Par Rosita Boisseau Publié le 23 janvier 2021
L’association suisse intervient auprès d’enfants et d’adolescents malades, pauvres ou migrants, pour les initier au ballet ou au hip-hop.
L’image est restée incrustée dans la mémoire. Dans les couloirs de l’hôpital Necker, à Paris, une princesse en tutu de velours violet et un prince en pourpoint vert, masqués en raison des contraintes sanitaires, attendent avant d’aller dans la salle de réveil et de jeux pour saluer les enfants malades avec quelques pirouettes. C’était le 10 novembre 2020. Léonore Baulac et Hugo Marchand, étoiles de l’Opéra national de Paris, étaient de passage comme ils le sont régulièrement depuis 2018, et le racontaient sur leurs comptes Instagram.
Hugo Marchand, danseur : « Instinctivement, j’ai senti que The What Dance Can Do Project avait du sens pour moi. C’est un peu les Restos du cœur de la danse »
Le duo de danseurs s’engage depuis trois ans aux côtés de l’association suisse The What Dance Can Do Project. Particulièrement présent à Necker, Hugo Marchand, qui va sortir un livre sur son métier intitulé Danser (Arthaud, 224 pages, 19,90 euros), persiste à multiplier les interventions dans un emploi du temps compact. « On me propose régulièrement de défendre telle ou telle cause et, instinctivement, j’ai senti que The What Dance Can Do Project avait du sens pour moi, s’enthousiasme-t-il. C’est un peu les Restos du cœur de la danse. La danse peut faire du bien à la société et en particulier aux enfants. On avait l’habitude de proposer un petit spectacle et un quiz dans l’auditorium de l’hôpital. A cause de la crise sanitaire, on ne fait malheureusement plus que de courtes apparitions mais ça fait du bien à tout le monde, les malades comme le personnel médical. »
Depuis 2018, The What Dance Can Do project (WDCD), basé à Zurich (Suisse), piloté depuis sa création par Aurélia Sellier, met en œuvre des ateliers de danse, des rencontres, à destination de la jeunesse en difficulté. « Qu’il s’agisse d’enfants malades, vivant dans la pauvreté ou de migrants, j’ai la conviction que la danse peut apporter beaucoup plus que ce qu’on lui attribue d’habitude : la beauté, explique Aurélia Sellier. Elle peut transformer une personne, lui donner une discipline, de l’énergie, dans la vie quotidienne, à l’école comme dans son travail. » Bardée de cette évidence, Aurélia Sellier fonde « à partir de rien » WDCD.
Fibre pédagogique
A coups de messages sur les réseaux sociaux pour entrer en contact avec les danseurs et avec le soutien du chorégraphe Akram Khan, Aurélia Sellier rassemble peu à peu une équipe internationale composée d’interprètes de l’Opéra national de Paris, du Ballet Royal de Londres et de celui du Danemark. Avec aujourd’hui, une dizaine « d’ambassadeurs », tous bénévoles, dont les danseurs Yen-Ching Lin, Dor Mamalia et Ahmad Joudeh, le réseau se déploie. De Necker et du Kinderspital, à Zurich, les ateliers essaiment dans une école de Wellington (Nouvelle-Zélande) et le bidonville de Kibera, à Nairobi (Kenya), dont un film épatant intitulé Kenya, danser au cœur d’un bidonville, réalisé par Myriam Bou-Saha, chronique l’expérience. « Nous travaillons avec différentes associations sur le terrain comme par exemple Anno’s Africa, à Kibera, précise Aurélia Sellier. Nous venons de collaborer avec Atlas Kinder, qui s’occupe d’un village d’orphelins basé dans le sud du Maroc, et nous y avons proposé des cours à Noël. »
C’est là, au milieu d’enfants marocains âgés de 5 à 12 ans, de Dar Bouidar, que Léonore Baulac a passé cinq jours de ses vacances de fin d’année. Après avoir donné des cours à Kibera, elle a continué à transmettre chaque samedi, d’août à décembre 2020, les codes du ballet à quelques jeunes du bidonville par le biais du logiciel Zoom. Elle raffine peu à peu une fibre pédagogique qu’elle ne se croyait pas posséder. « C’est au contact des enfants que j’ai commencé à aimer enseigner, précise-t-elle. La posture de la danse classique, la façon de se tenir droit, de respirer avec les autres sont bénéfiques et donnent confiance en soi. On tire beaucoup d’amour de ces rencontres. Sans compter que je me sens utile, particulièrement dans le contexte de la crise sanitaire. » Ce sera bientôt au tour du chorégraphe Mehdi Kerkouche de se rendre à Dar Bouidar.
Financement participatif
Parallèlement, un autre projet, actuellement en répétition à Paris, rassemble, en collaboration avec l’association La Casa, douze jeunes migrants isolés âgés de 16 à 18 ans et pour la plupart originaires d’Afrique de l’Ouest. Sous la houlette du chorégraphe contemporain Mourad Bouayad, ils mettent au point une courte chorégraphie. « Je viens du hip-hop et le contact s’est fait naturellement entre nous, explique Mourad Bouayad. J’ai lancé la machine en leur proposant de danser tous ensemble. Ils ont tous une culture chorégraphique traditionnelle liée à leur pays et ils improvisent très vite. » En complicité avec le groupe, sur des thèmes comme l’individualisme de plus en plus présent, la peur de se toucher, le chorégraphe a imaginé une pièce « douce avant tout, en laissant la place à une explosion ». « Il y aura, poursuit-il,un grand cercle qui glisse dans l’espace, libérant des solos et des duos avant de les avaler de nouveau. »
The What Dance Can Do Project, que les marques Repetto et Gaynor Minden soutiennent, fonctionne avec un financement participatif et quelques donateurs qui vont par exemple permettre cette année de payer des cours intensifs de classique en Europe pour deux enfants nigérians ultradoués. Parallèlement, des antennes locales vont être créées au Royaume-Uni et en Belgique. Une toile en expansion qui prouve que la danse en a encore et encore sous le chausson.
Danser, d’Hugo Marchand. En collaboration avec Caroline de Bodinat. Arthaud, 224 pages. thewhatdancecandoproject.com/
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