Quatre responsables de l’établissement Santé publique France exposent, dans une tribune au « Monde », avant le nouveau « Ségur » annoncé par le gouvernement pour l’automne, les pistes à suivre pour améliorer le fonctionnement de cette branche à part entière des politiques sanitaires.
Dans notre pays, les grandes réformes du système de santé sont souvent issues de crises sanitaires majeures. L’épidémie de sida et la crise de la transfusion sanguine ont contribué fortement à l’essor de la sécurité et de la démocratie sanitaires.
De même, un événement comme la « crise de la vache folle » – déclenchée à partir de 1996 par l’épizootie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) – a permis d’importantes avancées en matière de sécurité alimentaire, tandis que la canicule de 2003 a ouvert la voie, lors de chaque nouvelle vague de chaleur, à un « plan national canicule » associant les acteurs de l’Etat et des collectivités dans les territoires.
L’épidémie de Covid-19 n’échappe pas à cette règle. D’ores et déjà, de nombreuses mesures ont été annoncées par un accord conclu le 13 juillet à l’issue du « Ségur de la santé ». Le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, dans son discours de clôture, le 21 juillet, a souhaité la mise en place « d’une santé publique forte pour mieux se préparer et mieux combattre les nouvelles crises qui ne manqueront pas de surgir et qui affecteront la santé des populations ». Une nouvelle grande concertation, dénommée cette fois « Ségur de la santé publique », a été annoncée pour l’automne.
C’est une opportunité unique pour faire progresser harmonieusement les deux piliers de la santé publique que sont la protection contre les risques et l’amélioration de la santé. La pandémie de Covid-19 l’a très bien montré : même si l’ensemble de la population est exposé, l’impact de l’épidémie est bien plus important chez les plus âgés, chez ceux qui ont une moins bonne santé, et ceux qui, socialement, sont les plus vulnérables et démunis.
Standards internationaux
Il est aussi indispensable aujourd’hui que la santé publique ne soit plus en marge de notre système de santé en termes de ressources. La plupart des moyens financiers de notre pays sont orientés vers les soins, encore trop peu vers la santé publique, et en particulier vers la prévention, l’expertise et la recherche en ce domaine.
Des pas majeurs ont été faits ces dernières années avec la création, à partir de 1998, du système d’agences sanitaires [loi 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme] et la structuration de Santé publique France en 2016. Des succès significatifs ont aussi été obtenus récemment en matière de lutte contre le tabagisme, en s’appuyant sur un programme national très structuré et grâce à la création, en 2018, du Fonds de lutte contre les addictions au sein de la Caisse nationale de l’Assurance maladie.
Il reste toutefois beaucoup à faire pour mettre la prévention et la promotion de la santé tout en haut de nos priorités, et s’attaquer de manière proportionnée aux grands déterminants de la morbidité et de la mortalité évitables. Aujourd’hui, sur 100 euros dépensés pour la santé, 6 euros seulement vont à la prévention. Il nous faut atteindre les 10 % pour rattraper les meilleurs standards internationaux.
C’est un objectif réaliste et accessible qui permettrait des progrès significatifs dans des champs insuffisamment couverts, comme la santé environnementale ou l’appui à la petite enfance. Le « Ségur de la santé publique » peut porter à la fois une vision stratégique de cette spécialité et des moyens au regard des enjeux. Six grandes catégories de mesures s’imposent pour renforcer la santé publique en France.
Système cohérent
En tout premier lieu, il faut développer une politique de prévention beaucoup plus déterminée, en systématisant le volet santé de chaque domaine d’action en direction de nos concitoyens : l’éducation, le travail, la politique de la ville, du logement, l’alimentation et l’agriculture, les transports, l’activité physique, les expositions environnementales et la lutte contre la pollution ou encore le changement climatique.
Pour ce faire, le cadre d’un pilotage stratégique doit être posé, doté de ressources dédiées et d’une compétence nationale et régionale exercée avec des professionnels formés et compétents en santé publique.
Il convient également, en matière de prévention, de mobiliser et de responsabiliser chacun individuellement et collectivement, à l’image de ce qui a été fait dans les récentes concertations citoyennes sur le vaccin et sur le changement climatique, en développant les espaces de démocratie sanitaire et de débat autour des enjeux de santé et de société. Le système de santé publique doit être compris, nourri et soutenu par la société qui en est bénéficiaire.
