Par Thomas Sotinel Publié le 27 janvier 2021
La fiction d’Olivier Nakache et Eric Toledano occupera les jeudis soirs d’Arte à partir du 28 janvier et pendant sept semaines.
Vous pouvez entrer, le précédent patient du docteur Dayan vient de partir. Olivier Nakache et Eric Toledano vous invitent à pénétrer dans le cabinet d’un psychanalyste parisien. Si vous allez jusqu’au bout de la cure – sept semaines –, vous aurez vu les 35 épisodes d’En thérapie, la série que propose Arte, un voyage immobile à travers la société française au lendemain des attentats de 2015. Le rendez-vous de la première patiente, Ariane (Mélanie Thierry), est fixé au lundi 16 novembre, 9 heures.
Les connaisseurs du monde des séries auront reconnu dans cette proposition l’avatar français d’un concept né il y a quinze ans en Israël. A l’époque, un jeune réalisateur et scénariste, Hagai Levi, avait eu l’idée « d’une simplicité biblique, mais prodigieuse »d’utiliser « la séance psychanalytique comme cellule dramatique », pour reprendre les termes de Vincent Poymiro, l’un des scénaristes de la version française. A travers les cinq patients suivis pendant la première saison de BeTipul (« en thérapie », en hébreu) se dessinait un portrait d’Israël.
Trois ans plus tard, la chaîne américaine HBO acclimatait le concept, confiant le rôle du thérapeute à Gabriel Byrne, celui-là même que reprend aujourd’hui Frédéric Pierrot. In Treatment a remporté un succès mondial, ce qui n’a pas empêché BeTipuld’essaimer à travers le monde, du Japon à la Serbie, de l’Italie à l’Argentine. Mais pas en France où plusieurs tentatives d’adaptation ont échoué, au fil des années.
Jusqu’au jour de mars 2015 où Olivier Nakache et Eric Toledano ont croisé le chemin des productrices Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez en Israël, à l’occasion d’un festival du cinéma français. Les deux duos avaient cohabité quelques années auparavant dans une cour du 10e arrondissement. Au rez-de-chaussée, les premiers bricolaient leurs premiers courts-métrages, au deuxième étage, les Films du Poisson, la société des secondes, produisaient les premiers longs-métrages d’Emmanuel Finkiel. Entre ces deux rencontres, Yaël Fogiel avait fait la connaissance de Hagai Levi, avec qui elle avait ébauché un projet de long-métrage, avant de récupérer les droits de l’adaptation française de BeTipul.
Au printemps 2015, la productrice a organisé la rencontre entre le scénariste israélien et les réalisateurs français, dans un restaurant du quartier de Jaffa, à Tel-Aviv : « Nous avons dit à Hagai Levi que ce serait formidable d’être les ambassadeurs de ce concept génial, on ne savait pas si ça l’intéresserait, si on était les bonnes personnes », se souvient Eric Toledano.
De son côté le showrunner, qui est à New York où il termine une adaptation de Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman, avec Oscar Isaac et Jessica Chastain, se rappelle avoir été immédiatement conquis : « J’ai découvert qu’Eric aimait beaucoup Etty Hillesum [l’autrice juive néerlandaise morte à Auschwitz en 1943], j’en ai été surpris et très heureux, on se retrouvait sur le même divan. »
17 heures de saison
De retour en France, les productrices des Films du Poisson se sont mises à la pêche au diffuseur, persuadées que la caution du duo Nakache-Toledano leur ouvrirait toutes les portes. Après avoir été éconduites par Canal+ et France Télévisions, Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez ont trouvé en Véronique Cayla, qui dirigeait alors Arte, une interlocutrice plus accueillante : « Elle a dit : “Ça, je veux le faire”, même si on n’a pas les cases horaires ni le budget. »
Les 17 heures de cette saison d’En thérapie représentent plus de la moitié du volume horaire de la production annuelle de séries de la chaîne franco-allemande, et le tiers de son budget. « C’est la beauté d’Arte de lancer une série en écriture alors que l’antenne nous explique qu’elle n’a pas de place pour elle », fait remarquer Olivier Wotling, le directeur de l’unité fiction de la chaîne.
Laquelle s’était en outre toujours flattée de ne produire que des séries originales. Mais les réalisateurs de cinéma devenus showrunners disposaient d’un atout maître : leur idée de situer la série au lendemain des attentats, transformant le personnage de militaire traumatisé de la version originale en un policier présent à l’intérieur du Bataclan le soir du 13 novembre : initialement destiné à Tahar Rahim, le rôle d’Adel Chibane, ce policier qui « ne sait plus de quel côté il est, est le premier qui est arrivé », explique Eric Toledano.
