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Le 28 août à Rochefort (Charente-Maritime). Préparation de «l’école du dehors» dans une peupleraie où les maternelles de Nadia Lienhard passeront leurs matinées. Photo Théophile Trossat
A la faveur de la crise sanitaire, l’idée de l’enseignement en plein air gagne du terrain parmi les profs français, séduits par une méthode plébiscitée dans les pays nordiques pour ses effets sur le bien-être et les facultés d’apprentissage des enfants.
Et si en cette ambiance plombante de rentrée scolaire sous le signe du Covid, où l’on parle en boucle de masques, galère de cantine et salles de classe exiguës, on trouvait une raison de se réjouir ? Façon bouffée d’air, qui donne la pêche. L’idée : après tout, cette crise sanitaire est peut-être l’occasion de penser l’école autrement. D’expérimenter la classe en plein air par exemple, hors des murs de l’école. Dans la cour de récré. Ou mieux : le parc municipal du bout de la rue, le long d’un chemin de campagne peu fréquenté, dans un champ de pommiers, voire un terrain vague entre deux immeubles. «Qu’importe. L’idée, c’est de sortir. D’appréhender un espace d’apprentissage différent. A ciel ouvert. Cela change tout, on enseigne autrement.» Crystèle Ferjou est une archiconvaincue.
Bien avant ce fichu virus, elle militait déjà pour la pédagogie par la nature. Comme enseignante dans sa pratique quotidienne d’abord, puis en tant que conseillère pédagogique dans l’académie de Poitiers. Depuis plusieurs années, elle accompagne des profs qui ont envie de se lancer. «Il y en a de plus en plus. Cet été, ça n’a pas arrêté, j’ai reçu plein de courriels d’enseignants dans le public. De partout. Puy-de-Dôme, Limoges… Quelque chose est en train de se passer. Je crois que cette épidémie est une sorte de déclencheur.» Alors, pendant le confinement, elle a accéléré son projet de livre (1), qui fournit des conseils pratiques à destination des collègues. «C’est le moment de se lancer. Une, deux fois par semaine. Ou chaque jour. Vivre enfermés a permis une prise de conscience générale du besoin que l’on a, enfants et adultes, d’être dehors pour se sentir bien.» Son optimisme est contagieux. «Depuis le déconfinement, notre institution valide et soutient la démarche ! Il y a une petite ligne dans le protocole sanitaire qui invite à tenter la classe à ciel ouvert. Rien que ça, c’est énorme, c’est un frein en moins pour les enseignants.»
«Rapport à la météo»
Sarah Wauquiez, suisse, autrice de l’Ecole à ciel ouvert (éditions Salamandres), jubile. Elle aussi est convaincue que quelque chose est en train de se jouer, un effet positif inattendu de ce coronavirus. «C’est souvent face à des difficultés que les changements s’opèrent. La classe dehors est d’ailleurs née comme ça au Danemark.» C’était dans les années 50, raconte-t-elle, au moment du baby-boom. Les Danois se sont retrouvés face à un os : leurs crèches débordaient, la place manquait. Dans l’urgence, ils ont accueilli les enfants à moitié à l’extérieur, de façon provisoire au départ. «Et puis ils ont vite mesuré les bienfaits pour le développement des tout-petits. La pratique s’est institutionnalisée et s’est répandue dans les crèches, les écoles…» Selon le chercheur Erik Mygind, 20 % des écoles primaires publiques danoises pratiquent la classe en extérieur («forest school»). Leurs voisins nordiques ont embrayé, les Québécois aussi. Quant aux Ecossais, faire classe dehors est carrément recommandé dans les programmes scolaires officiels. En Belgique et en Suisse, aussi, un mouvement semblable s’est enclenché ces dix dernières années, même s’il est très difficile de chiffrer l’ampleur de la pratique.
Quid des jours de pluie ? Au téléphone, on entend Sarah Wauquiez se gondoler. Question typique des Français apparemment, et des pays latins de façon générale. «Le rapport à la météo n’est pas du tout le même dans les pays nordiques. Là-bas, les gens n’ont pas peur de l’air frais ou humide, au contraire, ils n’y voient que des bienfaits pour consolider leur immunité.» Philippe de Saint-Louvent, qui forme des profs belges à l’école du dehors (lui aussi est dépassé par l’afflux de demandes), a l’habitude de dégainer ce proverbe islandais : «Il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements.» Tout juste concède-t-il que «les jours de grand froid, les moins de 4 ans ont "un peu de mal" dans les apprentissages. Mais pour les autres, ça passe très bien».
Marie-Laure Jadot et Anne Dubray sont un peu les superstars belges de la classe en plein air, dans la province du Hainaut. L’une et l’autre enseignent sur un terril, une montagne noire de charbon. Tous les matins sans exception, sauf les jours de tempête à cause du danger. «Le reste, la pluie, le froid, ce n’est pas un souci. On tend des bâches comme abris de fortune, et on a toujours un stock de gants de rechange.» Il y a aussi ce «canapé forestier», comme elles l’appellent, qui sert de refuge. Une sorte de nid d’oiseau géant, avec des sarments de bois entrelacés. «On l’a construit avec les parents. C’est beaucoup plus facile de les associer dehors.» Elles insistent aussi sur la façon d’enseigner, complètement transformée. «Les apprentissages sont vécus par le corps, c’est bien plus facile car tous les sens sont en éveil.» Ecrire dans la boue, très efficace pour muscler les mains et préparer à l’écriture. Dessiner un carré avec un des morceaux de bois pour apprendre les formes. Consacrer du temps à un élève en aparté, aussi : «Dans une salle de classe, les autres s’ennuient et chahutent vite. Dehors, ils sont tous affairés, donc bien plus calmes. C’est beaucoup plus facile.» Elles affirment qu’elles n’ont jamais besoin d’élever la voix. L’après-midi, elles rentrent dans les murs de l’école pour, disent-elles, «les habituer à l’après» : qu’ils aient des repères pour l’entrée en élémentaire.
«Construire un abri»
En Belgique et en Suisse, pays qui ont une longueur d’avance sur la France, les classes à ciel ouvert décollent à peine en élémentaire, et sont exceptionnelles dans les collèges et lycées. «Pour les petits, le besoin de sortir est vital, c’est plus facile. Pour les ados, il faut les motiver… Et lever des barrières d’organisation : leurs heures de cours sont cloisonnées, ce qui implique une entente entre profs. Ça complique mais ça vaut le coup.» Sabine Muster, coordinatrice romande à la fondation Silviva, planche depuis quelque temps sur un guide pratique à destination des professeurs suisses, mais aussi belges et français : «Faire classe en plein air diminue le stress, et peut donc aider à lutter contre les addictions. Et puis, c’est plus facile de donner du sens aux apprentissages. Demander de construire un abri, par exemple, leur fait faire des maths.»
Lundi, jour de prérentrée, l’enseignante française Crystèle Ferjou était invitée au lycée pilote innovant international de Poitiers pour parler de son livre. Et ouvrir de nouvelles portes, peut-être.
(1) Emmenez les enfants dehors ! avec la journaliste Moïna Fauchier-Delavigne, publié en août aux éditions Robert Laffont
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