera les Hortensias avec «le top de la seringue», pour être sûr de ne pas passer à côté de la précieuse sixième dose.

16 heures. «On a reçu les doses !» entame Jean-Baptiste Bouveret. Attablés dans la salle commune du premier étage, le directeur et ses équipes récapitulent le programme de la journée du lendemain. Au total, quarante-huit personnes se verront administrer la première injection du vaccin Comirnaty, par groupes de six. Parmi eux, vingt-quatre résidents, sept membres du personnel, et cinq proches de pensionnaires. Très peu de résidents éligibles ont exprimé leur refus. La douzaine de doses restantes n’a pas encore été attribuée avec précision à ce stade. C’est la Mutualité française bourguignonne, qui chapeaute dix-huit Ehpad dans le secteur, dont celui-ci, qui se charge de dégoter les heureux élus parmi les salariés du groupe, selon les critères définis par l’Agence régionale de santé (ARS), notamment l’âge ou le risque de développer une forme grave en raison de comorbidités. «L’enjeu, c’est de ne surtout pas gaspiller une seule dose», appuie le directeur.

16h30. Paravents pour garantir l’intimité au moment de l’injection, vérification de l’espace pour faire circuler les fauteuils roulants, siège moelleux pour la piqûre et matériel informatique : la salle commune du premier étage est presque prête à accueillir les vaccinations du lendemain matin. «On ne rajouterait pas un brancard en plus du fauteuil ?» hasarde le directeur. Réprobation générale. «Ça fait trop hôpital»,lance une aide-soignante. Collation, musique, atelier gaufres pour embaumer les lieux : ici, l’équipe songe plutôt à faire de cette journée un moment le plus agréable possible. «Mine de rien, c’est une bonne nouvelle»,se réjouit Maguelonne Chenot, l’animatrice. Douze résidents du premier étage seront vaccinés ici en deux groupes, avant que tout le dispositif ne soit transféré au deuxième à l’heure du déjeuner, pour limiter les déplacements des résidents. Il faut aussi songer à s’adapter à leur rythme : s’assurer que les premiers vaccinés aient reçu leur toilette à temps (quitte à chambouler un peu l’ordre habituel de la tournée matinale des aides-soignantes), et que tous soient de retour dans leur chambre au moment du déjeuner. «Le point le plus inquiétant, c’est cette histoire de sixième dose : si on ne parvient pas à l’extraire, les gens de l’extérieur, prévus en fin de journée, ne seront bien sûr pas prioritaires», synthétise le directeur.

Mercredi 27 janvier

9h45. Marion July et Lucie Ferreira, toutes deux aides médico-psychologiques, entament la tournée des chambres pour aller chercher les premiers résidents prévus au planning. D’ordinaire, les deux jeunes femmes travaillent au sein d’une unité d’accueil de jour interne à l’établissement, dédiée aux résidents atteints de troubles cognitifs. Mais celle-ci est fermée depuis plus de deux mois en raison de la crise sanitaire. Alors être mobilisées pour la campagne de vaccination était pour les deux jeunes femmes «une évidence». «C’est un grand jour pour la suite, les résidents n’attendent que ça», observe Lucie. S’il y en a bien un qui ne la contredira pas, c’est André Marmorat, espiègle pensionnaire de 91 ans, qui tient à être le premier vacciné. Pourquoi ? «Parce que je suis le plus beau !» lance-t-il. Claudette, 83 ans, épouse d’André qui vit en ville et lui rend très souvent visite, fait partie des proches de résidents à qui une dose supplémentaire a été proposée. Claudette a bien tenté d’obtenir un rendez-vous dans un centre de vaccination dijonnais, mais a fini par capituler, après plusieurs jours passés à patienter en vain au bout du fil ou sur internet. Alors, elle est venue aux Hortensias avec un certificat d’éligibilité à la vaccination rempli par son médecin traitant.

Mercredi 27 janvier 2021, à Dijon, vaccination anti-covid à l&squot;EHPAD "Les Hortensias". Vaccination d&squot;André Marmorat, résident de l&squot;Ehpad (premier vacciné).

