Dans « Raised by Wolves », publié en 1995, le photographe Jim Goldberg a documenté les destins de jeunes Californiens pour lesquels le trottoir servait de foyer. Son travail sera exposé à Paris Photo.
Installé depuis des années à l’est de San Francisco, dans la petite ville de Kennedy, Jim Goldberg a dû s’accommoder récemment des coupures de courant destinées à prévenir les feux qui assaillent, chaque fin d’été, la forêt californienne. Un handicap pour le photographe, en pleine préparation de l’exposition qui lui sera consacrée début novembre à Paris Photo, mais aussi une promesse de tranquillité qui ne lui a sans doute pas tout à fait déplu. « Quand je travaille sur le terrain, je m’immerge complètement, confie-t-il. Mais chez moi, à la campagne, je peux réfléchir à ce que j’ai photographié, élaborer des projets et me ressourcer. »
Membre de l’agence Magnum depuis 2006, après l’avoir intégrée en 2002, Goldberg n’est pourtant ni journaliste ni photoreporter. Son travail, qui mêle images, témoignages écrits et collages, tient de ce que les spécialistes de la littérature américaine qualifient de « narrative non fiction » : soit le fait de rendre compte du réel en empruntant les techniques de la fiction, à la manière d’une Joan Didion.
« Je leur ai d’abord demandé de noter, dans un calepin, ce qu’ils pensaient de leur vie en regardant leurs portraits. » Jim Goldberg
Né en 1953 à New Haven, dans le Connecticut, Goldberg étudie la théologie à l’université quand il se découvre, à 20 ans passés et presque par hasard, une passion pour la photographie. Il prend des cours à San Francisco dans les années 1970, et entame, en 1977, son premier projet marquant. « J’ai commencé à photographier les résidents de foyers pour gens démunis dans le quartier de Mission [à San Francisco], raconte-t-il. Je leur ai d’abord demandé de noter, dans un calepin, ce qu’ils pensaient de leur vie en regardant leurs portraits, puis j’ai peu à peu développé une approche singulière en les faisant écrire directement sur les tirages. » Entre 1977 et 1985, il applique cette méthode, qui croise image et narration, à sa première série d’envergure, Rich and Poor. Il l’affine au cours de la décennie suivante, pour son travail sur un groupe de jeunes sans-abri qu’il croise tous les jours en bas de chez lui.
Superbe supplément d’humanité
Achevée en 1995, l’œuvre, intitulée Raised by Wolves (« élevé par des loups »), est son projet le plus connu. Accolés aux portraits bouleversants de ces gamins perdus et marqués par la dureté de l’existence, les mots, griffonnés sur le papier glacé, apportent à la fois un contexte et un superbe supplément d’humanité. Au fil des ans, Tweeky Dave, l’un des personnages principaux de la série, devient un ami. « Nous étions très proches, se souvient Goldberg. Quand il est tombé malade, je suis devenu son protecteur, car sa famille l’avait laissé tomber depuis longtemps. Après sa mort, on m’a donné ses cendres. Elles sont sur mon bureau, dans mon studio. »
« J’ai été à la fois flatté que quelqu’un veuille voler mon travail et en colère, car l’intention s’est complètement perdue en route. » Jim Goldberg
En 2006, le rappeur Kanye West copie l’emblématique veste en jean de Dave, gribouillée, signée, customisée dans la plus pure tradition punk, tandis que Goldberg expose régulièrement, comme un artefact, le vêtement de Tweeky Dave aux côtés des photos. Jim Goldberg éclate de rire à ce souvenir : « J’ai été à la fois flatté que quelqu’un veuille voler mon travail et en colère, car l’intention s’est complètement perdue en route. Cette veste était un témoignage de la vie de Dave et de ses amis, mais elle a été commercialisée comme un simple accessoire de mode. » Pas revanchard, Goldberg a proposé à West de reverser les bénéfices à des associations d’aide aux sans-abri. Sans succès. Il n’eut jamais de nouvelles. « Je crois qu’ils ont fini par la modifier suffisamment pour ne plus avoir à se soucier des droits d’auteur », soupire-t-il.
Qu’il photographie les gamins des rues, les migrants de dix-huit pays différents qui ont pour destination l’Europe (Open See), ou le quartier de son enfance (Candy), Jim Goldberg définit son travail comme un « storytelling collaboratif ». L’intention première, purement artistique, n’a pourtant pas empêché Raised by Wolves, dans les années 1990, d’être utilisé par les parlementaires démocrates pour défendre devant le Congrès une loi d’aide aux sans-abri. « J’ai quelque part une lettre de Bill Clinton me remerciant pour ma contribution, glisse Goldberg. C’est un honneur bien sûr, mais plus de vingt ans après, le problème n’a fait que s’aggraver. Plus de deux millions et demi de mineurs vivent aujourd’hui dans la rue aux États-Unis. »
Raised by wolves, de Jim Goldberg (non traduit, Scalo, 1995, 304 p.).
Paris-Photo du 7 au 10 novembre, Grand-Palais, avenue Winston-Churchill, Paris 8e.
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