blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

vendredi 29 janvier 2021

Des tests ADN à la découverte de sa famille, la quête de Sylvain, né sous X

Par       Publié  le 28 ,janvier 2021

Sylvain Loscos, à Millery près de Lyon (Rhône), en décembre 2020.

Matinée du 11 janvier 2019. Brune*, 31 ans, a fait comme d’habitude : en arrivant à la maternité parisienne où elle travaille comme puéricultrice, la jeune femme a ouvert sa boîte e-mail. Un message du site MyHeritage annonçait en objet : « Brune. Vous avez des correspondances ADN ! » Quelques semaines plus tôt, elle avait, comme près de 100 000 Français, acheté un kit ADN en ligne. C’était sur un coup de tête, amusée par la promesse de découvrir ses origines ­ethniques et géographiques.

Un geste qu’elle ­imaginait sans conséquences, et voilà qu’elle se retrouvait face à la fiche d’un inconnu, dont MyHeritage lui révélait que leur pourcentage d’ADN commun signifiait qu’il était son « demi-frère ou son neveu ». Le mot « frère » la sidère. Le visage du garçon aussi : il ressemble beaucoup à sa mère. Paniquée, la jeune femme supprime son compte : « Je n’ai cherché ni à savoir ni à comprendre, mais à oublier. » 

Une recherche qui s’est imposée

Le même jour, à 500 kilomètres de là, alors qu’il s’apprête à se rendre au collège où il enseigne, Sylvain Loscos reçoit un message identique. Lui aussi est sonné : trois mois plus tôt, il s’est découvert un demi-frère sur ce même site. Et maintenant, cette demi-sœur tombée du ciel. Quelques heures plus tard, devant son ordinateur, il panique : la fiche de Brune, dont il a fait, par réflexe, une capture d’écran, a disparu. Mais son patronyme est si rare qu’elle doit être facile à retrouver, pense-t-il.

Pourtant, Sylvain a beau googler son nom et écumer les réseaux sociaux, elle n’apparaît nulle part : « J’ai appelé le SAV de MyHeritage pour savoir ce qu’il s’était passé. Ils m’ont dit qu’elle avait effacé son profil. » Sylvain est à la fois déçu et décidé. Cette fois, il tient une piste solide : un nom de famille, celui qui peut le mener à sa mère biologique. Et il n’entend pas l’abandonner. Son histoire est celle d’une quête qui s’est imposée à lui.

« Je n’ai jamais voulu ni cherché à en savoir plus », dit Sylvain Loscos. Mais il a toujours saisi ce que la loi autorisait.

Sylvain Loscos est né sous X le 23 août 1983, à Cambrai. « Je n’ai jamais voulu ni cherché à en savoir plus », dit-il. Mais il a toujours saisi ce que la loi autorisait. À 18 ans, il s’est contenté de demander à La Famille adoptive française, l’association qui l’a recueilli à sa naissance, de consulter son (mince) dossier d’adoption. Le tout tenait en quelques lignes : « Enfant naturel non reconnu. Sa mère élève seule un premier enfant, qui a été très mal accepté par sa famille. Elle a dissimulé à tous cette deuxième grossesse et ne souhaite pas élever cet enfant qu’elle n’a pas désiré et surtout qu’elle ne peut élever dignement sans le père. » 

Il apprend aussi que sa mère biologique s’appelle Chantale, qu’elle avait 23 ans quand elle l’a confié à l’adoption et une fille, Marie*, âgée de 2 ans et demi. Le document précise aussi, concernant Chantale : « Pas très grande. Châtain décoloré, très maquillée. Agréable. Intelligente. Très sympathique. » Sur son père biologique : « 22 ans, français. A abandonné la mère. Région parisienne. » 

Une enfance heureuse

Quatorze années s’écoulent. En mai 2015, Sylvain a 32 ans quand il découvre l’existence du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop). Il les contacte. Une dame « très gentille » lui explique qu’elle va enquêter pour retrouver sa génitrice. Si elle parvenait à l’identifier, elle l’informerait des démarches de Sylvain : libre à cette femme, ensuite, d’accepter ou de refuser de lever le secret de son identité. Sans succès : le Cnaop lui téléphone au bout de quelques mois pour lui annoncer que son dossier est clôturé. Impossible de retrouver sa mère. Sylvain se souvient qu’il marchait sous les voûtes de la Sagrada Familia, la basilique de Gaudí à Barcelone, et que la nouvelle ne l’a pas bouleversé. C’était comme ça.

