Atteint d’une maladie orpheline incurable, un homme de 57 ans a annoncé qu’il cessera de s’hydrater et de s’alimenter dès vendredi.
Sur le mur d’entrée de son petit appartement situé au rez-de-chaussée d’un HLM du quartier des Grésilles, à Dijon, quelques coupures de presse jaunies témoignent des combats de jeunesse d’Alain Cocq. On peut y voir comment, dans les années 1990 et 2000, sur son fauteuil roulant, accompagné de ses deux chiens, cet homme victime d’une maladie orpheline incurable a traversé la France – puis une partie de l’Europe – pour sensibiliser à la cause des personnes handicapées.
Lors de l’hiver 2018, il a participé, alité sur son brancard, à des rassemblements de « gilets jaunes » à Dijon, contribuant à faire de lui l’une des « mascottes » des ronds-points de la région. A 57 ans, ce militant dans l’âme, membre du Parti socialiste et de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, dont il a aujourd’hui le soutien, a entamé son « dernier combat » politique et médiatique.
Alité et nourri par sonde ou par des compléments alimentaires depuis deux ans, perclus de douleurs face à l’évolution d’une maladie qui endommage les parois de ses vaisseaux sanguins et de ses artères, Alain Cocq a décidé de mettre fin à une existence qu’il ne juge plus « digne ». Il a annoncé publiquement qu’à compter du vendredi 4 septembre en fin d’après-midi, faute d’avoir eu le droit de bénéficier d’une dose de barbituriques entraînant la mort, il cesserait de s’alimenter et de s’hydrater, poursuivant seulement la prise de morphine.
« Droit à une mort digne »
En ce vendredi 28 août, à une semaine de l’échéance, allongé au travers de son lit médicalisé, une cigarette roulée à la main, un cendrier sur son torse nu, il explique, inarrêtable, de sa voix rauque, ce qui l’a conduit à un tel choix. « Cette décision s’est imposée à moi comme quelque chose d’absolu, dit-il. Ma situation se dégrade de plus en plus. Je perds l’audition, je suis en train de perdre la vue, je ne vois plus que des formes, et depuis quelques semaines, j’ai une décharge électrique qui part du cerveau toutes les trois à quatre secondes et qui irrigue tout le réseau nerveux jusqu’au bout des doigts et des orteils. C’est comme si on portait mon cerveau à ébullition. »
Comme Vincent Humbert, un jeune homme tétraplégique, aveugle et muet après un grave accident de la route l’avait fait en 2002, et comme Chantal Sébire, une femme de 52 ans atteinte d’une tumeur incurable au visage l’avait fait en 2008, Alain Cocq a écrit au président de la République. Dans sa lettre datée du 20 juillet, il demande à Emmanuel Macron « à titre compassionnel » le « droit à une mort digne, avec l’assistance active du corps médical ». « Je ne demande ni une euthanasie ni le suicide assisté, mon but est d’avoir le soin ultime, c’est-à-dire un cachet qui m’apporte le soulagement total à la douleur qui me torture depuis trente-quatre ans », explique-t-il.
Tous les médecins consultés lui ont répété : n’étant pas en phase terminale d’une maladie incurable, c’est-à-dire ne vivant pas ses dernières heures ou ses derniers jours, il ne peut pas bénéficier de la loi Claeys-Leonetti, qui permet une sédation profonde et continue jusqu’au décès. « Je ne suis pas au crépuscule de ma vie, reconnaît-il. Mais je ne veux pas me traîner six semaines, un mois, deux ans, avec mon corps qui continue de se dégrader. Je veux être conscient jusqu’à la dernière minute de ma vie. » Dans les faits, après l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, et « à partir d’une certaine dégradation » de son état, des médecins pourraient considérer qu’Alain Cocq pourrait être éligible à une sédation profonde et continue jusqu’au décès.
L’entretien téléphonique mardi 25 août avec Anne-Marie Armanteras, la conseillère santé d’Emmanuel Macron à l’Elysée, ainsi qu’avec le professeur Vincent Morel, chef du service de soins palliatifs du CHU de Rennes, a duré presque deux heures. « Ils ont écouté, ils ont compris ma situation et ma demande », estime Alain Cocq. « Cette réunion n’était pas là pour me donner une réponse, c’est le président seul qui va prendre sa décision », précise-t-il, sans se faire beaucoup d’illusion sur la nature de la réponse présidentielle, promise d’ici à la fin de semaine.
Retransmission en direct
« Je ne crois pas qu’ils lui donneront le cachet, ce serait ouvrir la boîte de Pandore », estime Cyril Mauchaussé, 32 ans, l’un des auxiliaires de vie d’Alain Cocq depuis 2011. « Ça va être terrible, j’espère qu’il ne souffrira pas trop, il ne le mérite pas », souffle-t-il, en montrant l’ambulance garée à quelques mètres du domicile et qui servait à véhiculer son patient il y a quelques mois encore. Posée à l’intérieur du camion, une parka jaune sur lequel a été inscrit au gros feutre : « Survivre non, vivre oui. »
Pour donner encore plus de retentissement à sa décision, Alain Cocq a décidé que toute sa phase d’agonie – hormis une partie de la nuit – serait diffusée en direct, le son coupé, sur son compte Facebook. « Cette vidéo sera un témoignage », dit-il depuis son lit, autour duquel sont disposés un ordinateur, un téléphone et une tablette qui lui permettent d’être en permanence relié aux quelque 5 000 membres de sa « communauté ». « Dès que je fais quelque chose, ils sont immédiatement alertés », dit-il.
S’il a choisi une retransmission en direct, « c’est pour que les gens se rendent compte des conditions de décès d’une majorité de citoyens en France, ce n’est pas normal que si peu de gens bénéficient des soins palliatifs ». « Il va partir dans des souffrances horribles. Alain est conscient que ça va être des images difficiles, il ne va pas tout montrer », assure Sophie Medjeberg, la vice-présidente de l’association Handi mais pas que, une association de défense des droits handicapés, dont Alain Cocq est membre. « Ça va être très très dur », prédit-elle, en espérant une révision prochaine de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie.
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