On la voit plutôt flotter la nuit au-dessus des marécages et des pierres tombales que sous les néons des hôpitaux. Ame en peine venue perdre les voyageurs selon certaines superstitions, cette jeune fille apparaît telle un feu follet au beau milieu de l’aseptisation du couloir. Chasseuse de fantômes, la photographe Lucie Pastureau traque depuis 2017 les «luminescences» (titre de sa série) que produisent les adolescents qui séjournent à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Lille. «Mais ce n’est pas du soin qu’il s’agit ici, ni de maladies, mais bien plus du développement des corps, du déroulement du temps dans ce huis-clos qui vient se frotter à cet autre temps qu’est celui de l’adolescence […], un moment surnaturel puisqu’ouvert à tous les possibles», explique la jeune artiste, plus habituée à documenter pour la presse les meetings du Front national et le quotidien de la «jungle» de Calais que les apparitions suprasensibles.

La part fantastique de cette photographie provient d’un pareil grand écart. Dans ces chambres d’hôpital où des jeunes filles aux bras scarifiés, aux corps malmenés par l’anorexie, tentent d’échapper à leurs démons, Lucie Pastureau fait surgir à coups de filtre «galaxie» une poétique du mal-être adolescent. «Explosante-fixe, magique-circonstancielle», l’ado en jogging noir New York City hante l’unité de santé, comme un zombie de série B errerait au lycée. Figure à la fois malfaisante et innocente, consciente et inconsciente de sa transformation, elle se retrouve coincée au centre du cliché. Impossible pour elle d’aller plus loin ou de cacher ses yeux derrière une épaisse mèche de cheveux, la voilà désormais à la merci de nos regards dans un couloir devenu purgatoire.
L’éruption volcanique de sa chevelure blonde découvre alors un doux visage pâle qui n’a pas quitté les rondeurs de l’enfance et où percent deux petits yeux possédés. Fille modèle brûlée par le feu d’un esprit malin, image lynchienne d’une Laura Palmer des Hauts-de-France, l’adolescente mal dans sa peau arrête soudain de se battre contre elle-même. C’est dans ce laisser-aller provoqué par l’enclenchement de l’appareil photo que ses angoisses et ses désirs s’échappent de son corps sous forme de fumée. Paysage psychique, la photo révèle dans son grain de peau l’origine de son malaise. Ainsi rend-elle tangible ce que ses soignants parviennent peut-être à sentir sans jamais le voir : la violence de l’adolescence comme tremblement qui fait basculer la réalité sensible dans une autre dimension.