Dans les couloirs de Sainte-Anne, en septembre 2019
Photo Yann Castanier.Hans Lucas pour LIbération
Face à une diminution dramatique du nombre de psychiatres et des financements insuffisants, le secteur doit bénéficier d'une réorganisation structurelle et budgétaire en s’appuyant sur le volontarisme et la solidarité déployés pendant la crise du Covid-19.
Tribune. La psychiatrie, sous-financée depuis des décennies, est en souffrance comme cela a été maintes fois dénoncé sans que jamais le problème ne soit pris réellement en compte. Beaucoup de structures psychiatriques de l’adulte mais aussi, et encore plus, de l’enfant et de l’adolescent sont en difficulté depuis de nombreuses années.
Il existe une grande hétérogénéité d’accès aux soins appropriés selon les territoires et les populations et la lisibilité des parcours est jugée médiocre par la plupart des usagers. Souvent engluée dans une définition imprécise de la santé mentale et souvent reléguée à la périphérie des parcours de soins, la psychiatrie s’articule mal avec les autres intervenants : l’accès des patients psychiatriques aux soins somatiques est très insuffisant, avec des conséquences graves pour leur santé globale, et les liens avec le secteur médico-social manquent de fluidité et de coordination. Cause ou conséquence, les perspectives de démographie médicale sont particulièrement inquiétantes, avec une diminution dramatique du nombre de psychiatres dans les années à venir. Enfin, les financements de la recherche sont très insuffisants, limitant l’innovation alors qu’il existe de nombreuses équipes de haut niveau sur beaucoup de sites en France.
La santé des patients comme seule priorité
La crise sanitaire a pourtant été l’occasion de mettre en lumière la formidable efficacité de notre système de soin, en particulier l’hôpital public, et les personnels des services de psychiatrie ont été à la hauteur des enjeux exceptionnels de cette période. Malgré un manque de moyens matériels parfois critique, les équipes ont su modifier en urgence les parcours et les lieux de soins pour protéger les patients du coronavirus, au point que l’épidémie n’a pas eu à ce jour les conséquences désastreuses que l’on pouvait craindre au sein de communautés où il est difficile de faire appliquer les gestes barrières et où les patients sont porteurs de nombreux facteurs de risque.
Les psychiatres, amoureux du lien, ont su se réinventer pour garder le contact et soutenir leurs patients et la population générale, le plus souvent à distance. Dans ces conditions, exceptionnelles, l’hôpital dans son ensemble a fonctionné comme jamais depuis des années, ayant la santé des patients comme seule priorité et levant les freins budgétaires et administratifs habituels. Sur de nombreux sites, des projets innovants ont vu le jour.
Grâce à un contexte administratif favorable (les directions étaient au service du soin et non l’inverse), le service public psychiatrique a montré que les années de plomb de la rigueur budgétaire et les usines à gaz de la loi HPST n’avaient pas altéré ce qui en fait sa force, son personnel soignant. Bien au contraire ces professionnels ont montré que c’était leur attachement au bien commun et au service public qui était leur motivation principale.
Faut-il se résoudre à ce que cela ne soit qu’un soubresaut que nous nous contenterons de fêter en remerciant les équipes pour ensuite reprendre tout comme avant ? Ou bien peut-on y voir un élément crucial à apporter au débat, un bien précieux révélé au grand jour qu’il convient de faire fructifier pour le bénéfice de tous ?
Face à la nouvelle «vague»
La psychiatrie publique fait déjà face à une nouvelle «vague» de besoins qui va aller croissante dans les prochains mois avec notamment les patients dont le suivi a été réduit pendant l’épidémie et dont l’état s’est dégradé, de nombreuses personnes qui ont souffert du confinement et du stress prolongé lié à l’épidémie, et surtout toutes celles qui vont souffrir des répercussions économiques et sociales de la crise inévitable dans tout le pays. Les dispositifs de soins, déjà saturés avant la crise, avec des listes d’attente dans de nombreuses structures, ne pourront faire face à cet afflux de besoins sans un véritable plan d’urgence, massif et profond.
Au-delà de la feuille de route pour la psychiatrie et la santé mentale dont il faut poursuivre la mise en œuvre, des mesures plus volontaristes, financières et structurelles, sont indispensables. Au plan budgétaire tout d’abord, un rattrapage des nombreuses années de sous-dotation est un impératif absolu, à hauteur d’au moins 5 % des financements annuels, afin de couvrir à la fois les besoins des structures existantes et ceux des nouveaux dispositifs à créer. La réforme des modalités de répartition enclenchée récemment apporte certes des innovations intéressantes, mais s’avère d’une très grande complexité et sans intérêt majeur si l’enveloppe totale à répartir n’évolue pas de manière plus significative.
Par ailleurs, des réformes organisationnelles doivent être mises en œuvre sans tarder pour éviter la fermeture de structure de soins menacées et asseoir des changements efficaces et durables de l’offre de soins, sur la base des ressources indispensables partout et qui ont été déjà largement listées par les innombrables rapports produits sur le sujet. Ces réformes doivent être pilotées à l’échelon de chaque territoire (environ 50 sur tout le pays, pouvant reprendre la cartographie des Projets territoriaux de santé mentale) avec une structuration opérationnelle forte et claire, sous la responsabilité d’un trio médecin-administratif-élu disposant de moyens et rendant compte pendant trois ans des actions menées. Cette cellule assurera la coordination de tous les acteurs en s’appuyant notamment sur des Conseils locaux de santé mentale généralisés et structurés, et sur les communautés psychiatriques de territoire quand elles existent, permettant l’implication et la complémentarité des missions des professionnels, usagers, associations et élus.
Sur le plan national, d’autres réformes de fond portées depuis des années par les acteurs doivent être enfin mises en œuvre: l’intégration des psychologues dans les professions de santé et le remboursement de leurs consultations, la reconnaissance des actes spécifiques des infirmiers libéraux, ou encore la définition de consultations majorées pour les médecins généralistes prenant en charge les troubles psychiques. Par ailleurs, un soutien fort à la recherche en psychiatrie et sa coordination par un institut national est le seul moyen d’améliorer durablement les conditions de l’innovation et du progrès dans un domaine qui touche, d’une manière ou d’une autre, plus d’un Français sur cinq au cours de sa vie.
Enfin, nous soutenons aussi pleinement les revendications portées par l’ensemble des personnels hospitaliers et leurs coordinations, en particulier sur la revalorisation des salaires et la refonte des gouvernances hospitalières, conditions de la survie de l’hôpital publique.
Tout cela est possible, à condition d’agir immédiatement et massivement, en s’appuyant sur le volontarisme et la solidarité déployés pendant la crise. Ce rendez-vous historique ne peut pas être manqué, il serait dramatique que la psychiatrie revienne à son état antérieur.
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