Deux ans plus tard. Sylvain est père de deux enfants, des jumeaux âgés de 1 an. Il travaille beaucoup – comme professeur, donc, mais aussi comme formateur en cinéma et scénariste réalisateur – et mène une vie tranquille, dans un ­village à 20 kilomètres au sud de Lyon, où il a grandi. Une enfance heureuse, au sein d’une famille aimante. Des parents et deux sœurs adorées. La plus jeune a été adoptée en Corée du Sud. « Ça n’a jamais été un tabou, on en rigolait. Ma mère nous disait souvent : “Je te connais comme si je t’avais fait”. »

C’est à cette époque qu’il découvre, en lisant Le Monde,l’existence des tests ADN. Sa compagne l’encourage à en faire un, ainsi il saura d’où il vient, lui qui a toujours pensé qu’il avait des ­origines maghrébines. Sur les trois sites qui proposent ces tests, il choisit MyHeritage, une société israélienne fondée en 2003, leader du secteur. S’ils sont strictement interdits en France, et punis d’une amende de 3 750 euros, de plus en plus de Français contournent cette interdiction : il suffit de payer une cinquantaine d’euros en ligne et, en moins de quinze jours, le site promet de vous ­révéler « les groupes ethniques et les régions géographiques de vos origines ».

Pour savoir d’où l’on vient, il suffit de gratter l’intérieur de sa joue avec un goupillon, de le replacer dans un tube et de l’envoyer au Texas, où sont situés les laboratoires de MyHeritage. Le 26 octobre 2018, Sylvain reçoit ses résultats. Il trouve amusant de découvrir ces chiffres : « Europe 57 %, Afrique 29 % et Asie 7 % », mais il songe que ça ne va pas changer sa vie.

Des « matchs ADN »

C’est le soir, en retournant sur le site, qu’il découvre l’onglet « correspondances ADN ». Ce qu’il ignorait, c’est que MyHeritage met en relation les personnes ayant des corres­pondances ADN et donc de potentiels ancêtres communs. Il découvre qu’il a 1 947 « matchs », classés du parent le plus éloigné au plus proche. Il clique sur le plus proche, un certain Simon*, dont il partage 23,4 % d’ADN commun. C’est considérable. Le site indique : « Relations estimées : oncle ou neveu, demi-frère. » 

« Quelqu’un qui est né sous X et à qui on met des correspondances ADN sous le nez… C’était impossible de résister. » Sylvain Loscos

Le site permettant d’entrer en contact avec cet inconnu, Sylvain ne réfléchit pas et lui écrit. « Quelqu’un qui est né sousX et à qui on met des correspondances ADN sous le nez… C’était impossible de résister. » Ils se téléphonent le lendemain, le 27 octobre 2018. Simon est formel : leur parent commun ne peut être que son père. Le 28 octobre, Alain lui téléphone :« Alors, officiellement, je suis ton père ? » Sylvain réplique : « Alors non, tu n’es pas mon père. Tu es mon géniteur. J’ai un père. » 

Pendant la demi-heure que dure leur conversation, Sylvain découvre qu’il a bien des origines nord-africaines : son père biologique est juif ­séfarade. C’est un homme qui a réussi profes­sionnellement et fondé une famille nombreuse – sept enfants issus de différents mariages. Engageant et sûr de lui, il semble touché et rassuré par ce fils biologique qui ne lui réclame rien, ni argent ni attention particulière. En raccrochant, Sylvain n’éprouve pas d’émotion notoire : « Je me suis dit que je n’avais rien à voir avec eux. Et je me suis demandé quel était le sens de tout ça. »

« Je ne pouvais désormais plus vivre l’histoire de ma naissance comme une conception lointaine et dénuée d’intérêt, car se dressaient maintenant, face à mes origines, une femme, un homme et une histoire bien réelle. » Sylvain Loscos