Deuxièmement, il faut renforcer la protection de l’enfance et de l’adolescence, âges clés pour l’avenir de chacun et la réduction des inégalités sociales de santé. Aujourd’hui, les services de protection maternelle et infantile, les réseaux de périnatalité, la santé scolaire ou encore la pédopsychiatrie doivent absolument être étoffés. La prévention en santé des adolescents est encore très balbutiante et ne dispose pas des ressources pour répondre aux besoins croissants. Nous proposons de créer un grand service unifié de l’enfance.
Troisième priorité : il convient de structurer le dispositif national d’épidémiologie. C’est un des enseignements majeurs de l’épidémie de Covid-19 : il nous faut renforcer la cohérence et la compétence régionales pour structurer des outils efficaces d’alerte, de surveillance et d’évaluation. Le système de surveillance nationale s’appuie sur des échelons d’épidémiologie régionale, dont l’indépendance doit être préservée en les distinguant des compétences de gestion.
Avant tout un métier
Leur intégration au niveau national et le pilotage par l’agence référente doivent être renforcés pour maintenir un système cohérent sur l’ensemble du territoire et au meilleur niveau international. Le numérique en santé doit être mobilisé sans délai pour renforcer la performance de nos systèmes de surveillance en matière d’alerte, d’anticipation et de suivi réactif de la dynamique des phénomènes de santé et de leur impact épidémiologique, économique et social sur la santé de la population.
Quatrième axe : il faut structurer les expertises, nationale et régionale, et la recherche en santé publique. Nous sommes loin de connaître et d’identifier les facteurs à l’origine d’une distribution hétérogène des problèmes de santé, les enchaînements de causalité, les interventions efficaces… Ces expertises permettent d’alerter et d’évaluer les programmes de recherche en amont. La recherche doit être anticipée, orientée et fortement coordonnée, afin d’être en mesure de répondre aux besoins de connaissances dans les meilleurs délais, et de soutenir l’émergence de jeunes chercheurs et de nouvelles équipes.
Cinquièmement, il faut former à la santé publique. Celle-ci est avant tout un métier. Elle doit relever d’une formation spécifique, et elle nécessite des compétences et des référentiels. Les universités doivent investir dans la formation des acteurs de la prévention, à travers toutes les les filières de professionnels de santé, et aussi des filières vétérinaire, agronomie et davantage à travers les filières de sciences sociales et humaines : la santé publique a besoin de politistes, de sociologues, d’économistes…
Le système de formation en santé publique doit être attractif et permettre des passerelles entre les différentes structures et disciplines. Les cursus universitaires doivent valoriser la prévention et ses dimensions sociales et économiques (liens entre inégalités sociales et état de santé, retour sur investissement des programmes de prévention…), autant que l’épidémiologie et la biostatistique.
Tissu associatif
Enfin, il faut appuyer l’organisation régionale de santé publique en complément de l’organisation régionale de l’offre de soins, dans le sens d’une réduction des inégalités de santé. L’agence nationale de santé publique doit pouvoir coopérer avec des échelons régionaux actifs et influents, à même de catalyser l’ensemble des contributions des différents acteurs : professionnels de santé, acteurs du champ social, services de santé au travail, associations, services des collectivités territoriales…
Tous ces acteurs doivent pouvoir s’appuyer sur des services de prévention bien identifiés et complétés par un tissu associatif au plus près des populations. Une prévention organisée au sein des territoires doit être en mesure d’agir pour la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé en appliquant plus systématiquement des principes de l’universalisme proportionné : investir plus chez les moins influents socialement et lutter contre la désertification des territoires.
Notre système de santé publique a besoin d’un nouveau souffle pour progresser dans la protection contre les risques, la prévention des maladies, la lutte contre la morbidité, les incapacités et la mortalité prématurée, et pour réduire les inégalités sociales et territoriales de santé. Puissent les quelques pistes esquissées ici servir à la réflexion et à la construction de solutions partagées et pérennes pour le « Ségur de la santé publique ».
Signataires : Marie-Caroline Bonnet-Galzy, présidente du conseil d’administration de Santé publique France ; François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France ; Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France ; Jean-Claude Desenclos, directeur scientifique à Santé publique France.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire