La psychologue Catherine Belzung a répondu à vos questions angoissées dans le direct consacré à nos vies déconfinées.
En IdF : A l’approche du déconfinement, je suis tombée au fond du fond. J’ai pleuré tout le week-end. Je crois que j’avais peur : dans deux semaines, on se reconfinera. Pour beaucoup d’entre nous, c’est toujours télétravail, école à la maison et pas de sortie. Parce que l’idée de revoir quelques amis mais sans pouvoir leur faire un câlin, de voir tout le monde masqué dans la rue, c’est trop déprimant.
Catherine Belzung : Il est vrai que nous ne sommes plus les mêmes après ce confinement et que, parfois, nos nerfs sont à fleur de peau, ce qui nous pousse à avoir des réactions émotionnelles très marquées. Le confinement nous a stressés et on sait que le stress, quand il est subi sur la durée, induit des modifications cérébrales : certaines zones sont hyperactives, comme celles qui sont associées à l’anxiété et à la peur, alors que d’autres sont hypoactivées. Il ne faut donc surtout pas se regarder soi-même en se jugeant. Les réactions devant cette situation nouvelle sont diverses, elles dépendent de chacun. Il faut donc y goûter, avec mesure.
A la maison quand même ! : Je suis dans l’attente du reconfinement. Est-ce qu’une peur inconsciente ou pas d’une menace du type pandémie peut être assimilée à celle ressentie en temps de guerre ? Quels sont les impacts psychologiques à court, moyen et long termes ?
Catherine Belzung : Oui, les deux mois de confinement ont modifié notre cerveau et ont créé une forme d’apprentissage : nous avons appris que le dehors est « dangereux » et, à présent, il nous faut réapprendre qu’on peut se réapproprier l’espace public, mais de façon modérée. Certaines zones de notre cerveau comme l’amygdale sont suractivées. Certains de nos systèmes biologiques comme le système cardiovasculaire ou le système immunitaire sont modifiés : les risques cardiovasculaires sont augmentés par le stress, le système immunitaire voit son activité réduite par le stress.
Sans doute que la même chose se passe dans d’autres situations semblables, comme la guerre, par exemple. L’important est de vivre l’instant présent : et maintenant, l’instant présent est celui de sorties limitées. On peut sortir, si cela est fait de façon mesurée, sans témérité et sans désinvolture. Il faut se réapproprier le fait de sortir.
j’ai peur est-ce normal ? : J’ai développé une sorte de phobie à l’idée de sortir. Depuis le 16 mars, je ne suis sortie qu’une seule fois et j’ai eu extrêmement peur. Est-ce normal d’avoir peur de sortir à ce point alors qu’avant tout allait bien chez moi ?
Catherine Belzung : Les réactions devant cette situation de la crise sanitaire sont variables selon les gens, car nous sommes tous différents. Chez certains, le curseur est du côté de l’angoisse, qui est excessive jusqu’à la paralysie, pour d’autres le curseur se trouve du côté de la désinvolture, d’autres encore sont dans l’intermédiaire.
Je pense que ce qui peut aider, dans tous les cas, c’est de se décentrer de soi, de ses ruminations, de ses peurs, de ses angoisses, voire, pour ceux qui sont du côté de la témérité, de se décentrer de son envie de sortir, de voir du monde. Décentrement, donc, mais pour se recentrer sur autrui : que pourrais-je faire pour les autres ? Si j’ai peur de sortir, il faut faire des sorties progressivement de plus en plus longues, mais avec un but : je fais cet effort pour aider untel. Pareil pour les téméraires : je me prive de mon envie de sortir pour protéger telle personne que j’apprécie.
Miss Solo : Que recommandez-vous pour les confinés/un peu déconfinés en solo afin de ne pas s’habituer à la solitude non-stop et d’entretenir la partie sociale du cerveau ?
Catherine Belzung : Tout d’abord, il est important de distinguer solitude et isolement. La solitude peut être appréciée, elle permet de se retrouver devant soi-même, de développer son intériorité. Souvent, les liens sociaux sont maintenus, par exemple au travers de coups de fil, de visios. Il faut absolument entretenir cela, prendre des nouvelles des gens autour de soi, écouter ceux qui sont dans le désarroi, faire des choses pour les autres.
La partie sociale du cerveau y trouve ainsi son compte malgré tout, même si des liens distants, ce n’est jamais la même chose que des vrais liens où on rencontre les autres dans le monde réel. Cette solitude est différente de l’isolement, qui est plus quelque chose de subi.
Je recommande en effet de se réexposer aux contacts sociaux petit à petit : nous avons appris à nous retirer chez nous, il faut maintenant apprendre à aller vers les autres, tout en restant prudents et en respectant la distanciation physique, bien sûr. Il faut faire cela de façon progressive, petit à petit, penser à ce qu’on peut faire pour les autres, tout en restant prudents.
Léa : Au bout de huit semaines de confinement, la plupart des gens autour de moi ont envie de revenir à la normale, mais, en conséquence, tout reprend en même temps. Et il faudrait être prête, active, pleine d’énergie. Or, moi, je me sens juste faible, triste et apeurée.
Catherine Belzung : Il ne faut surtout pas vous juger vous-même et vous mettre des injonctions insurmontables. La tristesse, la peur font partie de notre existence, et c’est tout à fait normal de les ressentir. La culture d’aujourd’hui nous donne parfois l’impression que nous « devons » être actifs et pleins d’énergie et, pour nous conformer à cette injonction d’être au « top », nous pouvons avoir honte de ne pas y arriver !
Notre vie est faite de hauts et de bas, c’est tout à fait normal de ne pas être dans une forme d’immobilisme émotionnel. Cela prouve, au contraire, que nous sommes vivants. Il faut accepter cette situation et ne pas se juger. Examinez avec votre conscience ce que vous pouvez faire, ce que vous avez envie de faire et ne vous mettez pas une barre trop haute. Allez-y progressivement. Les autres vont vous comprendre.
Ne me jetez par la pierre… : Mes filles de 3 ans et 18 mois sont sorties une heure tous les jours pendant le confinement pour prendre l’air et apaiser les tensions. Mais, depuis lundi, c’est cris, coups, pleurs, hurlements, régressions. Que faire et que dire à ces petits enfants qui ont vu leur mode de vie bouleversé ?
Catherine Belzung : Ces enfants ont sans doute appris que le monde extérieur est dangereux, qu’un virus circule et qu’il faut se confiner pour l’éviter. En conséquence, ils ne peuvent pas comprendre que, maintenant, il faut sortir et aller à l’école si cela ne s’accompagne pas d’un peu de pédagogie. Il faut donc leur dire que, maintenant, on sait qu’on peut éviter le virus en mettant un masque, etc. Et leur faire faire une petite sortie, puis une plus grande. Il faut construire une explication qui tienne compte de leur imaginaire et de leur âge.
-Fanny : Avant le confinement, les tensions étaient courantes avec mon mari, souvent pour des sujets dérisoires. Pendant le confinement, tout est redevenu tout rose. Comme si on en revenait à l’essentiel de notre relation. Comment ne pas perdre cela après le déconfinement ?
Catherine Belzung : C’est très important que vous ayez pu vivre cette période ainsi. Il faut repartir de cela, du souvenir commun que vous avez construit de cette période de crise. Quand cela ne va pas, quand les tensions anciennes reviennent, il faut repartir de ce souvenir qui vous dit que vivre ainsi est possible puisque vous l’avez déjà vécu. Vous avez construit quelque chose de fondamental, qui vous dit que cela est possible.
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