Le sens, Sylvain le comprend bientôt : « Le rapport que j’avais jusqu’ici construit avec la question de mes origines vole en éclats avec ce test ADN. Je ne pouvais désormais plus vivre l’histoire de ma ­naissance comme une conception lointaine et dénuée d’intérêt, car se dressaient maintenant, face à mes origines, une femme, un homme et une histoire bien réelle. »Une question, désormais, l’obsède : « Quelles sont les ­circonstances de ma naissance ? » 

Le 27 décembre 2018, lorsqu’il rencontre Alain dans une brasserie parisienne, Sylvain l’interroge. Le sexagénaire veut bien l’aider, mais une femme pendant l’hiver 1982 ? Alain a beau chercher, il ne voit pas du tout de qui il peut s’agir. Il téléphone à l’un de ses amis de jeunesse, Pierre : « Il se souvenait très bien de ces deux filles qu’on avait draguées dans une brasserie du 19e… C’était il y a presque quarante ans, c’est lointain. Ça devait être une histoire très furtive. »

Une coïncidence incroyable

Quinze jours plus tard, Sylvain « matche » avec Brune. En trois mois, après sa lignée paternelle, c’est sa lignée maternelle qui s’affiche sur son écran. « Si ce type d’histoire peut arriver aux États-Unis et au Canada, où l’on pratique ces tests depuis quinze ans, ce cas est tout à fait exceptionnel en France aujourd’hui », estime Jean-Louis Beau­carnot, le pape de la généalogie en France, ­coauteur de Quoi de neuf dans la famille ? Notre arbre généalogique à la lumière des tests ADN (Buchet Chastel, paru le 21 janvier).

Plus il y a d’inscrits, plus les chances de tomber sur un parent augmentent. Or, il y a en a peu en France. Sylvain n’en revient pas : « La probabilité qu’un membre de ma famille biologique proche ait fait le test était proche du néant, d’autant plus que les tests ADN en ligne sont illégaux en France. » 

Il contacte aussitôt le Cnaop. Maintenant qu’il a identifié la famille de sa mère biologique, l’institution peut-elle retrouver cette dernière et lui proposer une levée du secret ? La réponse est négative : ça n’est plus au Cnaop de le faire. Alors Sylvain enquête seul, avec minutie. De Brune et Chantale, aucune trace sur Internet. Mais Marie, la petite fille qui avait 2 ans et demi à sa naissance, a une page sur Copains d’avant.

Sylvain Loscos à son domicile, à Millery (Rhône), en décembre 2020.

Les informations sont vagues, il n’y a ni adresse e-mail, ni numéro de téléphone, mais Sylvain trouve les coordonnées d’une de ses ­camarades de classe. Au téléphone, l’amie d’enfance confirme que la mère de Marie s’appelle bien Chantale et que l’une de ses sœurs se prénomme Brune. « Là, mon cœur s’est arrêté. J’avais trouvé, c’était fini. » 

Mais Marie ne répond ni à son e-mail ni à la longue lettre qu’il conclut par ces lignes rassurantes : ­ « Je respecte entièrement la décision courageuse de Chantale (…) et ce quelles que soient les circonstances qui l’ont conduite à accoucher sous (…) Si j’avais la chance de pouvoir la rencontrer, je voulais simplement la remercier pour son geste et lui dire que j’ai été accueilli par une famille aimante et attentionnée. »

Une information déflagratoire

Au gré de ses recherches sur Facebook, il découvre que Chantale a eu deux fils : Gabriel* et Pierre-Emmanuel*. Lorsqu’il parvient à joindre Gabriel au début du mois de février 2019, le jeune homme est surpris. Il ne savait pas que sa mère avait eu un fils en 1983, mais la conversation entre ces « frères » retrouvés est fluide, sans ­animosité aucune. Gabriel lui promet d’en parler à sa famille. « Justement, ce week-end, c’est l’anniversaire des jumelles. » C’est ainsi que Sylvain découvre l’existence de la jumelle de Brune. Mais, ce week-end-là, Gabriel n’y arrive pas. Autour de la table, il y a Chantale, son mari et leurs enfants. Trois d’entre eux savent, mais chacun garde son secret. C’est compliqué d’être le messager d’une information déflagratoire, se souvient Brune.

