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lundi 25 janvier 2021

Face à la pandémie de Covid-19, « sommes-nous prêts, encore, à consentir ? »

TRIBUNE

On ne peut plus compter sur le seul consentement présumé pour imposer des mesures qui pourraient s’avérer demain encore plus difficiles à admettre, estime Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale.

Un homme de plus de 75 ans reçoit une dose du vaccin Pfizer-BioNTech, à Guingamp (Côtes-d’Armor), le 22 janvier.

Tribune. Au sujet de la vaccination, l’exigence de consentement a suscité des débats, notamment quant à son application auprès de personnes entravées dans leur faculté de discernement. En éthique médicale, solliciter le consentement d’une personne, c’est la reconnaître dans son autonomie et ses droits, respecter l’expression de son choix libre et éclairé.

Pour autant, l’éthique médicale ne constitue pas un corpus de règles rigides. L’approche au cas par cas permet d’honorer les valeurs d’humanité même en donnant parfois le sentiment de transgresser les principes.

Ainsi, la loi du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes institue-t-elle dans son article 2 la notion de consentement présumé, en affirmant que « des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement ». Ce principe a été repris dans les lois dites de bioéthique.

Lorsque le gouvernement a décidé le premier confinement, le 17 mars 2020, le consentement présumé de la population, faute d’alternative, était présupposé. Agir autrement apparaissait sur le moment injustifiable. L’intérêt supérieur de la nation imposait ce dispositif inédit, même si ses conséquences ne pouvaient être anticipées.

Calcul moral

Ces mois de pandémie nous ont fait réaliser que la marge d’action est restreinte. La seule stratégie possible est l’ajustement aux évolutions incertaines et complexes de la dynamique épidémique. Si les projections statistiques et le triste chiffrage quotidien de la morbidité et de la mortalité ajoutent aux drames humains un sentiment d’impuissance, c’est néanmoins en termes de calcul moral que doivent être envisagées et assumées nos décisions.

Au regard des impératifs de santé publique, revendiquer le respect de nos libertés individuelles sera-t-il encore moralement soutenable demain si le pire advenait alors que nous espérions les embellies promises par la vaccination ?

D’une part, nous avons compris, à travers cette expérience collective, que le risque pandémique révèle notre vulnérabilité à bien d’autres menaces, sanitaires, environnementales, géopolitiques… D’autre part, nous éprouvons la fragilité de nos pratiques démocratiques à l’épreuve d’un défi sociétal dont nous ne cernons pas encore l’ampleur.

A-t-on suscité la réflexion sociétale que justifiait l’émergence de tels enjeux ? En préférant le consentement tacite au consentement éclairé, cette responsabilité politique a été négligée. Le débat moral s’est dissipé dans quelques controverses relatives au confinement : devions-nous concéder ou non une part de nos libertés, compromettre le futur des plus jeunes et la vitalité de l’économie afin de préserver les plus vulnérables, souvent les plus âgés ?

Si la pandémie nous éveille à la conscience des vulnérabilités de notre société, hiérarchiser ou prioriser exige mieux qu’une partition sommaire entre ceux qui seraient dignes ou non de bénéficier de notre sollicitude. Les choix de stratégie vaccinalese sont avérés eux aussi discutables, révélant un déficit d’anticipation et de concertation.

Dialogue avec la société civile

Devions-nous consentir sans autre débat à la hiérarchie des priorités quand on sait ce qu’elles expriment de nos valeurs sociales ?

Se dispenser du dialogue avec la société civile est un appauvrissement qui délégitime l’action publique, contestée dans la pertinence de ses arbitrages, et affaiblit la cohésion nationale au moment où elle est essentielle. Consentir, c’est être partenaire d’une décision dont on partage la responsabilité. Il n’est plus concevable de recourir au seul principe du consentement présumé pour imposer à la société des mesures qui pourraient s’avérer encore plus difficiles à admettre demain.

Consentir, c’est pouvoir s’en remettre à l’autre en toute confiance. C’est être assuré qu’il est soucieux de notre intérêt et capable de proposer des dispositifs justifiés et adéquats.

Dans le contexte de l’éthique médicale, l’exigence d’intégrité, de loyauté et de transparence est souvent évoquée. Elle conditionne l’acceptation d’une forme de concession provisoire de l’autonomie du patient à l’autorité du médecin responsable de la mise en œuvre d’une décision concertée. Dans les cas difficiles, l’examen bénéficie d’une réunion de concertation pluridisciplinaire, confrontant différentes expertises.

Gouvernance confinée

Le conseil de défense sanitaire aurait pu s’inspirer de ce modèle. Son mode opératoire, tenu secret, s’oppose au devoir de transparence si souvent invoqué dans la communication des informations et des décisions auxquelles nous devons nous soumettre.

S’obstiner dans une gouvernance confinée est d’autant moins tenable que tant de choix se sont avérés inappropriés, sujets à des aménagements ou à des renoncements à l’épreuve du réel ou de la pression publique. Si nous avons consenti aux mesures gouvernementales, avec un sens évident du bien commun, il semble évident que l’expérience et le constat de cette année de gouvernance de la pandémie ont entamé notre faculté d’acceptation.

Sommes-nous prêts, encore, à consentir ? La question mérite d’être posée lorsque l’on observe l’extrême précarisation, la désespérance et l’isolement qui se développent avec un sentiment de « mort sociale », en dépit des tentatives de soutien mais sans que soit engagée une stratégie à la hauteur des enjeux. Ces violences subies, encore contenues, bien que chaque jour plus accablantes, donnent à craindre un avenir social incontrôlable.

La capacité de consentir aux décisions de l’Etat semble aujourd’hui s’être altérée au point d’être épuisée. Comment rétablir une relation de confiance si ce n’est dans le dialogue social et en reconnaissant la diversité des expertises et capacités d’initiative ?

Cette question mérite mieux que la compassion gouvernementale. Le consentement n’est pas l’abnégation ou le sacrifice. Il requiert, en contrepartie à ce qui est consenti, la conviction que les décisions prises sont justes, cohérentes, dignes de notre confiance.

Emmanuel Hirsch est professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay, auteur de « Une démocratie confinée. L’éthique quoi qu’il en coûte » (Editions Erès, 344 pages, à paraître le 4 février).



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