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vendredi 29 janvier 2021

Dehors, les bébés ! Les nombreux avantages de la crèche en plein air

Par     Publié le 15 janvier 2021



Jusqu’à 0 °C, les enfants font la sieste dehors. Par temps pluvieux, ils pataugent dans les flaques. Leurs parents ne s’affolent pas, ils ne portent pas plainte. Ils se sont battus pour avoir une place dans cette halte-garderie des beaux quartiers parisiens où leurs petits poussins sont élevés en plein air.

On ne la situera pas précisément, demande nous en a été faite par précaution antiterroriste. Disons qu’elle occupe 800 m2d’un parc public, dont seul un grillage la sépare. Un vaste espace sablonneux qui, aux yeux du passant pressé, s’apparente à une banale aire de jeux parsemée de toboggans et jeux de bascule. Il faut ralentir le pas pour saisir la différence. Le calme et la liberté des enfants, l’attention des adultes, la richesse des activités, sous le cèdre et le cerisier du Japon.

Les puéricultrices proposent des ateliers qui cherchent à éveiller les enfants au monde et à leurs propres capacites. Ici, expérimentation de l'équilibre.

Des minots en combinaison de ski naviguent de la cabane des poupées au coin garage. Leurs compères écoutent une histoire sur de gros poufs imperméables, découvrent les rudesses du commerce en échangeant du sable, alignent les feuilles dans une tentative de land art, collent, concentrés, des gommettes sur un tableau (et autant sur le masque de l’éducatrice), arrosent les frêles reliquats hivernaux du carré potager, s’initient au clubbing en rejoignant la danse des foulards sous tenture multicolore, ou embarquent sans réservation dans un ancêtre du TGV – « Accrochez-vous à la corde, ça démarre ! »

La joue est rouge, l’air vif, personne ne pleurniche. « Dommage qu’il ne pleuve pas, réussirait presque à convaincre Véronique Dewamin, qui dirige la halte-garderie depuis six ans. Les jours de pluie sont des jours de poésie. Les odeurs, les objets qui brillent, la sonorité des gouttes qui tombent sur le sable en faisant des petits ronds, ou sur la main, ou dans les seaux, ou sur la capuche… Les enfants expérimentent tout ça. On sort les moulins, les bateaux, les canards pour jouer dans les flaques, c’est un vrai régal, la gadoue ! » 

Par tout temps

Des mères du quartier ont inventé cette halte-garderie hors les murs, au début des années 1980. Elles qui avaient coutume de se retrouver autour du bac à sable ont obtenu qu’il soit clôturé puis en ont délégué la surveillance. Futé. En 2005, la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon (laïque et d’utilité publique) a repris le bébé et le bac à sable, et professionnalisé le tout, devenu halte-garderie associative de plein air (à 4,30 euros de l’heure pour les foyers les plus favorisés). La Fondation compte trois garderies aérées, désormais, à Paris – l’Union nationale des associations familiales en gère deux autres.

Ici, 38 enfants marcheurs (de 18 mois à 4 ans) jouent, s’éveillent, siestent et pour certains déjeunent, dehors

Par tout temps, ici, 38 enfants marcheurs (de 18 mois à 4 ans) jouent, s’éveillent, siestent et pour certains déjeunent, dehors. La plupart fréquente la halte-garderie à la demi-journée, trois à cinq fois par semaine. Les deux chalets en bois ne font pas office de base de repli, juste d’appui logistique : on y réchauffe les repas, stocke les équipements et change les enfants, qui peuvent aussi y accéder aux toilettes et se passer les mains sous l’eau tiède. Un grand store se déploie pour protéger leurs roupillons estivaux. En ce début d’hiver, ils vont d’eux-mêmes s’installer dans leurs poussettes alignées le long du grillage, au premier coup de fatigue.

Leur tenue fait l’objet de consignes strictes (look skieur l’hiver, marin en salopette à mi-saison). En dessous de – 5 °C, comme au-dessus de 34 °C, ou par avis de tempête, la structure ferme ses portes – ce qui n’arrive que deux ou trois fois l’an. Le sable est ratissé au matin, régulièrement analysé, régénéré. Surtout, « l’équipe est très présente et formée », précise Séverine Ringot, psychologue, employée cinq heures par mois. « La contenance qui n’est pas apportée par les murs est apportée par l’adulte. Dès qu’un enfant est isolé, une collègue va s’installer sur une petite chaise à sa hauteur pour écouter, accompagner le jeu libre en verbalisant. » Ou simplement offrir ses bras pour un câlin.

Peinture, jeux d'équilibre, ou apprentissage de la gadoue, ici tout se fait en extérieur.

Ces conditions réunies, et la (grande) peur du froid dépassée, les parents se muent en promoteurs enthousiastes du lieu, qu’ils semblent quitter à regret après avoir déposé leur progéniture. Certains pères en costume se rouleraient bien dans le sable plutôt que de remonter dans le SUV. Leurs enfants « adorent », ils ne « traînent pas les pieds pour venir »,sont « sainement fatigués, calmes et dorment super bien » au retour… Chercheur en mathématiques, Guillaume Dermer a inscrit sa fille Liane, 2 ans, pour lui éviter de grandir « entre quatre murs par 22 °C avec les mêmes couleurs tous les jours ». « Elle arrose les plantes, regarde les petites bêtes, on observe tous les matins le temps qu’il fait par la fenêtre pour s’habiller en conséquence. On est proches de la vraie vie. » 