Sylvain et Gabriel conviennent de se rencontrer le 17 février 2019 à Bayeux, où vit la famille de Chantale, mais, à quelques jours du rendez-vous, le jeune homme ne donne plus de nouvelles. Sans trop savoir ce qu’il fera une fois sur place, Sylvain grimpe quand même dans le train. Pendant le trajet, il fait une dernière tentative : il envoie un message sur Facebook au plus jeune des enfants de Chantale, Pierre-Emmanuel, 17 ans. L’adolescent répond tout de suite à celui qui se présente comme un cousin éloigné de passage à Bayeux. Curieux, il accepte de le rencontrer.

« Je comprends que j’ai lâché une bombe, mais je ne savais pas comment faire autrement. » Sylvain Loscos

Sur la terrasse d’un McDo, Sylvain lui parle des tests ADN et de son « match » avec Brune. Il y va doucement. « Je lui ai expliqué les pourcentages : 12 % pour les cousins, 25 % pour ceux qui ont un parent commun, etc. » Pierre-Emmanuel lance : « Tu as eu une correspondance de 12 avec Brune ! »Sylvain : « Non, de 27 %. » L’adolescent comprend immédiatement. De retour chez lui, il raconte tout à sa mère. De son côté, Sylvain rentre à Lyon. Dans un drôle d’état : « Je comprends que j’ai lâché une bombe, mais je ne savais pas comment faire autrement. » 

À Paris, ce soir-là, Brune reçoit un appel de son petit frère. Il lui annonce avoir rencontré Sylvain et avoir tout dévoilé à leur mère. Il lui dit aussi que Sylvain a été adopté trois mois après sa naissance : « À partir de ce moment-là, je veux savoir ce qu’il s’est passé et j’ai envie qu’on se parle tous les deux, se souvient Brune. Je me pose 3 000 questions. Je n’ai pas de mots pour décrire cet état-là. » 

Assumer son passé

À Bayeux, Chantale s’effondre en écoutant ­Pierre-Emmanuel raconter Sylvain. Jamais elle n’avait parlé à quiconque de ce bébé laissé à la maternité de Cambrai trente-cinq ans plus tôt. Jamais elle n’avait pensé qu’il réapparaîtrait. Deux ans plus tard, lorsqu’elle évoque cette nuit de février, Chantale se souvient surtout de la ­violence du coup, d’une puissance telle qu’il l’a clouée au lit plusieurs jours durant, muette et en larmes, déchirée entre la tristesse et la colère tant l’a stupéfiée le culot de ce revenant : passer par ses enfants pour la retrouver !

« Tout m’est revenu dans la figure. J’ai failli m’évanouir. Pour moi, il n’existait plus du tout, il était mort, je ne pensais absolument plus à lui. Je sais que c’est difficile à comprendre, mais l’accouchement sous X avait été un tel choc que j’ai fait un déni. » Pour les enfants, c’est un séisme. Comment imaginer que leur mère, « si maternante et maternelle », ait pu faire ça, abandonner un bébé ? « Ils ne comprennent pas », dit-elle, et elle ne parvient pas à expliquer. Son mari la convainc de prendre rendez-vous avec une psychologue. Pendant cinq mois, Chantale a parlé de ce qu’elle avait tu pendant trois décennies. « Ça m’a fait du bien, dit-elle aujourd’hui. Il était temps de faire la paix avec moi-même. » 

Les coïncidences extraordinaires dans cette ­histoire la frappent : « Sylvain fait un test ADN… Je comprends, j’imagine qu’il cherchait quelque chose », dit Chantale. Mais Simon ? « Il s’amusait à faire un arbre généalogique », explique Alain, son père. Et Brune ? Quand Brune a parlé à sa famille de son projet de kit ADN, Chantale se rappelle avoir dit : « Ah ! oui, tiens, je vais peut-être aussi en faire un» « Si j’avais pensé une seule seconde que, par ce moyen-là, on retrouverait l’enfant que j’avais mis en adoption… Je ne sais pas, j’aurais peut-­être fait en sorte qu’elle ne le fasse pas. » La mère de famille décide très vite d’assumer son passé. À ses enfants et à ses frères et sœurs, elle a adressé un long courrier au printemps 2019. Et elle a raconté.

