Au CHU de Montpellier, une équipe assiste des personnes schizophrènes dans leur projet de vie. En deux ans, 120 usagers ont bénéficié de cette approche « écologique » encore peu diffusée en France.
Julien (son prénom a été changé) accueille ses visiteuses sur le seuil de son appartement, un rez-de-jardin non loin du centre de Montpellier. Dans le studio un peu encombré du trentenaire est affiché un planning précis de tâches ménagères : passer l’aspirateur, faire la lessive, la vaisselle, etc. Il y a aussi des pense-bêtes dans la salle de bains, le coin cuisine… Autant d’outils pour l’aider à gérer son quotidien.
« Je n’ai pas fait le ménage le jour prévu car je trouvais que ce n’était pas assez sale, mais je l’ai reporté deux jours plus tard », raconte le jeune homme aux deux femmes assises face à lui. Sylvie, infirmière, et Amandine, neuropsychologue, l’écoutent avec empathie, l’encouragent.
Le duo de professionnelles du centre de rétablissement et de réhabilitation (C2R) Jean-Minvielle l’interroge aussi concrètement sur ses difficultés, ses besoins. Julien craint de ne pas réussir à maintenir ses efforts dans le temps, quand les visites à domicile de l’équipe vont s’espacer. « Il faut routiniser, automatiser les comportements et peut-être qu’après vous n’aurez plus besoin d’aide extérieure », rassure la neuropsychologue en l’incitant aussi à des exercices de visualisation positive – par exemple imaginer son appartement en ordre, avec des amis.
Refaire ses papiers d’identité
Au fil de la conversation, le jeune homme concède aussi avoir du mal à entamer les démarches administratives pour refaire ses papiers d’identité, égarés six mois plus tôt. Sylvie lui donne des conseils pour prioriser, lui rappelle qu’ayant postulé pour un emploi de chauffeur il pourrait avoir à présenter un permis de conduire.
Julien est atteint de schizophrénie. Quand la maladie s’est déclarée en 2014, révélée par un épisode délirant, il a dû interrompre ses études d’ingénieur. Aujourd’hui, il n’est plus en proie à des délires ni à des hallucinations, mais il reste freiné, comme beaucoup de personnes avec cette affection psychique, par des symptômes dits « négatifs » et cognitifs : manque de motivation ; difficultés d’organisation, de planification ; troubles d’attention, de mémoire.
Le planning, les pense-bêtes et les visites à domicile du tandem du C2R sont au service du projet qu’il a lui-même défini avec ces professionnels : mieux organiser et entretenir son appartement. « Il ne s’agit pas de prendre le balai à sa place, mais de l’aider à acquérir de l’autonomie, en partant de ses habitudes et en respectant son rythme. Ce qui prime, c’est le sur-mesure », résume Sylvie, référente de Julien, et l’une des huit infirmiers du centre.
Le jeune homme bénéficie de ce que l’équipe appelle un plan d’adaptation cognitive (PAC). « C’est un programme de remédiation cognitive, personnalisé en fonction des demandes de la personne, et écologique. Travailler à domicile, avec ses propres outils, est bien plus efficace que des entraînements fictifs dans un lieu lambda qui ne prend pas en compte son milieu de vie », précise le psychiatre Nicolas Rainteau, 33 ans, chef de clinique, et responsable du C2R.
Ici, on ne parle en effet plus de patients mais d’usagers. Avec un leitmotiv : ne jamais penser ni faire à leur place
Il y a encore deux ans, l’unité Jean-Minvielle était un hôpital de jour « classique » de psychiatrie du CHU de Montpellier, prenant en charge une trentaine de patients. Nicolas Rainteau, qui y était passé comme interne, est revenu avec un ambitieux projet : accompagner des personnes schizophrènes dans leur projet de vie, indépendamment de leur état clinique. L’équipe, en partie renouvelée et étoffée, collabore déjà avec 120 usagers. Ici, on ne parle en effet plus de patients mais d’usagers. Avec un leitmotiv : ne jamais penser ni faire à leur place.
La tentation est pourtant grande, surtout en psychiatrie. « C’est une gymnastique intellectuelle de tous les instants car, en tant que soignant, on a vite fait de décider pour l’autre. Les familles ont le même réflexe protecteur, souligne le docteur Rainteau. Quand on a vu quelqu’un ne pas aller bien, on a tendance à le mettre sous cloche, mais ce sont des jeunes, on ne peut pas se contenter de compassion, ni attendre un rétablissement médical pour leur permettre de reprendre leur vie en main. »
Une bouffée d’espoir
En fonction de leurs souhaits, les principaux intéressés peuvent être accompagnés concrètement dans des démarches de recherche d’emploi ou de formation, pour trouver un logement, passer le permis de conduire, s’inscrire dans un club de sport…
Parallèlement à leurs projets individuels, pour lesquels ils ont chacun un infirmier référent, ils ont aussi la possibilité de participer à des activités de groupe, toujours au service d’objectifs précis : affirmation de soi, relaxation… Ainsi, le jour de notre visite, en juillet, des jeunes inclus dans un groupe d’habiletés sociales avaient passé une partie de l’après-midi dans le centre de Montpellier pour mettre en pratique les séances précédentes. Les exercices consistaient par exemple à aborder des inconnus dans la rue pour demander son chemin, à solliciter des conseils dans une pharmacie… Des échanges sociaux naturels pour la plupart des gens, parfois une montagne pour des personnes avec des troubles cognitifs
« Le seul risque qu’on prend, c’est de bousculer les codes, mais les résultats en valent la peine », précise le psychiatre Nicolas Rainteau
Encore peu diffusées en France, ces approches de la psychiatrie sont une bouffée d’espoir pour ces jeunes et leurs familles. Pour les soignants aussi, qui se réjouissent de leur nouveau rôle. « On est une boîte à outils pour lever des freins, et cela nous oblige à être ouverts et créatifs », s’enthousiasme Manon. L’infirmière l’assure, découvrir ces jeunes dans leur environnement a changé son regard sur la schizophrénie, elle qui avait seulement l’expérience de les côtoyer à l’hôpital, en phase de décompensation.
Pascal, autre infirmier de l’équipe, se présente lui comme un « facilitateur ». « On amène les gens à faire des expériences, en faisant en sorte qu’ils se sentent soutenus. C’est une offre de soins qui va dans l’éthique de ma profession », résume-t-il.
Nicolas Rainteau ne s’en cache pas, cette façon de travailler rencontre des résistances dans le milieu médical, médico-social… Pas de quoi faire flancher la détermination du jeune psychiatre, ardent combattant pour la déstigmatisation de la schizophrénie.
« Le seul risque qu’on prend, c’est de bousculer les codes, mais les résultats en valent la peine, dit-il. Ils se réalisent et s’épanouissent dans les projets de vie qu’ils ont eux-mêmes décidés. Un de nos usagers a par exemple intégré une école de journalisme. On sauve des vies. »
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