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lundi 31 août 2020

Rentrée scolaire : « La priorité absolue est de réapprendre à nos élèves à vivre en groupe »









Ce ne sont pas d’évaluations « diagnostiques », annoncées par le ministre de l’éducation nationale, que les élèves auront besoin, mais de l’ouverture et de la diversité que représente l’école, affirme dans une tribune au « Monde », Jean-Baptiste Labrune, enseignant en primaire.
Publié le 31 août 2020
Tribune. Parents, professeurs et collectivités locales ont dû patienter jusqu’au dernier moment, mais le cadre général du protocole sanitaire en milieu scolaire est enfin connu. Il reste maintenant quelques jours à la communauté éducative pour organiser l’accueil des élèves dans ces conditions si étranges : port du masque obligatoire pour les adultes, fin des échanges entre les classes pour éviter le brassage des enfants, limitation maximale de l’accueil des parents… Si chacun retrouvera bientôt physiquement l’école – et il faut s’en réjouir –, nous allons devoir repenser profondément nos pratiques de travail en classe. Une fois de plus, les enseignants s’adapteront pour assurer la « continuité pédagogique ».

Déjà au printemps, l’écrasante majorité des professeurs a redoublé de dévouement et d’inventivité pour accompagner au mieux les usagers de l’école. Celles et ceux qui ne s’occupaient pas des enfants de soignants, de policiers, de pompiers ou de caissiers élaboraient à distance des projets numériques motivants et s’efforçaient de maintenir un lien téléphonique avec chaque élève ; tandis que le ministère, entre deux injonctions contradictoires, bricolait des plates-formes bancales bientôt saturées de connexions.

Des plates-formes bancales

Jean-Michel Blanquer [le ministre de l’éducation nationale] le sait très bien : durant le confinement, l’institution scolaire n’a tenu que grâce aux enseignants. Alors pour cette rentrée de septembre, il veut montrer que cette fois « tout est prêt ». Il annonce dans sa circulaire de rentrée un objectif clair, ferme et rassembleur : la priorité absolue est de consolider les apprentissages des élèves en identifiant leurs besoins, et ce au moyen d’« outils de positionnement » en ligne, mis au point par le ministère pour tous les niveaux, du CP à la troisième.
L’ambition est louable, et la formulation à même d’allécher les pédagogues que nous sommes, toujours friands d’un nouveau vocable jargonnant – mais derrière ces « outils de positionnement » ne se cache en fait qu’une simple batterie d’exercices tels qu’on peut en trouver dans n’importe quel manuel.
Voici donc comment Jean-Michel Blanquer a anticipé la rentrée : il n’a pas obtenu de fonds de soutien aux collectivités locales pour la dotation en masques des élèves de collège et de lycée, ni l’installation de distributeur de gel hydroalcoolique ou de lavabos supplémentaires dans les établissements ; non, il a demandé à ses équipes de concocter des évaluations « diagnostiques » nationales – écrites et individuelles, évidemment.
« Voulons-nous offrir à nos élèves une semaine de reprise jalonnée de tests froids qui les mettront d’emblée face à leurs lacunes, leurs échecs ? »
Mettons-nous un instant à la place de nos élèves, de nos enfants. Ils sont restés coincés plusieurs mois dans des appartements exigus, parfois sans livres ni connexion Internet. Comme nous, ils ont été touchés par l’ennui, le désœuvrement, la maladie, le deuil. Ils ont connu, eux aussi, l’affolement général ; ils ont senti vaciller les certitudes des adultes.
Aujourd’hui, enfin, ils peuvent retrouver l’école. Le lieu où ils échappent un peu aux soucis familiaux, où ils se confrontent à d’autres croyances, d’autres convictions, où ils apprennent à s’entendre et se disputer. Où ils ont le droit de se tromper – et le devoir de recommencer. Enfin, ils renouent avec l’espoir quotidien de s’arracher à soi-même pour apprendre. Ils passent les portes de l’édifice, se rangent dans la cour – ce visage, sous le masque, est-il celui de la nouvelle maîtresse ? Puis ils s’installent en classe, un peu inquiets tout de même, comme à chaque rentrée. C’est alors que nous leur posons sous le nez une feuille de contrôle. « A compléter seul et en silence. Répondez à toutes les questions. Vous avez trente minutes. »
Est-ce là le retour à l’école que nous souhaitons ? Voulons-nous offrir à nos élèves une semaine de reprise jalonnée de tests froids qui les mettront d’emblée face à leurs ignorances, leurs lacunes, leurs échecs ? Désirons-nous proposer aux parents des retrouvailles aux allures de concours généralisé – alors même que leur confiance en l’institution est déjà ébranlée ?
L’affection de Jean-Michel Blanquer pour l’évaluation formatée n’est un secret pour personne depuis l’instauration d’une double salve de tests nationaux en CP et l’examen désormais perpétuel du baccalauréat. Depuis sa nomination à l’éducation nationale, le ministre n’a cessé de poursuivre une obsession de vitesse et de performance. Mais nos élèves, nos enfants, ne sont ni des machines ni des cerveaux vierges. On ne peut prétendre jauger leurs acquis à la seule lumière d’une série de contrôles écrits uniformisés.

Notre métier

La capacité à évaluer nos élèves est le cœur de notre métier d’enseignant – et la clé de voûte de notre liberté pédagogique. C’est parce que nous ne nous limitons pas à mesurer une poignée d’items binaires, parce que nous cherchons à comprendre les enfants à travers toutes leurs facettes, que nous pouvons réellement prendre la mesure de leurs besoins pédagogiques et nous y adapter.
Bien sûr, nous détecterons précisément leurs faiblesses : la lettre tracée dans le mauvais sens et les confusions de sons, nous les verrons affleurer à travers l’étude d’un poème qu’ils écouteront, liront, aimeront, interpréteront. A l’occasion d’un jeu sportif, nous devinerons l’embarras à s’orienter dans l’espace ; puis, au moment du décompte des points, l’instabilité du répertoire additif. C’est notre métier. Si l’évaluation est nécessaire au guidage de l’enseignement et à la remédiation des difficultés d’apprentissage, elle ne consiste pas à planter ses élèves devant une feuille.
Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui que la véritable priorité est de réapprendre à nos élèves à vivre en groupe. Car ils auront oublié ce que c’est de passer une journée à vingt-cinq ou trente dans une salle de classe. De devoir partager avec d’autres la parole, une table, un travail, un repas. De s’adresser à un adulte qui n’est pas un proche – qui a d’autres attentes, d’autres exigences. L’urgence, c’est d’être ensemble.
Jean-Baptiste Labrune est professeur des écoles en Réseau d’éducation prioritaire à Paris, et l’auteur de « Et père et maître, retrouver l’école », à paraître le 2 septembre aux éditions Flammarion (224 pages

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