Un souvenir qui s’est estompé

En 1982, l’année de ses 23 ans, Chantale était une jeune mère célibataire, installée à Paris. À l’époque, elle tire le diable par la queue, mais elle parvient à s’occuper correctement de Marie, sa fille née deux ans plus tôt. Lorsqu’elle tombe amoureuse de cet homme très séducteur, croisé dans une brasserie, elle ne se fait pas d’illusions : Alain est marié, il n’est donc pas question d’un avenir commun mais d’une histoire vécue dans la légèreté. Quand elle découvre qu’elle est enceinte, au début de l’hiver, c’est une catastrophe. Ça n’est pas possible : elle ne se voit pas élever deux enfants de pères différents sans être mariée. Et Alain lui demande d’avorter.

Arrivée à l’hôpital le jour de l’IVG, Chantale fait demi-tour. « Je préférais le porter et le donner qu’avorter, explique-t-elle. J’ai passé dix ans chez les sœurs… On est pris par tout ça. Je me suis dit : je vais faire un cadeau à une famille qui en a besoin. » Sans rien en dire à personne, elle prend la décision de confier l’enfant à La Famille adoptive française. Le jour de sa naissance, elle ne le prend pas dans ses bras. C’est un garçon et Chantale rêvait d’un garçon. « C’était un déchirement, mais je ne pouvais pas faire autrement. J’avais trois mois pour pouvoir le récupérer et j’y pensais chaque jour. Je voyais la date qui se rapprochait… Puis je me suis dit que j’irais jusqu’au bout. »

« Sylvain est notre enfant. Point. Il a été aimé tout de suite. C’est important pour sa mère biologique de savoir ça. » Éric et Françoise Loscos

Trois mois et un jour après l’accouchement de Chantale, le 24 novembre 1983, Éric et Françoise Loscos, un couple de Lyonnais, reçoivent une lettre leur annonçant l’arrivée imminente de leur fils. Un nourrisson hospitalisé à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, pour un problème pulmonaire. « Mon enfant était à l’hôpital, je voulais aller le voir tout de suite », raconte Françoise Loscos. Elle saute dans un train et rencontre son fils, un « bébé chétif à la tête grande comme un poing ». 

Sylvain, le prénom que lui donnent Éric et Françoise, est accueilli au début du mois de décembre par sa famille. L’enfant prend du poids et se rétablit très vite. À ce bébé paisible, ses parents racontent son adoption et le peu qu’ils savent de sa naissance. On leur a parlé d’un parent maghrébin. « Mais ça n’a jamais été un sujet. Sylvain est notre enfant. Point. Il a été aimé tout de suite. C’est important pour sa mère biologique de savoir ça. » Les premiers temps, Françoise a du mal à se défaire de l’inquiétude torturante qu’une femme sonne à sa porte et annonce : « C’est mon enfant. »

Ces années-là, Chantale les traverse en pensant sans arrêt à ce bébé qu’elle pleure seule et dans le secret. Le temps passant, elle se persuade que l’enfant est mort. Sans cela, elle n’aurait pas pu survivre, dit-elle. En 1988, elle s’installe avec un marin-pêcheur de Port-en-Bessin, en Normandie, qui donne son nom à Marie. Le couple a trois enfants. Elle aura un dernier enfant avec son compagnon actuel, rencontré à la fin des années 1990. Sa vie s’est poursuivie et le souvenir de ce fils s’est estompé. « Je t’avais oublié », écrit-elle à Sylvain le 19 avril 2019.

Une lettre d’une exceptionnelle sincérité

Dans une lettre d’une exceptionnelle sincérité, elle lui écrit combien elle est en colère de la manière dont Sylvain s’est imposé à ses enfants, sans se préoccuper des conséquences, mais elle affirme comprendre son besoin de savoir d’où il vient. Elle lui parle de ses parents à elle, un facteur et une mère au foyer établis dans une petite ferme en Mayenne. De son père à qui Sylvain ressemble trait pour trait. De son premier travail à l’usine. De ses années parisiennes et de combien elle se sentait libre alors.