André Marmorat, 91 ans, résident des Hortensias, mercredi, à Dijon. Photo Marc Cellier pour Libération

9h55. Dans un silence religieux, sous l’œil concentré du médecin, Johanna Valin, l’infirmière des Hortensias, entame la préparation des six premières doses de vaccin dans la salle de soins. «A part la surveillance après l’injection et le fait qu’il faut diluer le produit, ça n’est pas si différent du vaccin contre la grippe», observe la jeune femme. Il faut d’abord retourner le flacon plusieurs fois pour mélanger, ajouter du chlorure de sodium puis prélever. Mais comme cela arrive souvent dans ce type de manœuvres, une bulle d’air fait de la résistance dans la seringue. «On va l’évacuer dans le flacon, pour ne pas perdre de produit»,suggère Cécile Labourdette, le médecin prescripteur des Hortensias. Dans la même optique, aucun capuchon ne sera replacé sur les seringues une fois préparées : les retirer pourrait démettre l’aiguille et ainsi entraîner la perte de quelques gouttes du sérum. Dès lors qu’il est ainsi mélangé, la durée de vie du produit n’est plus que de six heures. En pratique, il ne faudra en réalité qu’une heure en moyenne pour injecter six doses.«Heureusement qu’on a récupéré ces seringues. Sans elles, on aurait sûrement perdu trop de liquide», se réjouit le médecin.

10 heures. Vérification de la tension artérielle, écoute des poumons, prise de température : dans la salle commune, la docteure Cécile Labourdette vérifie les constantes d’André Marmorat. «On ne vaccine pas quelqu’un qui est malade»,explique-t-elle. La veille, l’une des résidentes qui aurait dû recevoir sa première injection ce jour-là s’est par exemple vue récusée, à cause de signes d’une infection bactérienne. Sans pincer la peau, l’infirmière se lance, dans le muscle de l’épaule d’André. Pas peu fier, il ne reste plus au nonagénaire qu’à patienter un quart d’heure dans la pièce, en compagnie de son épouse, le temps d’effectuer une surveillance, autour d’un café. Claudette, elle, dit attendre de ce moment de pouvoir retrouver«une vie plus normale : revenir faire de la couture auprès d’André, avec [ses] petits enfants. Et qu’eux puissent de nouveau faire des câlins à leur mémé». En cas de souci, un chariot d’urgence est à disposition du médecin. Outre la désinfection, il faut aussi entre chaque piqûre consigner les données dans le logiciel de l’assurance maladie : nom du vaccin, numéro de lot, zone d’injection… Pour gagner du temps, Lucie et Marion, les aides médico-psychologiques aussi enthousiastes qu’organisées, avaient imprimé la veille la liste des numéros de sécurité sociale de tous les résidents.

Mercredi 27 janvier 2021, à Dijon, vaccination anti-covid à l&squot;EHPAD "Les Hortensias". Vaccinatin du personnel de l&squot;Ehpad par lla docteure Cécile Labourdette.

La docteure Cécile Labourdette a également vacciné une partie du personnel de l'Ehpad des Hortensias, mercredi. Photo Marc Cellier pour Libération 

13 heures. Cécile Labourdette profite d’un moment d’accalmie pour s’adonner au reste de la paperasse liée à la vaccination : outre le logiciel de l’assurance maladie, il faut aussi enregistrer les données dans le dossier médical des résidents. Le directeur devra quant à lui envoyer un récapitulatif du nombre de personnes vaccinées et de leurs profils avant la fin de la journée à l’ARS.

15 heures. Viviane François, assistante de la responsable hôtelière des Hortensias, prend à son tour place dans le fauteuil des vaccinés. A 54 ans, elle se targue d’être «le dinosaure de la maison», avec trente-six ans d’ancienneté. Le matin même, sa mère, résidente de l’établissement âgée de 81 ans, a elle aussi reçu sa première injection. «Elle n’a plus l’usage de la parole. Etre emprisonnée dans son corps et subir le confinement, ça a été dur», se remémore Viviane. Ce qu’elle attend du vaccin ? «Que tout le monde puisse le faire. Et qu’on puisse revivre.»

15h30. Assis dans le fauteuil vert, manche relevée, Gilles Frater ne quitte pas des yeux le bâtiment perpendiculaire à celui dans lequel se tiennent les vaccinations. Dans cette aile, au même étage, vit sa mère Monique, âgée de 80 ans. Juste après sa piqûre, Gilles a obtenu l’autorisation de passer la voir dans sa chambre, ce qu’il n’a pas pu faire depuis des mois. «En chambre, ça permet d’être plus tranquille. Même si c’est nécessaire, la salle commune aménagée en bas ressemble quand même un peu à un parloir… Ce moment est important pour moi, pour elle, et pour les autres aussi», souffle Gilles. A 45 ans, atteint de diabète et en surpoids, il s’est vu proposer une des doses restantes ce jour-là par la docteure Labourdette, son médecin traitant. Depuis le début de la pandémie, Gilles, père de trois enfants, a dû renoncer à toute sortie, jusqu’aux courses, qu’il devait déléguer à sa femme pour limiter les risques de contracter le virus. «Aux gens qui se plaignent de ne pas pouvoir sortir, j’ai envie de leur dire : si vous aviez passé la même année que moi…»


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