« Il est urgent de maîtriser nos peurs et d'aller de l’avant pour le bien des enfants. » Dans une tribune cosignée* par les responsables de sociétés de spécialités pédiatriques, le Pr Christophe Delacourt, président de la Société française de pédiatrie, regrette certaines mesures de protection excessives liées à « des craintes souvent non basées sur des faits » et plaide pour « une réouverture pragmatique » des écoles primaires et maternelles.
Crédit photo : Phanie
CONTRIBUTION - Dès le 26 avril, la Société française de pédiatrie et les différentes Sociétés de spécialités pédiatriques prenaient fermement position pour un retour des enfants dans leur établissement scolaire, y compris pour ceux ayant une maladie chronique.
Deux semaines plus tard, alors que le déconfinement progressif est lancé, il faut faire le constat des nombreuses difficultés à une réouverture pragmatique des classes, qui prenne en compte à la fois la nécessité de maintenir les mesures barrières essentielles, et la réalité de l’enfance, faite de spontanéité, de jeux, de rires et de pleurs. Ces blocages sont alimentés par des craintes souvent non basées sur des faits, et aboutissent à des organisations non réalistes, et potentiellement fortement anxiogènes pour les enfants.
Les enfants ne sont pas le vecteur principal de l'épidémie
Les enfants payent aujourd’hui un lourd tribut à l’hypothèse initiale selon laquelle ils étaient le vecteur principal de la circulation du virus Covid-19, par analogie à d’autres virus. Nous savons aujourd’hui que ce n’est pas le cas, et que la quasi-totalité des enfants qui ont été infectés par le Covid-19 l’ont été au contact d’adultes. Retrouver ses camarades de jeux ne doit pas être considéré comme les exposant à des risques particuliers. Il est urgent de rappeler que des collectivités d’enfants, crèches ou classes, ont continué à exister pendant le confinement, notamment pour les enfants des personnels soignants. Aucune épidémie n’a été relevée dans ces groupes d’enfants, alors que la circulation virale était forte parmi les adultes.
Des symptômes sévères exceptionnels
Ouvrir les écoles est possible, car nous savons aujourd’hui qu’un enfant infecté par le Covid-19 développe très rarement des symptômes sévères. En France, les cas pédiatriques (0-14 ans) représentent 1 % de l’ensemble des cas symptomatiques hospitalisés. À la date du 5 mai (données SI-VIC, Santé publique France), moins de 100 enfants étaient hospitalisés pour une infection Covid-19 avec PCR positive, dont 30 en réanimation. Deux décès ont été rapportés chez des enfants de moins de 15 ans, infectés par Covid-19. Actuellement, des cas avec des complications inflammatoires tardives sont décrits, et en cours de recensement, mais concernent un nombre limité d’enfants. Ces cas graves, tous douloureux pour les familles concernées, doivent être mis en perspective des complications sévères et des décès associés aux autres agents infectieux, virus ou bactéries, chez l’enfant. En 2016, 40 enfants de 1 à 14 ans sont ainsi décédés d’une maladie infectieuse (INSEE).
Ouvrir les écoles est possible si les adultes accompagnent cette rentrée de manière positive. L’exemplarité doit être sans faute, à commencer par les mesures d’hygiène et les gestes barrières. Ce sont les adultes qui doivent protéger les enfants d’une possible contamination, tout en préservant des interactions de qualité entre adultes et enfants ainsi qu’entre les enfants eux-mêmes.
Le retour en collectivité doit être organisé en mettant en avant gestes barrières et précautions d’usage, qui seront aussi très utiles à utiliser au quotidien pour prévenir la transmission des virus hivernaux comme ceux de la grippe, de la bronchiolite ou de la gastro-entérite. Ces mesures barrières reposent pour les enfants essentiellement sur le lavage des mains à l’eau et au savon. Le port d’un masque dans les crèches, les écoles maternelles et primaires pour les enfants n’est ni nécessaire, ni souhaitable, ni raisonnable.
Les mesures de distanciation excessive sont préjudiciables
Les mesures de distanciation excessive (comme la suppression des espaces de jeux, l’interdiction aux enfants de jouer entre eux, ou le refus de consoler un enfant) sont inutiles voire préjudiciables. Dans la pratique, elles sont manifestement inapplicables et seraient susceptibles d'entraîner une anxiété particulièrement néfaste au développement des enfants et générateurs de troubles du comportement potentiellement majeurs. Ces mesures excessives font également perdre sens et engagement au métier exercé auprès des enfants par les assistantes maternelles, les professionnels des crèches et des écoles.
Ouvrir les écoles et les collectivités est aussi indispensable pour stopper tous les effets délétères du confinement sur certains enfants : décrochages scolaires, victimes de maltraitance, absence de protection vaccinale, rupture de suivi pour une maladie chronique. Le véritable risque pour l’enfant dans cette épidémie Covid-19 est sûrement de le priver d’un environnement socio-éducatif bénéfique à son développement, et d’un suivi médical de prévention indispensable à sa bonne santé. L’enjeu du retour en collectivité est d’abord d’apprendre à vivre ensemble sans peur excessive de l’autre, de s’ouvrir au monde par le jeu et les apprentissages, au contact d’autres enfants et d’adultes professionnels bienveillants et responsables.
Le retour des enfants à une vie collective est organisé de manière progressive. Une bonne collaboration entre tous les acteurs est indispensable pour son succès. Sachons montrer aux enfants que nous savons les protéger tout en leur permettant de rester des enfants !
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
* Co-signataires :
Pr Stéphane Auvin, président de la Société française de neurologie pédiatrique,
Dr Martine Balençon, présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale,
Pr Pascal Barat, président de la Société française d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique,
Pr Brigitte Chabrol, présidente du Conseil national professionnel de pédiatrie,
Pr Robert Cohen, président du Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique,
Pr Albert Faye, président du Groupe de pédiatrie tropicale,
Pr Virginie Gandemer, présidente de la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent,
Pr Michael Hofer, président de la Société francophone pour la rhumatologie et les maladies inflammatoires en pédiatrie,
Pr Etienne Javouhey, président du Groupe francophone de réanimation et d’urgences pédiatriques,
Dr Fabienne Kochert, présidente de l’Association française de pédiatrie ambulatoire,
Pr François Labarthe, Président de la Société française des erreurs innées du métabolisme,
Pr Elise Launay, présidente du Groupe de pédiatrie générale,
Pr Emmanuel Mas, président du Groupe francophone de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique,
Pr Despina Moshous, présidente de la Société d’hématologie et immunologie pédiatrique,
Dr Sébastien Rouget, président de la Société française pour la santé de l’adolescent,
Pr Jean-Christophe Rozé, président de la Société française de néonatologie,
Pr Cyril Schweitzer, président de la Société pédiatrique de pneumologie et allergologie,
Pr Jean-Benoit Thambo, président de la Filiale de cardiologie pédiatrique et congénitale,
Pr Michel Tsimaratos, président de la Société de néphrologie pédiatrique,,
Dr Nathalie Vabres, pédiatre, co-rédactrice de la tribune
Pr Christophe Delacourt, président de la Société française de pédiatrie, Pr Christèle Gras-Le Guen, secrétaire général de la Société française de pédiatrie, Pr Emmanuel Gonzales, président du Conseil scientifique de la Société française de pédiatrie
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