Elle lui écrit, pour qu’il puisse l’imaginer jeune femme, que sa fille Brune lui ressemble au même âge. Et c’est vrai qu’elles ont le même visage à l’ossature fine mangé par de grands yeux de chat. Elle lui écrit aussi qu’il faut qu’elle se pardonne et qu’il lui pardonne, mais qu’elle a encore besoin de temps avant de le rencontrer. « J’étais bouleversé, j’ai pleuré dans ma chambre, se souvient Sylvain. Son histoire m’a ému. Je ne lui en ai jamais voulu. Ma vie aurait été plus difficile sans doute si elle m’avait gardé. »

« Je l’ai porté neuf mois et je l’ai mis au monde, mais je ne suis pas sa mère puisque je ne l’ai pas élevé. Je n’ai pas vu ses premiers pas, je ne l’ai pas consolé, je ne l’ai pas éduqué. Je me considère davantage comme une mère porteuse. » Chantale

Le 22 juin 2019, ils se rencontrent enfin. Chantale donne rendez-vous à Sylvain à Annecy, dans les Alpes, où elle est venue passer le week-end. Arrivé en avance au bord du lac, il l’aperçoit traverser un pont en pierre. Sa mère biologique est une dame toute petite, souriante et calme, qui lui fait naturellement la bise. C’est une rencontre simple et heureuse. Sylvain comprend que l’histoire de cette femme est aussi la sienne. Mais que sont-ils l’un pour l’autre ? « J’ai un père, une mère, une famille », répond Sylvain.

Chantale dit la même chose : « Je ne peux pas dire que je le considère comme mon fils. On a un lien, le lien du sang, mais je n’arrive toujours pas à me dire que j’ai eu six enfants. J’en ai cinq. Je l’ai porté neuf mois et je l’ai mis au monde, mais je ne suis pas sa mère puisque je ne l’ai pas élevé. Je n’ai pas vu ses premiers pas, je ne l’ai pas consolé, je ne l’ai pas éduqué. Je me considère davantage comme une mère porteuse. » 

De jolis liens

Avec cette foule d’inconnus, Sylvain tisse de jolis liens. Alain, Simon et lui s’envoient parfois des messages. Les échanges avec Gabriel et Pierre-Emmanuel sont nourris. En revanche, ni Marie ni la jumelle de Brune ne veulent le voir. Il a aussi rencontré ou parlé à des parents plus éloignés. Il a ainsi appris qu’une autre personne savait. Dans les années 1980, de retour en Normandie, Chantale avait tendu à Henri*, son beau-frère, un document en lui demandant de n’en parler à personne : il s’agissait du procès-verbal attestant qu’elle confiait son enfant à La Famille adoptive française. Ce beau-frère a gardé le secret. Quand Sylvain lui a téléphoné, Henri est resté un instant silencieux avant de dire : « Je voulais simplement prendre quelques secondes pour écouter le son de votre voix. » Il lui a confié avoir souvent pensé à lui.

C’est de Brune que Sylvain est le plus proche. Ils s’écrivent beaucoup et se voient de temps à autre. La jeune femme semble vouloir combler un manque. Lui apporter quelque chose dont elle pense qu’il a été privé. « Cet été, on est allés en Bretagne avec mon frère. On crée comme ça des petits souvenirs. » 

Sylvain Loscos tient la carte postale envoyée par sa mère biologique à La Famille adoptive française, en 1983, l’année de sa naissance.

Philippe Ciochetto, l’oncle et parrain de Sylvain, a été mis au courant de ses découvertes au cours de l’été 2020. « J’ai trouvé folle cette possibilité. Ce site propose un fil qu’il est impossible de ne pas tirer. Il y a une connaissance prête à être découverte, c’est impossible de laisser cela de côté. » La révélation a provoqué entre eux des discussions qu’ils avaient peu eues : « Je lui ai raconté le jour où il est arrivé dans la famille. Il était tout petit, 3 mois, et l’amour a été immédiat. C’est dingue d’avoir vécu ça et de pouvoir en témoigner. Et je le lui ai dit, parce qu’on ne se le dit pas souvent. » Il ne croit pas que Sylvain ait « deux » familles, lui-même n’en parle pas comme ça, mais son oncle parle d’une « vie augmentée, du double de celle des autres ». Il poursuit : « Je ne sais pas si c’est simple à vivre. » 

