— 24 janvier 2021
Dans toute la France, la courbe des admissions quotidiennes en réanimation semble dans une nouvelle phase ascendante. Photo Stéphane Lagoutte. MYOP
Depuis deux mois, les médecins et infirmiers en réanimation encaissent un rythme d’entrées quotidiennes toujours élevé. Et doivent sans pouvoir souffler faire face aux décès récurrents.
Ni noyé ni englouti, «juste en surnage» depuis le pic de la seconde vague, en novembre. A l’hôpital Avicenne de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, le service de réanimation enchaîne les semaines sur un rythme d’activité soutenu, «en train de mettre les soignants sur les genoux», selon les mots du professeur Stéphane Gaudry. Les malades du Covid-19 occupent actuellement un tiers des 36 lits tenus par son équipe. «Cette situation s’est figée sur ce plateau haut il y a six semaines, sans phénomène significatif d’augmentation ou de baisse des admissions des Covid-positifs, relate le réanimateur. C’est inédit dans cette crise. Et assez déroutant. On ne peut pas dire pour l’heure que c’est ingérable. En même temps, en termes d’intensité de travail, nous sommes clairement sur une marche supplémentaire par rapport à la normale. Cela éreinte tout le monde à la longue.»
Ce fichu plateau haut : en France, la courbe des admissions quotidiennes en réanimation était montée jusqu’à 540 patients le 4 novembre, avant de se stabiliser début décembre sous la barre des 200 entrées en moyenne - bien loin du niveau estival proche de zéro. Ces derniers jours, les chiffres semblent même doucement prendre une nouvelle phase ascendante. Dimanche, 2 955 malades du Covid étaient pris en charge par un service de réanimation, contre 2 766 sept jours plus tôt (+6 %) et 2 620 il y a deux semaines (+11 %). Rien d’encore spectaculaire à l’échelle nationale, même si cette énième hausse commence à faire de gros dégâts dans certains départements, à l’image des Alpes-Maritimes (lire page 3), au bord de la saturation en réanimation.
Surcharge.
Du côté du CHU de Grenoble non plus, «la pression ne s’est pas estompée», explique Justine (1), infirmière en réa. «80 % de nos patients sont Covid. C’est comme ça depuis la fin du pic», dit-elle. Au centre hospitalier sud-francilien de Corbeil-Essonnes, le service de réa composé de 30 lits «n’est pas redescendu en dessous de 8 patients Covid depuis novembre», relate la réanimatrice Sophie Marqué. Même enkystement à l’hôpital Nord de Marseille. «Fin décembre, on a voulu fermer nos dix lits de renfort pensant que la vague s’était enfin retirée, relate l’infirmière Sabine Valera. On a très vite compris qu’elle n’avait pas disparu et qu’on avait encore un pied entier dedans. En l’espace de quelques jours, nous nous sommes retrouvés à rouvrir trois lits, puis cinq, puis sept, et finalement dix. C’est rude pour les équipes. Avec ce plateau, on a le sentiment que le Covid se joue de nous.»
Heures supplémentaires, vacations et plannings perturbés, blouses et charlottes constamment changées, protocoles renforcés, chambres isolées, médecine «portes fermées» : en réanimation, la présence de patients Covid est une surcharge physique et morale sans équivalent. «Après la première vague, les équipes avaient eu le temps de souffler. Aujourd’hui, on ne trouve pas vraiment de moments de répit»,explique Romain Sonneville, réanimateur à Bichat (Paris). Dans son service, il y a toujours entre «10 à 14 patients Covid» pour 26 lits. «Le moral général n’est pas très bon. Tous les collègues ne se livrent pas, mais je sens une énorme lassitude du schéma.»
«On subit».
Surtout, la période de couvre-feu actuelle ne fait qu’aggraver la détresse des soignants de réanimation, selon le médecin d’Avicenne Stéphane Gaudry. «L’association grosse charge de travail, pas beaucoup de repos et aucune opportunité de penser hors Covid ne nous aide pas à tenir le coup dans cette période, résume-t-il. Lorsque vous n’avez plus que le boulot-dodo dans votre quotidien et aucun moyen de décompression, c’est compliqué.» Difficile, donc, de ne pas se projeter sur les mois à venir. Une troisième vague ? «On espère tous que le risque d’explosion totale, à la britannique, ne décimera pas nos hôpitaux. J’ai envie d’y croire. Je ne peux pas imaginer qu’un an plus tard, on reparte presque à zéro.»
(1) Le prénom a été modifié.
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