Liste d’attente

La blonde Alice, 2 ans et demi, que réconfortent son pouce et un doudou lapin, fréquente la halte-garderie cinq fois par semaine, toute la journée. Sa maman naturopathe, Emilie Vagner, la trouve « plus autonome, plus éveillée, plus épanouie que son frère », qui n’a pas eu cette chance. « Pour moi, poursuit-elle, ça devrait être la norme. Les enfants grandissent au contact de la nature, ils s’en imprègnent, ils ne la perçoivent pas comme hostile. Ils auront envie d’en prendre soin. » Les maladies infantiles sont moins fréquentes, aussi. « Le pédiatre du quartier dit que les enfants d’ici, il ne les voit jamais. » 

« Ce lieu est bon pour le développement des enfants, pour leur motricité, pour l’éveil de leurs sens, pour leur autonomie »

En ces temps de pandémie de Covid-19, l’engouement pour le plein air a gonflé la liste d’attente. « Nous avons vu arriver des parents que nous n’aurions peut-être pas touchés auparavant, sourit la directrice derrière son masque fleuri. Ce lieu, dont le calme régénère, est bon pour le développement des enfants, pour leur motricité, pour l’éveil de leurs sens, pour leur autonomie. Ce n’est pas un univers aseptisé, artificiel, surchauffé. Nous ne sommes pas coupés de la réalité. Nous parlons des couleurs du ciel, nous écoutons les oiseaux, nous voyons les jardiniers avec leurs outils, les chevaux de la garde républicaine, les personnes âgées installées au soleil, sur le banc d’en face… Tout cela nourrit les enfants. »

Avant le déjeuner, temps calme en chansons et en extérieur.
Après le déjeuner, c'est l'heure de la sieste : à l'abri dans les poussettes mais au grand air.

Elle s’étonnerait presque de notre visite, la maman allemande du petit Ladislas, Isabel Azoulay : « Pour moi, tout ici est normal. J’ai grandi les pieds dans l’herbe, à la campagne, près de Hanovre. Chez nous, les bébés font la sieste dans leur landau dehors quand il fait froid, surtout pas dans un endroit chaud et non aéré. » En France, a-t-elle remarqué, les enfants ne sont pas censés se salir. « Tandis que nous, on leur dit : “Vas-y, dans la boue !” » L’épidémie lui a donné un coup de pouce décisif pour l’inscription de son fils. « Grâce au Covid-19, j’ai convaincu mon mari français. Ici, c’est aéré naturellement… »

Santé psychique

Dehors, les bébés ! Effectivement, la France n’est pas en pointe de la tendance dessinée dès les années 1950 au Danemark, avec les premières garderies à ciel ouvert, dans les forêts et parcs. En Allemagne et dans les pays scandinaves, elles sont si courantes depuis les années 1980-1990 qu’aucun journaliste n’aurait l’idée de les raconter. L’Autriche, la République tchèque, le Japon, la Suisse ont suivi. Depuis 2019, tout près de Genève, une écocrèche associative (Eveil en forêt) a pour locaux une vaste prairie en plein bois, où les petits sont invités à fabriquer leurs propres jouets « avec ce que donne la nature ».

« On se rend compte aujourd’hui que l’enfant a besoin d’un contact avec la nature pour son développement émotionnel, cognitif, immunitaire »

Rien n’oblige crèches et haltes-garderies, en France, à disposer du moindre espace extérieur, encore moins végétalisé. « Au début du XXe siècle, nos crèches sont nées d’une culture sanitaire quasi hospitalière. On y accueille loin des micro-organismes pathogènes des enfants en body, explique Claire Grolleau, toxicologue de l’environnement et créatrice du label Ecolo Crèche. Mais on se rend compte aujourd’hui que l’enfant a besoin d’un contact avec la nature pour son développement émotionnel, cognitif, immunitaire. En fait, on s’est focalisés sur l’hygiène microbienne au détriment de la bonne santé psychique. »

La halte-garderie de plein air, en plein coeur de Paris.

Le plein air, doucement, se fraie un chemin. Les siestes en extérieur, pour un sommeil plus rapide, long et réparateur, se pratiquent toute l’année à Brest (crèche Jean-de-La-Fontaine) comme dans certaines crèches parisiennes : Villa Vauvenargues dans le 18e arrondissement, Sainte-Amélie dans le 20e… Des crèches de semi-plein air (L’Esquirou à Avignon, Wild Child à Magland, en Haute-Savoie) sont apparues : bien que pourvues de bâtiments en dur, elles incitent les enfants à s’en éloigner le plus souvent possible. Pour s’ébattre au jardin ou s’endormir dans un hamac, biner au potager ou se perdre dans la contemplation des poules. Et surtout, découvrir la poésie des jours de pluie.

Un label pour les crèches vertes

Biologiste, toxicologue de l’environnement, Claire Grolleau a lancé en 2009 le label Écolo Crèche (et l’association Label Vie), en collaboration avec l’Ademe et la Fondation Hulot. Ce label distingue les crèches les plus respectueuses de l’environnement, et les plus soucieuses de développer le lien entre enfants et nature.

Un audit est mené, un plan d’action défini. Après réévaluation, le label peut être accordé pour trois ans. Sont scrutés le bâti, les déchets, l’entretien des locaux, l’énergie, l’eau, l’hygiène, l’alimentation ainsi que les activités proposées – les arts plastiques, par exemple, se pratiquent avec des matières naturelles, et surtout, les sorties sont très fréquentes.

Pour l’instant, 570 crèches et haltes-garderies (sur 12 000) sont labellisées. Avec son association, lauréate 2015 de la fondation La France s’engage, Claire Grolleau espère en convertir 3 000 d’ici deux ans. « Nous recevons constamment des demandes. Le besoin vital de connexion avec la nature n’est plus à prouver. Il réduit par ailleurs l’absentéisme des enfants et des personnels. »



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