La compagne de Sylvain, May, a longtemps été son unique confidente : « Elle m’a permis de traverser cette période existentielle avec une sérénité que je n’aurais pas eue si j’avais été seul. » Par crainte de secouer ses parents, Sylvain ne leur a rien dit avant l’automne 2020. Lorsqu’ils l’ont appris, Éric et Françoise Loscos ont compris. « Je suis sincèrement contente pour lui et son père aussi, souligne Françoise. Ma première pensée a été pour sa mère biologique, j’ai eu beaucoup de peine pour elle. Elle a traversé une situation très difficile. »

Aujourd’hui, chacun se dit apaisé. Sylvain constate que ça lui « est tombé dessus » et que ce site a créé un « besoin » qu’il n’éprouvait pas ou qu’il n’était pas conscient d’éprouver. Mais il est heureux d’avoir « rempli » cette page blanche que constituait sa naissance. Pour prendre du recul, l’enseignant se consacre à l’écriture de son histoire. Un scénario de fiction aux conséquences moins heureuses : « J’aurais pu provoquer un désastre familial. » 

« Sans ce fameux test, je serais morte avec ce secret. Maintenant, c’est un soulagement, je ne le cache plus et tout le monde est heureux que je puisse rencontrer un enfant que je n’ai pas pu élever. » Chantale

Alain a informé ses enfants. « Ils ont trouvé ça cocasse, dit-il.Connaissant leur père ils n’étaient pas étonnés… » C’est moins l’existence de ce frère inconnu qui a représenté un choc pour eux que celui d’avoir appris qu’il avait été confié à l’adoption. Alain retient une chose de cette histoire : « J’ai appris que des gens peuvent aimer un enfant qui n’est pas le leur. »

Brune ne regrette rien. Elle concède qu’elle aurait aimé « être préparée » et savoir qu’un simple Coton-Tige gratté contre la joue pouvait faire surgir un frère inconnu : « Tout ça a démarré parce que j’ai fait ce test ADN. Et si c’était à refaire, je le referais parce que je suis heureuse de cette situation. Je regrette que ma mère ne nous ait rien dit, mais je comprends sa difficulté. » « Sans ce fameux test, je serais morte avec ce secret, admet Chantale. Maintenant, c’est un soulagement, je ne le cache plus et tout le monde est heureux que je puisse rencontrer un enfant que je n’ai pas pu élever. » 

Les kits ADN, une question sensible

Sa psychologue lui a bien suggéré de porter plainte contre MyHeritage : après tout, elle avait subi un préjudice grave, la levée du secret de son identité. « Mais c’était trop tard, le mal était fait, dit Chantale. Je ne suis pas contre ces tests, mais je trouve qu’on ne devrait pas transmettre si facilement les identités des uns et des autres. Je l’ai dit à Sylvain : heureusement qu’on est une famille unie. »

La question de la légalisation des kits ADN demeure sensible en France. « On les qualifie de “récréatifs”, c’est se moquer du monde ! s’indigne Jean-Louis Beaucarnot. Et cela empêche le législateur de s’y pencher sérieusement. » Sa coautrice, Nathalie Jovanovic-Floricourt, défend avec ­ferveur les testsADN à des fins de généalogie génétique, notamment pour ceux à qui manque le récit de leurs origines : « Ils ont besoin de connaître les ­circonstances de leur naissance, pas forcément de rencontrer leurs parents. C’est un besoin qui peut surgir à tout âge et qui est source de beaucoup de souffrance. »

Sylvain Loscos se dit plutôt favorable à la libéralisation des tests, « mais de façon encadrée », en continuant à protéger le droit des femmes qui accouchent sous X. « Il y a deux droits qui s’opposent : le droit au secret de la mère et le droit de l’enfant à la connaissance de ses origines. Mais qu’est-ce qu’on appelle origines ? Moi, c’était moins les personnes que les circonstances de ma naissance qui m’intéressaient. Si j’avais eu cette lettre de Chantale dans mon ­dossier, je ne l’aurais peut-être pas cherchée. »

* le prénom a été changé.


Aucun commentaire: