Crédit photo : ©Tijana Feterman – Fondation FondaMental
Le Dr Guillaume Fond, du Centre d'étude et de recherche sur les services de santé et la qualité de vie, vient de publier dans « The Lancet » une étude cas-contrôle sur plus de 200 000 patients. Elle démontre que les patients schizophrènes français atteints de cancer meurent en moyenne 8 ans plus tôt que les malades non schizophrènes (63,6 ans contre 71,8)*.
LE QUOTIDIEN : Comment expliquez-vous que les patients schizophrènes atteints d'un cancer décèdent plus rapidement que les non schizophrènes ?
Dr GUILLAUME FOND : Nous savions déjà que leur espérance de vie était diminuée par rapport à la population générale et que la cause principale suggérée était la mauvaise prise en charge des maladies somatiques. Ici, plusieurs hypothèses sont évoquées. Les données suggèrent par exemple que le cancer est dépisté plus tard, à un stade plus avancé, et que les patients avec schizophrénie meurent davantage de leur cancer primitif et moins de métastases secondaires.
Toutefois, le diagnostic tardif ne peut expliquer à lui seul la mortalité précoce des patients schizophrènes souffrant d'un cancer. Il y a aussi des facteurs liés à la maladie : la schizophrénie peut s’accompagner de délires de persécution qui vont altérer l’alliance thérapeutique, d’un déni, d’un manque de motivation et de troubles cognitifs (le patient va oublier son rendez-vous). Du côté des soignants, beaucoup sont peu ou pas formés à la prise en charge de la maladie mentale et ne savent pas faire face à ce type de patient dit « complexe », c’est-à-dire ayant une pathologie interférant avec la prise en charge du cancer.
Vous montrez que les patients schizophrènes sont plus fréquemment admis en soins palliatifs au cours des 31 derniers jours, pour des durées de soins palliatifs plus longues. Cela signifie-t-il que les médecins « baissent les bras » plus vite ?
Ce n’est pas aussi simple. Il y a moins d’actes de haute intensité réalisés chez les patients avec schizophrénie (moins de chirurgie, moins d’imageries, moins de chimiothérapie). Mais les soins palliatifs sont aussi plus adaptés à la prise en charge de patients complexes. Il faut réfléchir à un nouveau modèle pluridisciplinaire pour prendre en charge les patients avec schizophrénie.
La prise en charge en cancérologie des personnes souffrant de troubles mentaux présente-t-elle des spécificités ?
Oui. Les patients avec schizophrénie sont traités par antipsychotiques, et il n’est pas rare qu’ils reçoivent plusieurs traitements psychotropes, des anxiolytiques et des hypnotiques notamment, qui ne devraient pas être prescrits au long cours et peuvent altérer le fonctionnement de ces patients. Au centre expert schizophrénie, nous proposons des bilans complets pour résoudre ce genre de questions complexes. Au vu de la prévalence de la schizophrénie (500 000 personnes en France) et du cancer, une unité spécialisée d’onco-psychiatrie devrait être développée dans les centres hospitaliers spécialisés dans le cancer.
Les personnes atteintes de troubles mentaux ne sont généralement pas recrutées dans les études cliniques. Dispose-t-on d'assez de données sur la prescription des nouveaux traitements aux patients schizophrènes ?
Les études portant sur les spécificités des patients avec schizophrénie restent trop rares et devraient être développées. Les médecins préfèrent, comme tout le monde, les patients YAVIS (Young/jeune, Attractive/attractif, Verbal/éloquent, Intelligent, Successful/ plein de succès), faciles à soigner et qui renvoient au médecin une image positive du soin. Dans les études cliniques, la présence d’un trouble mental est souvent un critère d’exclusion.
* Réalisée sous la direction du Pr Laurent Boyer, professeur de santé publique à l’AP-HM et enseignant-chercheur à Aix-Marseille université (service CEReSS).
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