Ensuite Hagai Levi a insisté pour que cette idée – faire émerger les traumatismes intimes à travers le traumatisme collectif – soit étendue non seulement aux autres patients, mais aussi au thérapeute, idée portée par Vincent Poymiro et David Elkaïm, les scénaristes à la tête de l’équipe qui a fait d’En thérapie une histoire française.
Pendant que Pauline Guéna, autrice d’un livre sur le travail de la PJ de Versailles au lendemain des attentats, prenait en charge le personnage de Chibane, Nacim Mehtar s’occupait de la jeune Camille (Céleste Brunnquell), la sportive de haut niveau blessée, et Alexandre Manneville, d’Ariane (Mélanie Thierry), la chirurgienne plus bouleversée que confortée par sa thérapie.
Lancé par un double collectif, Nakache et Toledano et les Films du Poisson, En thérapie n’a cessé de happer de nouveaux participants dans son sillage. Chaque patient s’est vu attribué un ou des réalisateurs : les auteurs du Sens de la fête et leur collaborateur d’élection le chef opérateur et directeur artistique Mathieu Vadepied pour Ariane et Chibane, Pierre Salvadori pour Camille, Nicolas Pariser pour le couple en crise qu’interprètent Pio Marmaï et Clémence Poésy. Sans oublier les ultimes séances de la semaine, qui réunissent et opposent le docteur Dayan et sa contrôleuse Esther (Carole Bouquet), confiées à Mathieu Vadepied.
Atmosphère presque recueillie
Ces confrontations entre thérapeutes ont permis aux scénaristes, sous la supervision du psychanalyste Emmanuel Valat, d’introduire dans la dramaturgie la dimension spécifiquement française des débats qui agitent le milieu analytique. « On aimait l’idée que les spectateurs qui se mirent dans les affects des personnages vont aussi apprendre quelque chose qui peut servir, on ne sait jamais », explique Vincent Poymiro.
« Il fallait aussi justifier ce qui est évident en Israël ou aux Etats-Unis », renchérit Eric Toledano, à savoir le face-à-face entre le thérapeute et le patient, plutôt que la séance sur le divan, les nombreuses interventions du docteur Dayan, fort disert pour quelqu’un qui se réclame de Lacan…
Le tournage d’En thérapie, dans un immeuble parisien vide de l’avenue Foch, devenu à la fois décor et bureau de production, a eu lieu pendant les grèves de l’hiver 2019-2020, juste avant le confinement. Tous les participants décrivent une atmosphère presque recueillie, rythmée par de très longues prises qui exigeaient beaucoup (et pas seulement de la mémoire) des acteurs. « On n’a pas beaucoup fait de scènes de nu dans notre carrière,observe Eric Toledano, mais je pense que ça avoisine l’ambiance de ces moments où les acteurs se livrent, sont à poil. Quand on disait “Coupez !”, personne ne reprenait une discussion ou regardait son téléphone. »
Eric Toledano, showrunner de la série : « Tous les personnages de patients, quand ils arrivent au cabinet, veulent être guéris immédiatement. Il fallait remettre l’écoute au centre »
Les deux réalisateurs espèrent que cette concentration sera contagieuse. « C’est une époque très bruyante, dit Eric Toledano, de prise de parole généralisée, sans écoute, où la parole d’un astrophysicien vaut celle d’un internaute. Tous les personnages de patients, quand ils arrivent au cabinet, veulent être guéris immédiatement. Il fallait remettre l’écoute au centre. » Olivier Nakache ajoute : « Chaque semaine arrive une série à gros moyens, on est un peu à côté, décalés. On demande à chaque spectateur de participer activement, comme quand il lit un livre, de faire un effort d’imagination », puisque plutôt que de flash-back spectaculaires, la série est faite de souvenirs énoncés au fil de leurs surgissements.
Quelques semaines avant la mise en ligne puis la diffusion d’En thérapie, un début de polémique est venu mettre à mal la cohésion des troupes. Sur la page Facebook « Paroles de scénaristes », un texte non signé (depuis retiré) exprimait la frustration de l’équipe d’écriture face à la place qui leur était faite dans le lancement de la série, qui, sans être nommée, était tout à fait reconnaissable.
Aujourd’hui, la volonté d’apaisement prédomine de part et d’autre, mais Vincent Poymiro et David Elkaïm ne seront pas de la deuxième saison. De celle-ci, on ne sait pas grand-chose. Hagai Levi, qui garde un œil sur le devenir de la version française de sa création, fait néanmoins remarquer : « Le Covid est un événement énorme dans l’histoire de la psychologie, je crois qu’il faudra en tenir compte. » Un avis auquel fait écho Olivier Nakache : « Il n’y a pas une émission où l’on n’entend pas un psy qui explique que les gens vont avoir besoin d’être aidés. L’horizon recule de jour en jour. Nous sommes tellement poreux à tout ce qui se passe, ça pourrait tout à fait ressortir dans une autre saison. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire