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A la station Nation, à Paris, lundi. Photo Boby
L’Inserm lance, avec l’Insee et le ministère de la Santé, une grande enquête sur les effets sanitaires et sociaux de l’épidémie. La sociologue Nathalie Bajos en détaille les contours.
Articuler les données de santé et les conditions sociales : depuis le début de l’épidémie de Covid-19 en France, aucune étude n’avait été lancée pour évaluer conjointement les deux aspects de l’épidémie, et encore moins à l’échelle de toute la population. Codirigée par la sociologue Nathalie Bajos, directrice de recherche à l’Inserm, et Josiane Warszawski, médecin épidémiologiste à l’Inserm, l’enquête Epicov, conduite en collaboration avec la Drees et l’Insee, est un travail qui ne fait que commencer. Nathalie Bajos explique la démarche.
De quoi s’agit-il ?
L’objectif est double. D’une part, mesurer très finement, à l’échelle du département, la proportion des personnes qui ont été en contact avec le virus. D’autre part, comprendre l’effet du confinement et des restrictions de circulation sur les conditions de vie. Dans quel type de logement a-t-on été confiné ? Est-on passé en télétravail ? L’enquête met l’accent sur les populations qui occupent un travail dit «essentiel», assez exposées parce qu’elles doivent continuer à sortir pendant le confinement, utiliser les transports en commun ou être en contact avec le public. On parle souvent, et à juste titre, du personnel soignant. Dans cette enquête, la perspective s’élargit aux personnels des services de nettoyage, aux livreurs, aux policiers, aux employés des supermarchés, aux enseignants qui ont continué à assurer la scolarisation des enfants.
A quel moment a-t-elle été lancée ?
La décision a été prise le 15 mars mais le temps de préparer toute la logistique, nous avons démarré effectivement le 2 mai. Une cohorte de 200 000 personnes de plus de 15 ans a été tirée au sort par l’Insee selon la règle statistique des échantillons représentatifs. L’enquête sera répétée en plusieurs volets pour suivre aussi bien l’évolution du virus que celle des conditions de vie.
Comment sait-on si les personnes ont été malades ou testées ? A partir de ce qu’elles déclarent ou par recoupement avec d’autres données ?
On s’appuie sur les déclarations. Les symptômes liés au Covid, la toux, la fièvre, les troubles respiratoires, la perte d’odorat ou de goût, la fatigue… Mais aussi les autres problèmes de santé, en particulier les pathologies chroniques car l’une de nos interrogations porte sur l’accès aux soins. Dans cette période où les services de santé sont complètement débordés, comment s’est passée la prise en charge des autres problèmes de santé ? Enfin, à l’issue du questionnaire, nous proposons à toutes les personnes qui participent à cet effort de recherche de faire chez elles un test très simple consistant à piquer le bout du doigt pour poser quelques gouttes de sang en cinq endroits sur un buvard. Tout ça est renvoyé par la poste. Ce n’est pas un test virologique, c’est un test sérologique : on saura si les personnes ont été à un moment ou à un autre en contact avec le virus, qu’elles aient des symptômes ou pas, et qu’elles soient encore porteuses du virus ou pas.
Tous les enquêtés acceptent-ils le test ?
A ce stade, on ne peut donner aucun chiffre mais les retours montrent une très bonne acceptation. Au-delà de leur situation personnelle, on peut penser que les gens ont envie de participer à une enquête scientifique.
Combien de réponses avez-vous déjà eues ?
Pour l’instant, plusieurs milliers. Répondre prend vingt à trente minutes pour le questionnaire et cinq pour le test. Toutefois, l’enjeu est surtout que tous les milieux sociaux puissent répondre. L’échantillon est parfaitement représentatif de la population et nous observons particulièrement les personnes qui vivent dans des conditions de précarité économique.
C’est possible de les toucher avec une enquête qui passe par Internet ?
Nous proposons aux personnes qui n’ont pas d’accès au numérique de remplir un questionnaire par téléphone.
Quel est le calendrier ?
Une première vague est prévue jusqu’à la fin du mois de mai et nous en lancerons une deuxième dans quelques semaines à partir des résultats de la première. L’idée, c’est de la répéter plusieurs fois. Nous avons prévu quatre vagues d’enquête pour suivre vraiment l’évolution de la situation en France. Il ne s’agit pas de documenter juste ce qu’il se passe en ce moment. Nous sommes dans une situation totalement inédite, par la contagiosité du virus extrêmement élevée et par les mesures de prévention qui, on le voit bien, sont vécues différemment selon qu’on travaille ou pas, qu’on est confiné seul dans un grand appartement avec jardin ou à plusieurs dans un petit logement. Ceux que l’enquête n’inclut pas, ce sont les personnes qui vivent en Ehpad, les détenus ou les sans domicile fixe. Mais même si aucun travail de ce type n’est représentatif de l’ensemble de la population, celui-là fait partie des grandes enquêtes nationales. Notre objectif est de toucher tous les milieux sociaux et de descendre à l’échelle des départements. Quand on voit l’hétérogénéité des situations sur le territoire, c’est extrêmement important de pouvoir arriver à ce niveau de finesse. Une enquête comme celle-là peut aussi éclairer la décision des politiques.
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