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lundi 25 janvier 2021

En réa, le plateau haut et le blues des blouses blanches

Par Anaïs Moran — 24 janvier 2021

Dans toute la France, la courbe des admissions quotidiennes en réanimation semble dans une nouvelle phase ascendante.

Dans toute la France, la courbe des admissions quotidiennes en réanimation semble dans une nouvelle phase ascendante. Photo Stéphane Lagoutte. MYOP

Depuis deux mois, les médecins et infirmiers en réanimation encaissent un rythme d’entrées quotidiennes toujours élevé. Et doivent sans pouvoir souffler faire face aux décès récurrents.

Ni noyé ni englouti, «juste en surnage» depuis le pic de la seconde vague, en novembre. A l’hôpital Avicenne de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, le service de réanimation enchaîne les semaines sur un rythme d’activité soutenu, «en train de mettre les soignants sur les genoux», selon les mots du professeur Stéphane Gaudry. Les malades du Covid-19 occupent actuellement un tiers des 36 lits tenus par son équipe. «Cette situation s’est figée sur ce plateau haut il y a six semaines, sans phénomène significatif d’augmentation ou de baisse des admissions des Covid-positifs, relate le réanimateur. C’est inédit dans cette crise. Et assez déroutant. On ne peut pas dire pour l’heure que c’est ingérable. En même temps, en termes d’intensité de travail, nous sommes clairement sur une marche supplémentaire par rapport à la normale. Cela éreinte tout le monde à la longue.»

Ce fichu plateau haut : en France, la courbe des admissions quotidiennes en réanimation était montée jusqu’à 540 patients le 4 novembre, avant de se stabiliser début décembre sous la barre des 200 entrées en moyenne - bien loin du niveau estival proche de zéro. Ces derniers jours, les chiffres semblent même doucement prendre une nouvelle phase ascendante. Dimanche, 2 955 malades du Covid étaient pris en charge par un service de réanimation, contre 2 766 sept jours plus tôt (+6 %) et 2 620 il y a deux semaines (+11 %). Rien d’encore spectaculaire à l’échelle nationale, même si cette énième hausse commence à faire de gros dégâts dans certains départements, à l’image des Alpes-Maritimes (lire page 3), au bord de la saturation en réanimation.

Surcharge. 

«Bien sûr, on craint une flambée nationale. Mais ça fait des semaines qu’on travaille avec des services amputés de moitié par des patients Covid. C’est dur de paniquer quand a l’impression d’avoir déjà la tête entière dedans», raconte Khaldoun Kuteifan, chef de la réanimation médicale du groupe hospitalier régionale de Mulhouse (Alsace). Le médecin gère habituellement 36 lits. Lors de la seconde vague, son service est monté à 40 places et n’est jamais revenu à la normale. «Aucun repos ou lâcher-prise n’est possible», note-t-il.

Du côté du CHU de Grenoble non plus, «la pression ne s’est pas estompée», explique Justine (1), infirmière en réa. «80 % de nos patients sont Covid. C’est comme ça depuis la fin du pic», dit-elle. Au centre hospitalier sud-francilien de Corbeil-Essonnes, le service de réa composé de 30 lits «n’est pas redescendu en dessous de 8 patients Covid depuis novembre», relate la réanimatrice Sophie Marqué. Même enkystement à l’hôpital Nord de Marseille. «Fin décembre, on a voulu fermer nos dix lits de renfort pensant que la vague s’était enfin retirée, relate l’infirmière Sabine Valera. On a très vite compris qu’elle n’avait pas disparu et qu’on avait encore un pied entier dedans. En l’espace de quelques jours, nous nous sommes retrouvés à rouvrir trois lits, puis cinq, puis sept, et finalement dix. C’est rude pour les équipes. Avec ce plateau, on a le sentiment que le Covid se joue de nous.»

Heures supplémentaires, vacations et plannings perturbés, blouses et charlottes constamment changées, protocoles renforcés, chambres isolées, médecine «portes fermées» : en réanimation, la présence de patients Covid est une surcharge physique et morale sans équivalent. «Après la première vague, les équipes avaient eu le temps de souffler. Aujourd’hui, on ne trouve pas vraiment de moments de répit»,explique Romain Sonneville, réanimateur à Bichat (Paris). Dans son service, il y a toujours entre «10 à 14 patients Covid» pour 26 lits. «Le moral général n’est pas très bon. Tous les collègues ne se livrent pas, mais je sens une énorme lassitude du schéma.»

«On subit». 

Un sentiment que partage Justine, l’infirmière de Grenoble. «C’est vrai que depuis cet automne, le nouveau référentiel en réanimation, ce sont les entrées pour les détresses respiratoires dues au Covid. Cela va faire quatre mois qu’on est piégés dans cette monotonie-là, sans pause, et tout le monde fatigue.» Une dizaine de collègues paramédicales à bout viennent d’ailleurs de quitter son service. «Les patients Covid sont désormais une partie tellement importante de notre activité qu’il arrive que les dernières recrues soient totalement perdues sur des patients et des pathologies non Covid», complète-t-elle. Sabine Valera, à Marseille : «Les troupes craquent et le turnover est considérable. Je vais être honnête, ces derniers temps, je ne connais pas tous les noms des personnes avec qui je travaille.»

La cadence continue imposée par le Sars-CoV-2 laisse des traces. Les morts aussi. Les données hospitalières ont tourné autour de 300 décès quotidiens en moyenne ces sept derniers jours. «Certes, ce sont des chiffres moins hauts qu’en avril et novembre. Et puis c’est aussi notre métier de tenir le choc. Mais voir partir des malades de la soixantaine sans antécédents particuliers, comment voulez-vous qu’on s’habitue à cela ?»interroge la réanimatrice Sophie Marqué. «A l’échelle d’un service, c’est parfois trois morts Covid en un week-end pour l’équipe de garde, trois familles à accompagner. Emotionnellement, c’est toujours aussi compliqué», poursuit son confrère de Bichat, Romain Sonneville. «Il y a des formes de Covid très graves qu’on ne guérit pas. On n’a pas de solution, on subit comme tout le monde. Ça pèse de plus en plus sur les troupes», exprime le Mulhousien Khaldoun Kuteifan.

Surtout, la période de couvre-feu actuelle ne fait qu’aggraver la détresse des soignants de réanimation, selon le médecin d’Avicenne Stéphane Gaudry. «L’association grosse charge de travail, pas beaucoup de repos et aucune opportunité de penser hors Covid ne nous aide pas à tenir le coup dans cette période, résume-t-il. Lorsque vous n’avez plus que le boulot-dodo dans votre quotidien et aucun moyen de décompression, c’est compliqué.» Difficile, donc, de ne pas se projeter sur les mois à venir. Une troisième vague ? «On espère tous que le risque d’explosion totale, à la britannique, ne décimera pas nos hôpitaux. J’ai envie d’y croire. Je ne peux pas imaginer qu’un an plus tard, on reparte presque à zéro.»

(1) Le prénom a été modifié.


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